Etam brode sa transformation au fil des données

La transformation des pratiques de traitement de données au sein du groupe Etam est très attendue par les métiers. Un chantier d’envergure pour la direction « data », qui doit à la fois moderniser les infrastructures et soutenir les besoins opérationnels.

Cet article est extrait d'un de nos magazines. Téléchargez gratuitement ce numéro de : Applications & Données: Applications et données 24 – AI Act : un « Brussels effect » moins marqué que le RGPD

Né en 1916, le groupe Etam est présent dans 57 pays à travers plus de 1 300 points de vente. Il emploie plus de 5 650 personnes. Réputé pour la marque de lingerie féminine éponyme, le groupe compte également dans son giron Maison 123, Undiz, Livy et Ysé (depuis 2019). Avec Maison 123, il faut maintenant parler d’un acteur du prêt-à-porter féminin.

Ces cinq enseignes ayant une présence physique et virtuelle lui ont permis de générer 880,2 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023.

Il est loin le temps des casiers en bois empilés du sol au plafond des premiers magasins. En parallèle de son internalisation, Etam a accru sa présence sur le Web. Il se doit donc d’optimiser sa gestion des stocks et sa chaîne logistique. Outre des efforts physiques, cela exige une bonne gestion des données.

C’est en tout cas le « premier besoin » qui justifiait le recrutement de Sophie Buresi (Gallay), directrice groupe Data et CRM chez le groupe Etam en janvier 2023.

« Quand je suis arrivée à la direction de la data chez Etam, nous avons défini un plan stratégique », relate-t-elle. Ce plan stratégique s’articule autour de différents cas d’usage. Outre l’optimisation des stocks et de la supply chain, la direction a listé des enjeux en matière de prévision des ventes, d’achats de matières premières, d’optimisation de l’assortiment, de personnalisation de l’expérience client, mais aussi – « et c’est un peu moins sexy », dixit la directrice – de pilotage de l’activité économique à l’aide de tableaux de bord efficaces.

Deux visions de la plateforme de données

« Problème, nous n’étions pas capables de porter ces cas d’usage à l’échelle avec les infrastructures existantes », affirme Sophie Buresi. « Pour chercher de la valeur, il nous manquait les fondations nécessaires, notamment un socle technique à la hauteur ».

Comme dans bien d’autres entreprises, il existe au sein du groupe Etam un certain nombre de SI consacré au traitement de données. Mais il n’y avait pas de « plateforme de données ». Deux possibilités s’offraient au groupe Etam : construire cette plateforme avec différentes briques, ou s’appuyer sur une offre « plus packagée ».

« Nous savons qu’Etam ne serait pas une priorité pour les grandes ESN, donc avoir un partenaire pour qui nous représentons une part significative de leur activité garantit qu’ils investissent les efforts nécessaires. »
Sophie BuresiDirectrice groupe Data et CRM, groupe Etam

Dans son appel d’offres, Google Cloud représentait cette première approche, tandis que Snowflake incarnait la deuxième. « L’idée n’était pas d’opposer Google et Snowflake, nous avons choisi l’approche tout autant que le partenaire », déclare Sophie Buresi. « Le choix découle d’abord d’une réflexion sur l’orientation de notre plateforme ».

Les retailers sont souvent rétifs à adopter AWS. Or, malgré ses ambitions multicloud, Snowflake est davantage présent sur le cloud d’Amazon. Ce n’était pas un problème pour Etam. « Nous avions déjà une solution de traitement de données sur AWS. Nous n’y avons jamais trop vu de problème. Amazon n’est pas un acteur très présent sur les secteurs du sous-vêtement et du prêt-à-porter féminin », note la directrice.

Autre décision importante : sélectionner le partenaire qui accompagnerait le déploiement de Snowflake. « Nous travaillons avec Eulidia, une plus petite structure avec laquelle nous avons une très bonne relation », indique Sophie Buresi. « C’est l’une des premières sociétés de conseil à avoir intégré Snowflake en France, ce qui en fait un choix stratégique pour nous », poursuit-elle. « Nous savons qu’Etam ne serait pas une priorité pour les grandes ESN, donc avoir un partenaire pour qui nous représentons une part significative de leur activité garantit qu’ils investissent les efforts nécessaires ».

Rationaliser le parc technologique

Comme souvent, le choix d’une plateforme de données vouées à devenir le réceptacle de la plupart des charges de travail analytiques de l’entreprise s’inscrit dans un plan global de rationalisation du parc technologique.

