Comment Renault pilote la consommation d’énergie dans ses usines

Dans le cadre de sa démarche « Net Zero Carbon » et face à l’inflation des prix de l’énergie, le fabricant automobile a mis en place la plateforme Ecogy pour piloter la consommation de ses usines. Les ingénieurs du groupe mêlent analytique et visualisation en temps réel, afin d’obtenir des économies conséquentes.

Plus que n’importe quelle industrie, le secteur de l’automobile se voit dans l’impérative de réduire ses émissions carbone. Selon une étude de l’agence européenne pour l’environnement (AEE) publiée en 2019 et revue en 2022, 71,7 % des émissions dues aux transports dans l’Union européenne sont à imputer au transport routier en 2019, dont 60 % à l’usage de voitures par des particuliers.

Selon les chiffres de l’agence internationale de l’énergie (AIE), en 2021, 37 % des émissions CO2 mondiales étaient imputables aux transports, et 8 % des émissions directes aux voitures et aux camionnettes.

Photo de la Zoe
La Zoe, symbole de l’électrification chez Renault et l’un des moyens de réduire les émissions scope 3.

Si les constructeurs européens ont misé sur le diesel (66,7 % des transports routiers ont utilisé ce carburant en 2019 en UE, selon l’AEE) pendant de nombreuses années, le scandale du Dieselgate et l’arrivée sur le marché de Tesla ont poussé les constructeurs à accélérer l’électrification de leurs véhicules. Et cette politique prend. En 2021, les voitures électriques représentent « 17,8 % de tous les nouveaux véhicules de particuliers immatriculés en 2021 », écrit l’AEE, contre 10,7 % en 2020.

C’est ce virage qu’est en train de prendre Renault. Dès 2030, le groupe ne commercialisera plus de véhicules thermiques.

Sous le regard des autorités internationales, le groupe a conscience de son empreinte carbone et se plie aux règles RSE.

En 2021, Renault estimait avoir émis plus de 67,97 millions de tonnes équivalent carbone (Scope 1,2 et 3), dont plus de 55 millions (81 %) sont liés à l’utilisation des véhicules vendus.

Ce passage à l’électrique lui permettrait de réduire de moitié les émissions d’usage par véhicule vendu en 2030 en Europe par rapport à 2010.

Réduire les émissions… et les coûts de production

Renault veut également réduire de moitié les émissions produites par ses usines dans le monde d’ici à 2030.

En 2021 le groupe estimait que la « mise à disposition des matières premières représentait en moyenne 16 % » de son empreinte carbone en 2021, tandis que seulement 3 % de son empreinte CO2 était liée à l’industrie, l’ingénierie, le transport et le commerce de ses véhicules.

Il faut dire que le groupe s’engage depuis plus de dix ans à concevoir des usines moins polluantes.

Dès 2012, le constructeur automobile français lançait la construction d’une usine « net zero carbon » à Tanger, au Maroc. « Nous y avons installé une chaudière biomasse qui utilise comme carburant des noyaux d’olive. Ce carburant renouvelable par excellence permet de ne pas épuiser les ressources du sol », assure Thierry Daneau, Expert leader, industrial system 4.0 chez Renault.

Cette chaudière biomasse fournirait 92 % de l’énergie nécessaire à son activité.

Cette diminution de l’empreinte carbone passe par divers moyens. Il y a d’abord la diversification de l’approvisionnement en énergie renouvelable. À la faveur d’une mesure prise par le gouvernement espagnol, Thierry Daneau évoque la signature d’un contrat de fourniture d’énergie 100 % renouvelable avec Iberdrola pour les usines espagnoles et portugaises du groupe. « Cela représente la mise à disposition de 600 GWhs de puissance électrique », affirme le responsable.

« Nous avons un objectif net zéro carbone. Cela ne veut pas dire que nous n’émettrons plus de CO2, mais que nous cherchons un équilibre entre production et consommation d’énergie. »
Thierry DaneauExpert leader, industrial system 4.0, Renault

En France, les incitations portent moins sur les énergies renouvelables, étant donné que l’État mise en priorité sur le maintien et le développement de la filière nucléaire. Dans ce cas précis, Renault s’appuie sur des partenaires. C’est le cas avec Engie pour un projet de géothermie à l’usine de Douai afin de réduire de 70 % la consommation de gaz naturel nécessaire à la chauffe des fours. De même, Dalkia (filiale d’EDF) devrait assurer l’apport de biomasse nécessaire à la chauffe des fours de peinture de l’usine de Maubeuge en fournissant des déchets de bois de classe A (en provenance de scieries, de forêts ou de fabricants de palettes). Avec le soutien de GRDF, le fabricant d’automobiles espère également utiliser du biométhane issu de la production agricole et de l’élevage à proximité de trois de ses usines du nord de la France.

