Une équipe de transformation dédiée, rattachée au CDO, accompagne au sein de Decathlon les métiers vers une organisation en domaines de données. En cohérence avec les piliers du Data Mesh, cette « Enabling Team » intervient aussi sur la Data-as-a-product et la plateforme de données.
Les buzzwords passent, mais les principes sous-jacents demeurent, parfois. C’est le cas du Data Mesh, mis en œuvre ou pris comme inspiration sur certains de ses piliers par des entreprises comme Getlink, la RATP ou La Centrale.
Les principes du Data Mesh constituent également une trajectoire pour le distributeur d’articles de sport Decathlon. L’industrialisation des modèles d’intelligence artificielle n’est en effet pas le seul axe sur lequel s’efforce de progresser le groupe français.
Combinaison Data-as-a-Product et Data Architecture
Pour tirer parti des piliers du Data Mesh, Decathlon dispose d’une équipe de transformation dédiée réunissant des compétences en architecture, en management de produit, en audit et en stratégie. L’initiative est venue de collaborateurs, qui ont formalisé dans un document à la fois une « vision », les ETP nécessaires, les actions prioritaires et une roadmap.
La proposition a été soumise par Pierre-Yves Bonnefoy (ex-architecte Data et désormais CEO d’Olexya) et Gaëlle Seret (ex group product manager) au CDO de l’entreprise, qui leur a alloué des moyens pour la mettre en œuvre.
La finalité de la démarche initiée à partir de 2024 visait à constituer une « Enabling Team » combinant Data-as-a-Product et Data Architecture. Dans ce cadre, des audits ont été lancés sur les projets Data et leurs développements, notamment dans le but « d’améliorer les processus », indique l’architecte à l’occasion de la conférence DIMS 2025 de l’IMA.
Quant à Gaëlle Seret, son action se concentre sur deux piliers du Data Mesh : l’orientation en domaines de données – avec un « rôle stratégique auprès du leadership et en particulier du CDO » – et la Data-as-a-Service (au sein des équipes Product Manager ou Analytics Engineers et Data Engineers dans certains pays).
« Nous sommes au cœur de la transformation. Cela ne signifie pas que tous les projets passent par nous. Pas du tout. Notre rôle consiste avant tout à proposer une vision, à la construire avec eux, et ensuite à les laisser en autonomie. Les équipes viennent nous voir lorsqu’elles ont des problématiques à résoudre », précise Gaëlle Seret.
Une passerelle entre la Data Platform et les domaines
Audit, conseil et accompagnement ponctuel sont ainsi réalisés par l’Enabling Team. Des objectifs bien précis pour déployer le Data Mesh lui ont été attribués. Son autre but est de favoriser une réduction des coûts (stockage, compute…).
Pierre-Yves Bonnefoy qualifie le rôle de cette équipe de « passerelle » entre la plateforme de données, « qui propose une stack technique », et les domaines, « qui ont des données à déposer dans le datalake et à exploiter. »
Il s’agit ainsi d’intégrer les données au Data Mesh, en suivant pour cela trois lignes directrices : la compréhension (maturité et culture Data), la modélisation et l’architecture.
« Nous essayons d’amener les domaines vers une standardisation pour qu’il n’y ait qu’une infrastructure à gérer. »
Pierre-Yves BonnefoyEx data architect, Decathlon et CEO, Olexya
« Chacun a besoin d’une architecture adaptée », souligne l’architecte. Et celle-ci diffère, par exemple, entre un métier gérant des vélos connectés en mode IoT (nécessitant du Kafka en temps réel), et une direction financière pour laquelle une mise à jour quotidienne suffira.
Ces spécificités doivent néanmoins être conciliées avec « un socle commun », dans une optique d’homogénéisation. Le but est de permettre la maîtrise des composants techniques par les experts plateforme de Decathlon, qui dispose d’un existant et d’un catalogue d’outils. « On se doit de les utiliser et de les partager […] Nous essayons d’amener les domaines vers une standardisation pour qu’il n’y ait qu’une infrastructure à gérer. »
Au niveau plateforme toujours, des objectifs et des indicateurs cibles ont été définis. Gaëlle Seret les décrit comme « extrêmement concrets et “terrain”. »
Des product managers préparés au Data Mesh
Le volet compréhension s’appuie sur des rencontres avec les product managers (ou leur équivalent). Il s’agit d’évaluer leur maturité (opérationnelle) vis-à-vis de la vision Data Mesh. L’évaluation repose en particulier sur des matrices de compétences et sur leur évolution (« job ladders »).
Des interlocuteurs (les « teammates ») dans les domaines ont été identifiés. « Ils commencent à être embarqués sur les démarches Data Product », précisait Gaëlle Seret en mars.
