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L’augmentation des coûts du cloud à la loupe (1/2)

L’augmentation des coûts du cloud représente un poids de plus pour de nombreuses entreprises dans un contexte de crise économique. La première partie de ce dossier tente d’exposer les causes de ces hausses et revient sur les perceptions des entreprises au regard de ces infrastructures accessibles à la demande.

Cet article est extrait d'un de nos magazines. Téléchargez gratuitement ce numéro de : Applications & Données: Applications et données 20 – DAF : la fonction finance fait sa révolution numérique

En avril, les prix d’Azure ne se découvrent pas d’un fil. Bien loin de s’alléger avec le printemps, ils s’alourdissent de 11 %. Pourquoi ? Pour aligner les tarifs dans toutes les régions couvertes par Azure et pour « refléter le taux de change de la monnaie locale par rapport au dollar américain », justifie Microsoft.

Le numéro 2 mondial du cloud n’est pas le seul. Google (GCP) a lui aussi pris plusieurs mesures, dont la réfection du modèle tarifaire de BigQuery. Certaines décisions de Google reviennent purement et simplement à une augmentation, comme celle annoncée en octobre des tarifs de Cloud Storage qui a pris effet le 1er avril. Dans le SaaS, Workspace a également augmenté.

En outre, IBM Cloud a annoncé, le 19 octobre 2023, une augmentation des prix de ses offres IaaS et PaaS applicable le 1er janvier 2024. Cette hausse oscille entre 2,9 et 5,6 % pour les régions cloud européennes.

Selon le « Producer Price Index » maintenu depuis décembre 2006 par l’U.S. Bureau of Labor Statistics, l’indice du prix des services de traitements de données, d’hébergement et de services associés a atteint un pic jamais atteint en août 2023, surpassant le précédent record de juillet 2021. Un indice qui avait subi une chute de quatre points entre décembre 2021 et septembre 2022 avant de repartir franchement à la hausse, puis de baisser de nouveau légèrement après août 2023.

L’indice du prix des services de traitements de données, d’hébergement et de services associés a atteint un pic jamais atteint en août 2023.
« U.S. Bureau of Labor StatisticsProducer Price Index

Si le document concerne avant tout le marché américain et ne permet pas de distinguer les fournisseurs de cloud des infogérants, il est intéressant, car les acteurs américains du cloud présents en Europe ont tendance à lisser leurs tarifications.

Mais l’augmentation ne concerne pas que les géants du cloud. En octobre 2022, OVHcloud a lui aussi acté une hausse de 10 % de ses tarifs en la justifiant par l’inflation et l’augmentation des coûts de l’énergie.

Pourquoi les prix du cloud flambent-ils ?

De fait, la tendance haussière sur le marché européen de l’énergie a touché OVHcloud de plein fouet. Tout comme les acteurs ayant des présences physiques multiples sur le Vieux Continent. Mais le coût économique semble moins rude que prévu.

« L’augmentation des coûts énergétiques pour l’ensemble de l’année devrait désormais s’élever à 500 millions de dollars, contre une estimation précédente de 800 millions de dollars », déclare Amy Hood, Chief Financial Officer chez Microsoft au moment de présenter les résultats du deuxième trimestre fiscal 2023 le 24 janvier dernier.

Justifier la hausse des coûts du cloud par la seule flambée des prix de l’énergie serait réducteur, selon Denis Di Vito, directeur France d’Inverto, une filiale du cabinet BCG spécialisée dans la supply chain.

« Cette augmentation s’explique par plusieurs facteurs. Le premier – qui est souvent mis en avant – est l’effet du coût de l’énergie. Il représente en effet plus de 25 % des frais d’exploitation d’un data center », chiffre-t-il. « Il y a aussi eu beaucoup de tensions sur le marché des semiconducteurs ainsi que des difficultés d’approvisionnement. Tout ceci a pu avoir des conséquences sur l’accès et les coûts des équipements réseau, serveur et de stockage ».

Stephan Hadinger, directeur responsable des technologies chez AWS, modère cette difficulté. Pour lui, ce seraient davantage les entreprises et les infogérants de data centers qui seraient concernés.

« En 17 ans d’existence, nous avons déjà vécu plusieurs situations similaires », assure-t-il. « C’est notre métier d’anticiper et de faire en sorte d’avoir le stock, la capacité de continuer à assurer l’offre. Et puis, aujourd’hui, nous concevons de plus en plus nos propres puces [N.D.R. : Graviton, Inferentia et Trainium] ». Reste que si concevoir ses propres puces permet une certaine indépendance, AWS ne les fabrique pas lui-même, et encore moins en Europe (les puces Graviton sont produites par TSMC à Taïwan).

Un autre facteur classique explique la hausse des prix : la demande. « C’est l’opportunité liée à la demande en 2022. Nous avons assisté à une série de rattrapages et des ondes de choc de l’après-covid », estime Denis Di Vito qui souligne que ce facteur, difficile à quantifier avec précision, est déjà visible dans d’autres secteurs.

En 2023, les fournisseurs ont dû opérer dans un contexte d’augmentation des taux de la FED et de la BCE, de guerre en Ukraine, de conflit en Israël, de luttes économiques entre la Chine et les États-Unis et d’inflation. Autant d’éléments qui rendent les marchés financiers fébriles et qui affectent les résultats de fournisseurs IT. Ceux-là, ayant beaucoup recruté lors du confinement, pour satisfaire une demande en très forte hausse, ont massivement licencié depuis le début de l’année.

« L’inflation a également une incidence forte sur les salaires des techniciens internes et des prestataires, y compris dans les zones à coût salarial plus faible », indique François Baranger, CTO de T-Systems, dans une tribune envoyée aux journalistes en septembre 2023. Des phénomènes qui affectent aussi bien les fournisseurs cloud que leurs clients.

