Alstom : comment l’IA agentique peut booster la productivité de 40 %

Alstom est passé du stade des assistants conversationnels à celui, plus ambitieux, de l’IA agentique. Cette transition se serait déjà traduite par des gains de productivité de 30 à 40 % sur des cas d’usage en finance et aux achats.

Il y a un an, le directeur AI Solutions Deployment & AI Operations d’Alstom, Pablo Celada, détaillait la manière dont son entreprise s’était emparée des modèles d’IA générative et son ambition de déployer de « premiers use cases » à l’échelle. Un an plus tard, Alstom ne s’est pas attelé qu’à ce seul objectif.

L’agentique au-delà du simple chatbot

L’acteur des transports regarde également l’IA agentique. C’est ce qu’expliquait le 25 septembre Samir Achria, head of Application Factory and IS&T Innovation, lors du Dataiku Summit à Paris.

L’évolution n’est pas le fruit du hasard. L’expert d’Alstom la justifie par la prise de conscience précoce des limites des applications conversationnelles classiques. Passer de l’IA qui répond à une IA qui agit (« actionnable ») serait devenu essentiel pour transformer le potentiel de la GenAI en valeur métier quantifiable.

Cette orientation est motivée par un constat. Le premier est survenu lors d’un projet de chatbot destiné à faciliter l’accès aux procédures internes. L’équipe a rapidement constaté les limites de l’approche. L’outil expliquait efficacement un processus, mais il ne pouvait en revanche pas l’exécuter. Or, souligne Samir Achria, l’intérêt pour les utilisateurs métier résidait moins dans l’explication que dans l’application directe.

La fourniture aux développeurs d’assistants de codage a confirmé cette analyse. En comparant le mode « chatbot », qui explique comment écrire un morceau de code, et le mode « autocomplétion », qui le génère directement, l’équipe a touché du doigt le potentiel de l’agentique.

Ces premières expériences ont forgé une conviction, résumée par Samir Achria : « c’est bien de répondre, mais faire des actions derrière […], c’est là où on voit la vraie valeur pour l’entreprise. » Sur la base de ce postulat, Alstom structurait une démarche méthodique pour implémenter l’agentique.

De la conviction à la production par une montée en maturité

Pour atteindre le stade de la production, Alstom devait résoudre un double défi : maîtriser une technologie balbutiante et convaincre dans le même temps les métiers de son potentiel.

Sur le premier défi, une montée en compétence a été amorcée. Elle s’est déroulée en deux volets. Sur le plan technique, l’équipe a d’abord exploré des frameworks open source comme AutoGen et Crew AI. Cette phase d’expérimentation a été jugée essentielle pour comprendre les mécanismes de l’agentique.

L’exploration a aussi rapidement révélé les limites des outils testés en matière de scalabilité, de monitoring et de gouvernance. Pour les surmonter, l’industriel a pris la décision de basculer sur une plateforme d’entreprise, c’est-à-dire d’opter pour une stratégie de Buy plutôt que de Make.

Sur un plan fonctionnel, des ateliers d’idéation ont été lancés pour identifier les cas d’usage les plus prometteurs. Pour cette étape, Alstom a participé au programme Agent Accelerator de l’éditeur Dataiku.

Pour Samir Achria, le programme a servi à accélérer le développement d’un premier projet pilote avec les équipes achats. Puis les projets se sont enchaînés. Avant même la fin du premier PoC, un deuxième était lancé avec le département finance. Et avant la conclusion de ce dernier, Alstom a estimé sa maturité suffisante pour initier un troisième pilote pour les achats et la conformité – engagé directement en mode industrialisation.

30 à 40 % de gains de productivité aux achats et à la finance

La stratégie et la montée en compétence d’Alstom ont débouché sur des applications métiers spécifiques. Elles généreraient déjà des gains mesurables. Trois cas d’usage ont été présentés pour le prouver.

 Le premier, baptisé « Buyer Companion », a automatisé la gestion des commandes de composants à faible coût. Auparavant, ce processus était manuel, traité par mail, et donc extrêmement chronophage. L’agentique a permis de structurer, orchestrer et automatiser les échanges.

