Big Data : les dessous du projet d'Etam

Le groupe français de mode et de sous-vêtements féminins a entamé une transformation numérique pour redessiner sa relation cliente. Au cœur de son projet, un "Data Hub" dans le Cloud conçu avec Ysance. Et une collaboration poussée entre DSI et métiers. Prochaine étape ? L'IA.

Etam est un groupe français centenaire, spécialiste de la mode, de la lingerie et des sous-vêtements féminins. La société possède quatre marques : Etam, 1,2,3, Undiz, et la toute nouvelle Livy (déclinaison plus haut de gamme d'Etam, vendue par exemple au Bon Marché).

En tout, le groupe gère 4 000 points de vente, dans 52 pays et emploie 15 000 personnes dans le monde. Son chiffre d'affaires est d'environ 1,3 milliard d'euros pour un résultat opérationnel de 50 millions.

Contexte

Dans un contexte où le e-commerce est devenu un mode d'achat privilégié, et où internet est un canal marketing à part entière, Etam a lancé un projet de transformation numérique pour ne pas louper ce virage digital. Son but : mieux anticiper les ventes (pour améliorer la chaîne d'approvisionnement et les marges), être capable de mesurer les performances de son activité, et surtout personnaliser au mieux l'expérience cliente.

« L'expérience, en ligne et hors ligne, est primordiale. C'est elle qui permet de fidéliser », tranche Jonathan Attali, directeur Ecommerce & Innovations chez Etam. « Ce n'est pas le programme fidélité en lui-même, c'est vraiment ce que la cliente va vivre chez Etam qui fait qu'elle va revenir ».

Or l'expérience de l'utilisatrice passe par une meilleure connaissance, « et la connaissance passe par la data ».

Données en silos

Oui, mais chez Etam - comme dans beaucoup de groupes - « nous avions énormément de données en silos », diagnostique Grégoire Sanquer, DSI de l'entreprise.

« On avait des données depuis le début des années 90 avec le programme de fidélité. Elles étaient bien stockées, mais bien silotées aussi », confirme Jonathan Attali. Bref, les données étaient quasiment inexploitables.

On ne voulait pas se dire « on a fait un truc super » mais que la cliente s'en fiche
Jonathan Attali, Etam

Au sein d'Etam, une idée s'impose alors rapidement : pour avancer, il faut que la "data" ne soit ni la propriété de l'IT, ni celle des métiers. « L'essentiel c'est de s'aligner les uns avec les autres pour sortir des cas d'utilisations centrés sur la cliente ».

Pas question, en revanche, de faire des démonstrateurs purement techniques. « On a toujours eu en ligne de mire l'expérience utilisatrice. On ne voulait pas se dire "on a fait un truc super"... mais que la cliente s'en fiche », insiste Jonathan Attali.

Logiques "Plug & Play" et "Test & Fail"

Etam se met alors dans une logique "start-up" et "Plug & Play" (sic).

« Nous ne voulions pas lancer des projets qui mettraient deux ans à sortir. On veut qu'ils soient "live" en un mois ou deux », indique Jonathan Attali.

« On a aussi adopté une logique "test & learn", c'est-à-dire que l'on accepte de se tromper - une fois, deux fois, trois fois s'il le faut - pour trouver quelque chose qui fonctionne. Et ensuite, le décliner très rapidement ».

Pour parvenir à ce résultat, l'IT devait évidemment être agile. Logiquement, il n'était pas possible d'attendre plusieurs mois une DMP (Data Management Platform) si le cas d'usage devait, lui, sortir en quelques semaines, voire en quelques jours.

Idem pour l'infrastructure qui devait suivre et ne pas mettre plusieurs jours à être provisionnée.

Un monde idéal ? « C'est ce que l'on fait chez Etam », se réjouit Jonathan Attali qui souligne - en plaisantant - qu'il n'est pas si commun d'avoir, en bonne entente, un témoignage commun d'un représentant métier et de la DSI.

Un "Data Hub" dans le Cloud

« La réponse de l'IT a été des process agiles, mais pas au sens méthodologie », enchaîne Grégoire Sanquer, « plutôt au sens où l'on change les priorités d'une semaine sur l'autre ».