« Nous avons un objectif net zéro carbone. Cela ne veut pas dire que nous n’émettrons plus de CO2, mais que nous cherchons un équilibre entre production et consommation d’énergie », précise Thierry Daneau.

Réduire les émissions CO2 est important, mais le groupe tient aussi à réduire sa facture d’énergie. « L’énergie la moins chère, c’est l’énergie que l’on ne consomme pas », note-t-il « Une énergie que l’on ne consomme pas, c’est moins de gaz à effet de serre émis ». CQFD.

Et Renault n’a pas de petites factures d’énergie. En 2021, le groupe estime avoir consommé plus de 4 TWh, dont 48,7 % d’électricité (dont 20,5 % produite à partir d’énergies renouvelables) et 46,4 % de gaz naturel.

Cartographie énergies vertes
Cartographie énergies vertes

Un cas d’usage rattaché à la plateforme IDM 4.0

Il lui faut impérativement suivre la consommation de ses actifs, dont ceux exploités dans les usines. C’est en 2015 que le groupe a contractualisé avec un éditeur SaaS (dont Thierry Daneau préfère taire le nom) pour effectuer le suivi de la consommation de ses sites industriels.

« Ce fournisseur récupérait les données de Renault, créait des tableaux de bord et les mettait à notre disposition. Ce fournisseur a considéré que l’activité n’était pas rentable. Nous nous sommes retrouvés du jour au lendemain sans perspective », déplore l’expert.

Renault a finalement considéré l’événement comme une opportunité pour basculer la récolte de données dans ses usines vers sa plateforme de data management montée par-dessus les services de Google Cloud.

« Il s’agit d’obtenir notre prévision de consommation afin de négocier avec les fournisseurs d’énergie le prix le plus intéressant possible. »
Thierry DaneauExpert leader, industrial system 4.0, Renault

Pour information, en 2017, le groupe a adopté OPC-UA, un protocole pour rendre interopérables les données des machines industrielles et créer des modèles de données unifiées. Dans le cadre d’un partenariat avec Google Cloud, ces données ont intégré une plateforme nommée IDM 4.0 (Industry Data Management 4.0), déployée en 2019. Pour ce faire, Renault exploite des serveurs sur site et des passerelles IoT ainsi que des outils GCP comme DataFlow et BigQuery.

« Entre février et juillet 2022, nous avons récupéré les données envoyées à ce fournisseur, puis nous avons reconnecté 10 000 compteurs installés dans 24 usines à cette infrastructure », relate le responsable.

Ces compteurs relèvent les consommations d’électricité, de gaz, d’air comprimé, d’eau chaude et d’eau froide. « Nous consommons de l’eau froide pour refroidir les pinces à souder utilisées en tôlerie, de l’eau chaude pour chauffer nos bâtiments », explique-t-il. « Ces compteurs nous permettent d’avoir la vision macro des consommations au niveau des postes de distribution et au niveau de l’usine ».

À partir des données stockées sur la plateforme IDM4.0, les ingénieurs de Renault ont créé le portail Ecogy. Le premier tableau de bord visait à reproduire les indicateurs fournis précédemment par l’éditeur tiers.

Photo de Thierry Daneau explique la politique énergétique mise en place dans les usines du groupe.
Thierry Daneau explique la politique énergétique mise en place dans les usines du groupe.

« Nous avons des visualisations de la consommation à l’heure, à la journée, à la semaine, au mois », détaille le responsable. « Des équipes de pilotage de la performance sont présentes dans chaque usine pour favoriser les économies ». Cela représente aujourd’hui 350 utilisateurs qui y ont accès via un simple lien URL.

Comme Renault reprenait les données envoyées auprès de son fournisseur et qu’il a mis en place OPC-UA, « les informations étaient déjà bien structurées ».

Avec ces KPI, les experts métier peuvent déployer des plans d’action, en commençant, comme dans le cloud, « par éteindre les machines et les lumières le soir avant de partir ».

Des algorithmes de machine learning pour négocier avec les fournisseurs d’énergie

Malgré tout, Renault est soumis à la fluctuation des prix de l’énergie. « Le prix du gaz explose avant la période hivernale, il redescend au printemps, ou des événements extraordinaires comme la guerre en Ukraine perturbent l’approvisionnement », illustre Thierry Daneau.

Les experts du groupe se penchent donc sur l’utilisation d’algorithmes de machine learning pour prédire la consommation des usines. « Il s’agit d’obtenir notre prévision de consommation afin de négocier avec les fournisseurs d’énergie le prix le plus intéressant possible ».

Là encore, IDM4.0 a son rôle à jouer. La plateforme contient les données des machines, mais également les données de fabrication. « Nous avons accès au programme de fabrication. L’on peut savoir si l’usine de Douai sera ouverte ou fermée dans trois semaines, s’il y a des risques de pénuries de composants, etc. », informe l’expert.