Le deuxième cas concerne le centre de services financiers. Ici, une orchestration d’agents assiste les opérateurs dans le traitement des requêtes courantes, comme la vérification du statut d’une facture ou la préparation d’une analyse. Il s’agit d’une approche de « collaboration d’agents » où le système aide l’humain à exécuter des tâches complexes plus rapidement.

Enfin, le projet le plus complexe avait pour objectif l’automatisation des contrôles de conformité entre la demande d’achat (Purchase Request) et le bon de commande (Purchase Order). Des agents vérifient désormais automatiquement des critères clés, comme la conformité avec la politique fournisseur ou la présence des bonnes pièces jointes.

Samir Achria fait état d’un gain de productivité très significatif « entre 30 et 40 % », mais aussi d’une amélioration de la qualité.

60 % des cas d’usage ne sont pas agentiques

Malgré ces premiers résultats, Alstom met en garde contre toute « pensée magique ». L’IA agentique, pas plus que la GenAI, n’est une solution à tout.

Pour évaluer la pertinence de l’agentique, l’entreprise dispose d’une grille de lecture fine. Elle doit lui permettre de retenir le bon outil pour chaque problème, la solution la plus sophistiquée n’étant pas toujours la plus efficace.

Environ 60 % des cas d’usage soumis à l’équipe ne relèvent en fait pas de l’IA agentique, constate Samir Achria. Ils sont reclassés dans des catégories plus appropriées : les assistants IA (LLM + RAG) pour la recherche d’information, la BI augmentée pour la génération de rapports, ou encore l’automatisation classique.

Chez certains éditeurs, des workflows seraient d’ailleurs maquillés en projets « agents » pour « changer le modèle de licensing », épingle le cadre IT d’Alstom qui s’applique au contraire une discipline guidée par un principe simple : « Si on peut faire sans agent, on fait sans agent. » Ce principe a d’ailleurs été appliqué dans l’exemple des contrôles de conformité.

Initialement, pas moins de sept agents étaient envisagés. Au final, ce choix a été abandonné au profit d’une solution hybride avec seulement deux agents, uniquement pour les tâches complexes. Le reste est traité par des modèles prédictifs, des appels API et des requêtes SQL. « L’IA agentique est un nouvel outil puissant dans un arsenal existant, qui doit être combiné judicieusement pour un résultat optimal », résume Samir Achria.

Ne pas fuir la friction

Un autre enseignement des expérimentations d’Alstom est que la réussite dépend autant de facteurs humains et organisationnels que de la technologie.

En ce qui concerne les facteurs humains, l’expert estime d’ailleurs nécessaire de rechercher, et non de fuir, la friction. Pourquoi ? Parce que les projets à plus fort ROI sont justement ceux qui s’attaquent à des défis humains (peur du changement), organisationnels (évolution des processus) ou technologiques (accès aux données et API). Le projet « Buyer Companion », en s’attaquant à des processus manuels et des données non structurées (mails), en est une illustration.

Maîtriser l’agentique, c’est également porter une attention particulière au monitoring, relève le porte-parole d’Alstom. Un monitoring qui doit dépasser le seul suivi technique du comportement de l’agent.

L’industriel insiste sur une vision à trois niveaux : un suivi de la valeur métier générée pour l’auditabilité, un suivi technique, mais aussi un suivi « anti-hacking » pour s’assurer que les utilisateurs ne contournent pas les règles du système.

Garder l’humain dans la boucle

Une telle supervision exige que « l’humain reste dans la boucle » pour gérer les cas non anticipés, ainsi que pour auditer le système.

Enfin, Samir Achria insiste sur l’implication des équipes métier dès le début du projet. Cette participation dès le démarrage est indispensable pour spécifier correctement des règles complexes que l’IA ne peut deviner, ainsi que pour garantir une compréhension fine des processus métiers et tâches automatisées.

Le retour d’expérience démontre, si besoin était, que la véritable innovation ne réside pas dans l’adoption de la dernière technologie en vogue. L’utilisation réussie de l’IA découle avant tout de la capacité à la comprendre et à l’intégrer lucidement dans un arsenal, pour générer de la valeur métier mesurable.

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