Une hausse peut en cacher d’autres

Toufik HartaniToufik Hartani, EY Consulting France

Pour Toufik Hartani, partenaire chez EY Consulting France, cet épisode de hausse et les arguments officiels avancés seraient en quelque sorte l’arbre qui cache la vraie forêt. « Cela semble conjoncturel, mais les fournisseurs cloud, en particulier les hyperscalers, sont dans une approche d’augmentation continue des prix », prévient-il.

Évidemment, ce n’est pas la position d’AWS ou de Google Cloud. « Des augmentations, nous en pratiquons assez peu », assure Franck Zerbib, encore directeur de l’ingénierie client France chez Google Cloud, au moment de son entretien avec LeMagIT. « Elles peuvent être synonymes de remise aux prix du marché de certaines fonctionnalités ou de services qui ont fortement évolué ».

En décembre 2022, Julien Groues, directeur général Europe du Sud chez AWS, défendait les efforts constants du fournisseur pour faire baisser les prix des services. « Depuis le début d’AWS, nous cherchons à rendre les technologies que nous mettons à disponibilité auprès des clients le moins cher possible ».

Et Stephan Hadinger d’ajouter en mars 2023 : « nous n’avons pas augmenté nos tarifs. La dernière fois que j’ai regardé, nous avions baissé nos prix 129 fois en 17 ans ». AWS, « l’exception qui confirme la règle » (sic), comme le dit son responsable des technologies.

Pas vraiment, rétorque le cabinet de recherches Liftr Insights. « Au cours de l’année écoulée, les prix moyens des instances de calcul à la demande ont augmenté de 23,0 % chez AWS. [Nos] données montrent que non seulement AWS a augmenté ses prix moyens en 2020, 2021 et 2022, mais que les augmentations ont été plus importantes chaque année depuis 2019 », assène-t-il dans un communiqué publié en février 2023. Liftr Insights ne présente pas sa méthode de calcul, ce qui interroge les internautes.

S’il annonce des baisses de prix régulières, AWS n’est pas non plus le moins cher du marché, selon les baromètres de Cloud Mercato. Sa stratégie consisterait plutôt à lancer des services à des tarifs supérieurs à la moyenne pour ensuite les diminuer petit à petit, suivant les retours des clients.

De plus, son vaste catalogue induit une certaine complexité : AWS propose plus de 600 types d’instances et plus de 200 services IaaS, PaaS et SaaS. Un foisonnement qui rend, logiquement, la tarification difficile à appréhender finement.

Des gains significatifs pour les grands comptes, selon les fournisseurs

AWS persiste et signe. Inflation ou pas, le passage au cloud demeure avantageux. « Cela passe par la baisse des prix, mais cela passe également par le dimensionnement », insiste Julien Groues. Rien qu’en migrant vers le cloud, les porte-parole du fournisseur assurent que les entreprises auraient réduit leurs coûts de manière importante (de 30 % à 40 % en moyenne). « Veolia économise 50 % de TCO sur son ERP SAP, tout comme la CMA-CGM », illustre Julien Groues. Dans ce coût total de possession, AWS compte l’infrastructure, les ressources consommées par les plateformes logicielles, les processus et les ressources humaines nécessaires au fonctionnement des systèmes IT.

« Il y a cette idée que le cloud permet de réduire les coûts… ce qui n’est pas forcément une bonne perception ».
Toufik HartaniEY Consulting France

Selon Toufik Hartani, cette perception est bien partagée par les clients interrogés lors d’une étude qualitative menée auprès de 100 dirigeants d’organisations publiques et privées. Mais elle ne refléterait pas totalement la réalité.

« Quand on questionne les entreprises du secteur public et privé sur les motivations pour passer au cloud, la réduction (ou l’optimisation) des coûts arrive en tête dans la majorité des cas. Il y a cette idée que le cloud permet de réduire les coûts… ce qui n’est pas forcément une bonne perception », constate Toufik Hartani.

Pour lui, « le cloud doit d’abord être considéré comme un accélérateur d’agilité pour les métiers, et de simplification des systèmes d’information. [C’est le tout qui] va permettre une optimisation des coûts ». À l’inverse, « un simple lift & shift ne permet pas de réduire les coûts sur la durée ».

L’innovation et le modèle financier OPEX sont les deux arguments phares des fournisseurs pour tenter de convaincre les clients de migrer leurs systèmes vers le cloud. Ces deux arguments sont toujours d’actualité – voire plus.

« Avec la crise, les entreprises en France se sont rendu compte qu’elles avaient besoin d’être extrêmement flexibles. Et que plus elles sont flexibles, plus elles vont pouvoir traverser les crises », vante Julien Groues. Stephan Hadinger insiste sur les gains observés en adaptant des charges de travail aux instances Graviton, mais également en adoptant les offres serverless qui seraient, dans la plupart des cas, moins coûteuses que l’exécution de VM dans le cloud.

Franck Zerbib, de Google Cloud France tient peu ou prou le même discours. Pour lui, le cloud continue de convaincre les entreprises. « Nous avons mené une étude mondiale auprès de 1 900 clients. Plus de 40 % d’entre eux ont décidé d’augmenter sensiblement les investissements sur le cloud », se réjouit-il. « Environ 30 % d’entre eux décident d’entamer aujourd’hui des projets de migration de legacy vers notre plateforme cloud ».

Les analystes perçoivent la même tendance. Le 18 octobre 2023, Gartner estimait que les dépenses mondiales dans le cloud augmenteraient de 20,4 % en 2024. « Comme en 2023, la source de [cette] croissance sera la combinaison des augmentations de prix des fournisseurs cloud et de l’utilisation », indique le cabinet d’analystes.

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