Cette flexibilité demande une excellente communication transversale. « On n'est plus vraiment dans le "retail", on est dans le "fashion". Il faut que ça aille vite », justifie-t-il.

« Faites étape par étape [...] Et priorisez »
Grégoire Sanquer, DSI d'Etam

Le DSI commence par poser les bases d'un "Data Hub" entre les différentes briques logicielles utilisées par Etam. « On utilise beaucoup de start-ups pour beaucoup de sujets différents. On a un canon à mails, un outil SAV, une DMP. Mais il faut que l'ensemble de nos bases de données clients soient synchrones entre les différents systèmes ».

Dans ce "Data Hub", véritable cœur du projet d'Etam, il est également possible de déverser les données dans un Data Lake. « Le tout en temps réel », insiste le DSI.

Pour réaliser ce "Hub" de manière "agile", Etam a choisi le Cloud (AWS). La flexibilité du PaaS permet en effet d'aller vite.

Plus vite en tout cas, pour Grégoire Sanquer, que s'il avait dû revoir le SI - comme lui ont proposé des acteurs avec des projets « à 3500 jours hommes » pour revoir l'existant et le CRM. « Ce n'était juste pas possible » au regard des objectifs visés et du timing voulu - et certainement du budget.

L'ami AWS

Auparavant, Etam possédait une infrastructure 100% sur site. Mais un tel projet n'aurait pas été possible dans ces conditions. Au contraire, aujourd'hui, avec des solutions serverless comme Lambda, la DSI a fait le choix de la plus grande flexibilité possible.

L'option AWS peut surprendre. Le bras IT du e-commerçant n'est pas en odeur de sainteté auprès des distributeurs, qui voient sa maison mère Amazon comme un concurrent.

Ce n'est pas le cas chez Etam.

« En interne, nous voyons Amazon comme un partenaire potentiel. Bien sûr, ils vendent aussi de la lingerie. Mais si demain on veut vendre aux Etats-Unis, on aura aussi besoin d'eux », tranche le DSI.

Quoi qu'il en soit, il ne faut pas attendre d'avoir l'infrastructure idéale pour débuter un projet Big Data, conseillent les deux responsables d'Etam.

« Faites étape par étape », en fonction des retours et des demandes métiers. « Il faut aussi savoir prioriser », prévient le DSI. « Et nourrir la curiosité », renchérit le directeur Ecommerce & Innovation.

Ysance et des solutions françaises

Pour accompagner le projet de Hub, Etam a fait appel à un spécialiste français du Big Data et de l'analytique, Ysance, dans lequel la famille Mulliez (groupe Auchan) a réalisé un investissement stratégique en 2015.

« Ysance nous a beaucoup aidés sur la première DMP, pour rapprocher les profils des clientes online et offline », se souvient le DSI.

Depuis Ysance, en spécialiste du retail et de l'analytique marketing, a aidé Etam sur le choix technique et sur la mise en place de la plateforme.

Résultat, une plateforme adossée au Cloud, avec une DMP estampillée Ysance. En entrée, un outil français de service client (Easiware), un outil de Master Data Management lui aussi - à moitié - français (Semarchy), du Salesforce (Commerce Cloud, ex-Demandware) et un ETL (Talend). Au milieu : des services AWS du sol au plafond (Kinesis - traitement de flux de données en temps réel, S3, le moteur d'orchestration serverless Lambda et les trois bases de données DynamoDB (NoSQL), RedShift (entrepôt de données) et Aurora (base relationnelle)). En sortie, le "canon à mails" belge Actito, et une plateforme marketing conçue avec Ysance.

Grégoire Sanquer et Jonathan Attali sur la scène du Big Data Paris 2018

Actito, en particulier, personnalise les mails envoyés aux clientes et module l'heure des envois en fonction des taux d'ouvertures clientes par clientes (ce qui génère d'autres données analysables). La DMP, alimentée aussi par les retours magasins, permet, quant à elle, de générer de segments plus rapidement et « plus intelligemment ».

Tout n'est pas totalement achevé. Etam doit encore finaliser son architecture temps réel avec des sprints réguliers (Easiware n'est pas encore totalement connecté au Data Hub par exemple), mais la suite est déjà en route.