« Nous avons cinq outils BI dans le groupe. Nous avons retenu Tableau pour lire les données sur Snowflake », renseigne Sophie Buresi.

« Nous décommissionnons les outils, dès que cela est pertinent. Nous avons une feuille de route sur deux à trois ans en la matière. »
Sophie BuresiDirectrice groupe Data et CRM, groupe Etam

Avant le début de la mise en place de la stratégie cloud, les équipes marketing et CRM s’appuyaient sur Tableau Server. Les équipes achats et retail exploitaient principalement Business Objects et SAP Analytics Cloud. Certains collaborateurs n’étaient pas équipés et exécutaient des requêtes SAP Analysis for Microsoft Office directement sur BW/4HANA. « Nous avions un peu de Data Studio et Looker pour les équipes e-commerce et même un peu de Toucan Toco pour la direction », complète Sophie Buresi.

Évidemment, cette migration ne peut pas se faire en mode « Big Bang ». « Nous reconstruisons les cas d’usage au fur et à mesure. Et nous décommissionnons les outils, dès que cela est pertinent », explique-t-elle. « Nous avons une feuille de route sur deux à trois ans en la matière ». 

Ainsi, l’entrepôt de données sur site BW4/HANA est devenu une source de données pour alimenter Snowflake, tandis que les briques BI autres que Tableau n’ont pas disparu du jour au lendemain. De manière plus générale, certains jeux de données sont exposés à des outils internes et à des partenaires à l’aide des outils d’intégration de MuleSoft et de Talend. « Concernant BW4/HANA, il sera amené à être challengé le jour où nous adopterons S/4HANA. La migration d’un ERP ECC vers S4 n’est pas un petit sujet », rappelle Sophie Buresi.

Quant aux data scientists d’Etam, ils travaillent déjà sur Snowpark, l’environnement qui leur est dédié sur Snowflake. « Ils travaillent aussi sur leurs serveurs on-premise ». Pour la gouvernance de données, plus spécifiquement pour les besoins de data lineage et de supervision, la direction data envisageait d’adopter un outil spécifique. « Snowflake élargit tellement son périmètre que l’on se pose la question : avons-nous réellement besoin de nous équiper ? », se demande la directrice data. En revanche, un outil externe consacré au catalogage des données « axé métier » demeure utile, estime-t-elle.

De juin 2023 à janvier 2024, le groupe Etam s’est concentré sur « l’assainissement de ses data foundations ». « Une refonte totale demeure un fantasme en entreprise », lance Sophie Buresi. « Au data office, nous avons mis 70 % de notre énergie à développer des fondations plus saines et 30 % de notre charge de travail sur la création de valeur, dont la refonte de la BI et nos différents cas d’usage de data science ».

Maintenir l’enthousiasme des métiers

L’arsenal se précise. Encore faut-il que les collaborateurs puissent et sachent s’en servir.

« J’ai beaucoup de chance », estime Sophie Buresi. « Les métiers sont très en demande : ils avaient déjà des listes de cas d’usage établies quand je suis arrivée ».

« Nous passons un certain temps à présenter les projets qui sont développés, à mettre en place des cycles de formation, à proposer de courtes vidéos, etc. »
Sophie BuresiDirectrice groupe Data et CRM, groupe Etam

La transformation « data » tardive d’Etam est finalement bénéfique. En revanche, reconnaît-elle, il faut maintenir cet attrait. Le temps de déploiement de la plateforme et des outils connexes a « un peu ralenti l’enthousiasme derrière le projet ».

« Il nous a fallu remobiliser les métiers. Nous passons un certain temps à présenter les projets qui sont développés, à mettre en place des cycles de formation, à proposer de courtes vidéos, etc. Nous essayons de les engager autant que possible », relate la directrice.

La diffusion des savoirs et des usages passe aussi par l’adoption d’un modèle d’organisation fédéré. « Cela demande de recruter des collaborateurs spécialisés. Ce n’est pas simple, le contexte du recrutement est assez tendu ».

Le « data office » qui opère au sein de la DSI centralisait toutes les compétences liées au traitement de données. « Il n’y avait plus de profil data au sein des quatre marques concernées, donc la première étape a été de recruter à nouveau des data analysts côté métier, qui jouent désormais le rôle de premiers ambassadeurs », explique Sophie Buresi. « Actuellement, nous sommes en train d’identifier des data champions pour chaque domaine fonctionnel ».

 Or désigner un champion par domaine pour chaque marque est difficile, constate la directrice. « Nous envisageons de créer des postes de data champions transversaux au niveau du groupe. C’est une réflexion toujours en cours », prévient-elle.