La météo joue également sur la facture d’énergie des usines. En combinant les données de tarification et les relevés météorologiques, Renault peut là encore tenter d’économiser de l’argent. « Nous travaillons avec des laboratoires de recherche pour obtenir des algorithmes de prédiction les plus précis possibles », assure Thierry Daneau.

Des alertes pour détecter les pics de consommation

Au quotidien, il peut y avoir des imprévus. D’où l’a nécessité de mettre en place des alertes.

D’autant que le groupe doit faire avec le « talon de la consommation ». « Quand une usine s’arrête de fabriquer lors d’une période de fermeture ou le week-end, il existe un résiduel de consommation. C’est ça le talon », signale le responsable. « C’est une énergie perdue : l’on ne fabrique rien, elle ne fait pas rentrer de chiffre d’affaires ».

« La mise en place de tableaux de bord et d’un management incitatif ne va pas suffire. Il faut revoir les processus de fabrication. »
Thierry DaneauRenault

Chez Renault, le talon peut avoisiner 20 % de la consommation d’énergie d’une usine. C’est un phénomène qui s’est aggravé avec la pénurie de composants qui, chez le constructeur, a régulièrement provoqué et provoque encore des arrêts de production.

« Nous avons travaillé avec les responsables des usines pour réduire cette empreinte énergétique hors période de fabrication », renseigne-t-il. « Nous avertissons les usines quand elles sont en dépassement de consommation afin qu’elles rectifient la trajectoire ».

Résultat entre en 2021 et 2022, Renault a réduit sa consommation d’énergie de 14 % par véhicule produit.

« Avec la crise, nous avons produit moins de véhicules. Dans les faits, cette baisse est plus importante que 14 % », affirme Thierry Daneau.

Ces efforts ne sont pas négligeables. Déjà en 2021, le groupe estimait avoir économisé « environ 9,54 millions d’euros sur la facture énergétique annuelle », selon son rapport RSE.

D’ici à 2025, Renault compte réduire de 30 % sa consommation d’énergie par rapport à 2021. « La mise en place de tableaux de bord et d’un management incitatif ne va pas suffire. Il faut revoir les processus de fabrication », juge-t-il.

Certains éléments d’une chaîne de fabrication ne peuvent « jamais être arrêtés ». En fonderie, ce sont des bains servant à la fabrication de pièces en aluminium ou en acier. Renault peut jouer sur la température des bains au repos. « Nous avons fait un essai à Cléon (Seine-Maritime) dans une fonderie, nous avons baissé de trois degrés la température du bain pendant le week-end, il n’y a pas de changement de caractéristiques de la matière. Il suffit de remonter la température le lundi matin et l’on observe des économies importantes ».

Le temps réel au service des opérateurs

Il y a un autre enjeu important : la réactivité. Or les données issues de la plateforme IDM4.0 sont rafraîchies toutes les heures. « Dans les usines, nous sommes en train de déployer un protocole de récupération et d’affichage en temps réel des données machines ».

La solution ? Nourrir des tableaux de bord en se connectant directement aux passerelles présentes dans les usines.

En avril 2023, les données de 450 machines étaient rafraîchies toutes les 300 millisecondes et affichées aux opérateurs à travers un tableau de bord à partir duquel ils peuvent manuellement constater un défaut de consommation. « Actuellement, nous faisons des relevés à l’échelle des ateliers, là nous descendons à la maille machine », décrit Thierry Daneau.

Photo d'un atelier
Dans certains ateliers, la consommation d’électricité des robots collaboratifs de Renault est mesurée en temps réel afin de détecter des pics anormaux qui pourraient affecter la facture d’énergie ou résulté d’un dysfonctionnement.

Le système est notamment déployé dans l’usine de Cléon où Renault fabrique ses moteurs hybrides rechargeables. Cette visualisation permet sur un lot de machines identiques en provenance du même fabricant de constater des variations de consommation. « Tout le monde peut s’approprier ce tableau de bord et constater immédiatement les écarts. Avant de faire de l’intelligence artificielle, il est important de visualiser les informations pour mieux la comprendre et imaginer des automatisations plus tard ».

Visuellement, les ingénieurs de Renault ont choisi d’associer des couleurs vives aux valeurs élevées.

« Dans une usine, une des machines consomme au maximum 210 kWh en production. Grâce au tableau de bord, les opérateurs se sont aperçus qu’elle consommait encore 90 kWh au repos. C’était une erreur de programmation : elle ne s’arrêtait pas proprement hors période de fabrication », illustre l’expert des systèmes industrie 4.0 chez Renault. « Les opérateurs ont compris très rapidement le problème ».

Plus tard, les ingénieurs de Renault pourraient s’appuyer sur des procédés analytiques ou du machine learning. En rapprochant les données de fabrication du relevé de consommation, les experts du groupe peuvent déterminer si un problème est mécanique, logiciel ou autre.

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