Ces coéquipiers de la stratégie Data Mesh ont différents profils : data analystes, product managers (nommés Data PM), soit des analytics engineers (avec un début d’expérience en product management).
Cette « très forte hétérogénéité » suppose donc de la part de l’Enabling Team un « onboarding sur ce qu’on attend concrètement d’eux sur le terrain. »
L’objectif sur le pilier de la compréhension est de définir la trajectoire vers la « maturité attendue », afin de disposer de product managers « pleinement participants au Data Mesh ». Cette maturité atteinte, l’Enabling Team les assiste sur le volet modélisation des données.
Là encore, le but du partage des principes de modélisation communs est de rendre les produits de données des différents domaines interopérables. « Nous leur apprenons à faire une modélisation qui leur permet de communiquer tous entre eux », résume Pierre-Yves Bonnefoy.
À défaut, pour les domaines en silos, les données ne sont pas partagées à l’échelle de l’entreprise. La diffusion des bonnes pratiques de modélisation passe notamment par des audits et des formations, y compris parmi les membres de l’équipe de transformation.
À chaque data product son NPS et score de maturité
En matière de modélisation, « l’enjeu principal » consiste à ce que l’ensemble des data products construits par les teammates soient déclarés et leur maturité mesurée. Cette étape est l’opportunité sur certains marchés disposant de leur propre stack technique de réaliser un recensement des produits existants et de préparer une convergence vers le socle commun.
« Mon objectif est que 100 % des équipes produisant de la donnée disposent d’une stratégie, et que cette stratégie soit alignée avec la stratégie d’entreprise. »
Gaëlle SeretEx group product manager, Decathlon
La roadmap présentée par Decathlon prévoyait au deuxième trimestre des actions en matière d’acculturation. Pour les définir précisément, Gaëlle Seret a dû au préalable identifier la maturité de chacun des teammates.
L’information est destinée aux group product managers et restituée sous forme d’une matrice mesurant pour chacun la maturité des équipes et celle de leurs produits. Les produits doivent ainsi comporter une boucle de feed-back avec leurs utilisateurs (des clients internes).
La mesure n’est toutefois pas une fin en soi. « Mon objectif est que 100 % des équipes produisant de la donnée disposent d’une stratégie, et que cette stratégie soit alignée avec la stratégie d’entreprise », commente l’experte du fabricant et distributeur.
Concernant l’architecture, l’indicateur principal porte sur le pourcentage de réduction de coûts, à la fois sur le build et sur le run. Au cours des deux premiers mois de 2025, une économie de 30 % aurait été réalisée sur les coûts de stockage. Soit plusieurs centaines de milliers d’euros économisés.
Des gains sur le stockage et le calcul par la rationalisation
D’après Pierre-Yves Bonnefoy, les gains découlent notamment d’un meilleur usage de Delta Lake sur Databricks et d’un nettoyage du stockage des tables et de leurs différentes versions. Des optimisations sur le format Delta Lake ont aussi été réalisées pour gagner en performance sur le requêtage et ainsi réduire le coût du « compute ».
Sur le calcul, l’architecte estime pouvoir générer le double d’économies de celles réalisées sur le stockage. Les KPI, surtout financiers, sont clés dans la démarche de Decathlon, en particulier pour obtenir des moyens supplémentaires, motiver la nomination d’ambassadeurs et convaincre les teammates (et leurs responsables) de dédier une partie de leur temps de travail.
Toujours dans la rationalisation, l’équipe transformation est aussi intervenue sur les tableaux de bord, en accord avec les responsables de l’analytics. Résultat, en mars, le nombre de dashboards a été ramené de 9 000 à 400 (chacun avec un lineage).
Pour évaluer sa propre performance, l’Enabling Team dispose d’un NPS basé sur les retours terrain de ses interlocuteurs après intervention. La collecte de nouveaux feed-back est programmée pour le troisième trimestre. Elle englobe également les feed-back des clients finaux des Data Products.
Enfin, au quatrième trimestre, Decathlon vise l’industrialisation de son framework Data Mesh avec 100 % de teammates ayant complété leur matrice de compétences. À cette échéance, 100 % des produits devraient s’appuyer sur la maturité et les retours utilisateurs pour gérer leur cycle de vie – afin d’identifier le déclin d’un produit et les décisions à prendre alors.
« Chez Decathlon, comme dans beaucoup d’autres entreprises, nous avons parfois du mal à décommissionner », admet l’expert. « La décommission nécessite de soigner l’accompagnement » pour atténuer ou lever les freins au changement. L’équipe transformation ambitionne en outre de rationaliser les tables redondantes et ainsi de partager des référentiels, par exemple sur les ventes.