Une feuille de route chargée

Le fait de s’appuyer d’abord sur des data analysts reflète la feuille de route de la direction data. Les premiers cas d’usage qu’elle souhaite mettre en place sont liés au reporting.

« D’ici à la fin de l’année, je veux pouvoir intégrer un deuxième périmètre, notamment pour intégrer les données logistiques et financières que nous n’avons pas encore intégrées à la plateforme. »
Sophie BuresiDirectrice groupe Data et CRM, groupe Etam

L’année prochaine, elle s’attaquera à la BI opérationnelle, celle déployée dans les magasins. « Nous avons de gros systèmes existants à gérer, très utilisés par les métiers, mais qui sont malheureusement mal conçus et où les données sont souvent erronées », déplore Sophie Buresi. « Ce sont deux enjeux pour moi : moderniser la pile technologique et décrocher les métiers de cette BI ». Ces deux projets décisionnels regroupent 1 000 usagers, dont 300 à 350 utilisateurs au siège.

Une fois la refonte BI terminée, la direction data espère consacrer 50 à 60 % de sa charge de travail aux cas d’usage. « Nous passerons davantage dans un mode “Run”, même si des sujets de transformation persisteront sur la plateforme de données ».

Depuis le déploiement de Snowflake, le data office a accompli son objectif, c’est-à-dire y ingérer un premier périmètre de données suffisant pour couvrir les cas d’usage listés plus haut. « D’ici à la fin de l’année, je veux pouvoir intégrer un deuxième périmètre, notamment pour intégrer les données logistiques et financières que nous n’avons pas encore intégrées à la plateforme », annonce la directrice. Le Data Office est également en train de bâtir et de déployer les 10 premiers tableaux de bord importants de type « Product 360, Customer 360,  Retail 360 ». « Ces gros tableaux de bord servent plusieurs métiers ».

En matière de data science, la prévision des ventes chez Etam et Undiz est la priorité. « Nous sommes également en train de bâtir un modèle d’attribution maison qui nous permettra de décommissionner certaines briques sur étagère achetées pour compenser les manques internes », ajoute-t-elle. « Et nous allons reconstruire sur Snowflake un cas d’usage nommé “promopricing” dans notre petit jargon. C’est un projet d’optimisation de la stratégie promotionnelle. Ce cas d’usage était en “live”, mais sur une plateforme AWS qui n’était plus alimentée ni maintenue ».

Il reste une petite marge de manœuvre consacrée à l’innovation. La direction data attend de pied ferme la solidification des fonctionnalités d’IA générative dans sa plateforme de données.

L’IA générative, ce petit « plus » prometteur

« Il y a un sujet très important pour nous en matière d’accessibilité : la capacité pour les métiers d’interroger Snowflake en langage naturel », avance Sophie Buresi. « Pour l’instant, il s’agit de générer une requête SQL à partir d’un message en langage naturel. Demain, j’aimerais que les métiers d’Etam aient accès à un assistant, qu’ils n’aient pas à voir la requête pour des besoins simples ».

En attendant, Etam se tourne vers Tableau Pulse, un outil BI qui intègre de l’IA générative pour expliquer des métriques choisies en collaboration avec les métiers. « Nous mettons beaucoup d’efforts sur la gouvernance des données et des métadonnées pour que Pulse produise des résultats pertinents, mais à terme j’aimerais me passer d’intermédiaire et je préférerais que cette capacité soit au plus proche des données ».

La direction data envisage également de développer un chatbot couplé à un système RAG pour faciliter la recherche dans sa documentation par les métiers. « L’IA générative n’est pas forcément notre priorité, nous avons déjà beaucoup à faire en gestion de données et en BI », nuance-t-elle.

De fait, si cette transformation est souhaitée et portée par la direction du groupe Etam, il n’en reste pas moins que la direction Data travaille presque en flux tendu. « La taille de mon organisation reste stable. Les mêmes équipes doivent à la fois gérer le legacy, assurer le fonctionnement quotidien, et soutenir la transformation », évoque Sophie Buresi. « Cela crée de la frustration, car quand je mobilise des ressources pour la transformation, j’ai moins de temps à consacrer à la gestion du legacy et aux projets opérationnels ».

« Le métier estime que nous n’en faisons pas assez sur l’opérationnel, et il est crucial de prouver rapidement la valeur de notre transformation pour ne pas perdre l’élan créé au cours de cette dernière année ».

Source image : ©Etam

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