Une connaissance des clientes aussi fine que de la dentelle

Avant ce Data Hub, pour avoir une vue complète d'une cliente (a-t-elle ouvert le mail ? , a-t-elle acheté en magasin ?, utilise-t-elle les promotions?, etc.), il fallait consulter 17 systèmes.

Etam arrive à mesurer les performances d'une opération en 10 minutes

« Aujourd'hui, grâce à la DMP et à l'infrastructure mise en place, on remonte les tickets de caisse des 450 magasins en France en moins de 10 minutes. Ce qui fait qu'on arrive à mesurer les performances d'une opération en moins de 10 minutes également », se réjouit le directeur Ecommerce & Innovation.

Autre bénéfice, les taux d'ouverture des e-mails auprès de certaines audiences - mieux ciblées - atteignent des sommets, à plus de 55 %.

Les données du programme fidélité - enfin exploitées - couplées à toutes celles de la DMP ont par ailleurs permis d'établir qu'en moyenne « une cliente fait entre quatre et cinq visites sur le site Internet dans les deux semaines qui précèdent un achat en magasin ».

Autre enseignement, une cliente qui achète en magasin et en ligne achète trois fois plus qu'une cliente qui n'achète que sur un des deux canaux. Et ces dépenses sont uniformément réparties entre les deux types de boutiques.

2 milliards de données de points de contact

Ces deux informations montrent que le digital n'est pas un concurrent du magasin physique, mais un accélérateur de revenus pour tous les canaux.

Pour Etam, le digital n'est pas un concurrent du magasin mais un accélérateur pour tous les canaux

Ceci étant, pour arriver à cette connaissance, il a fallu mettre en place des "points de contacts" (quand une cliente passe-t-elle en magasin ? a-t-elle vu une publicité ?, a-t-elle ouvert un mail ?, a-t-elle a surfé sur le site ?, etc.). Etam dispose aujourd'hui d'un historique d'environ 2 milliards de ces "touchpoints" dans son Data Lake - à la disposition de l'analytique, des métiers et des Data Scientists.

« Aujourd'hui la donnée est utilisée par tous les départements d'Etam », se félicite Jonathan Attali : achats (pour comprendre ce qui a fonctionné et qui a acheté quoi), CRM pour affiner les campagnes, etc.

AI et Big Data...

La prochaine grande étape pour Etam sera de faire le grand plongeon dans l'Intelligence Artificielle (IA).

Parfois, il faut savoir ne PAS envoyer d'email
Laurent Letourmy, Ysance

Le groupe a déjà déployé des algorithmes de Machine Learning pour détecter des tendances d'achats à la hausse en magasin, qui peuvent différer des tendances sur le web. Ce qui n'est pas sans conséquence sur les stocks et sur les initiatives différenciées à mener pour augmenter le CA.

Dans ce domaine également, Ysance a collaboré avec Etam pour développer des outils prédictifs sur les achats et les actions à mener - ou à ne pas mener. « Une cliente qui a déjà envie d'acheter ne va pas acheter plus si elle reçoit un email », prévient Laurent Letourmy, président d'Ysance. « Parfois, il faut savoir ne pas envoyer d'email ».

Laurent Letourmy insiste sur le fait que les données et l'IA appartiennent à son client. Un point important pour le distributeur. « On a recruté un développeur en Python. On veut ré-internaliser ce savoir-faire », confirme le DSI d'Etam. « C'est notre démarche habituelle. On fait cela également avec notre site e-Commerce, Demandware nous a aidé à démarrer, mais aujourd'hui on internalise les savoir-faire ».

... pour écouler les gros bonnets (et les petits)

L'IA et le Big Data permettent d'ores et déjà à Etam d'approfondir ses segmentations et de déterminer s'il faut faire des campagnes personnalisées ou non.

« Nous étions en fin de solde, il nous restait beaucoup de tailles extrêmes, des bonnets A, E et F », illustre Jonathan Attali. « Nous avons pu sortir en 5 minutes un segment des acheteuses potentielles en nous appuyant sur les données des 25 derniers mois ».

La promotion a été communiquée sur Facebook en 30 minutes pour la tester. Le mail a été poussé le soir même.

Résultat, la majorité des pièces a été écoulée en 48 heures. Et majoritairement en magasin. Comme quoi, le Big Data ne concerne pas que le monde numérique. Et pas que les gros bonnets de la Data Science.

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