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Espace santé, Amelipro, appli Carte Vitale : les chantiers numériques de la Cnam
La caisse nationale de l’Assurance maladie mène de front de multiples projets sur le numérique en santé, dont Mon espace santé devenu son « vaisseau amiral ». La Cnam prévoit d’y intégrer de multiples fonctionnalités dans une logique de portail de services.
À l’image de l’Urssaf (avec qui elle construit d’ailleurs un cloud mutualisé), la Cnam conduit de multiples projets numériques. Cette activité n’est pas nouvelle. Cependant, elle s’est considérablement accélérée, tient à souligner son directeur général, Thomas Fatôme.
Selon lui, la Cnam est entrée dans une nouvelle phase en matière d’investissements et de développement de services. La première a été consacrée au déploiement des téléservices de l’Assurance maladie avec la Carte Vitale en 1998, Ameli en 2000 et Amelipro (ex Espace Pro) en 2004.
Un savoir-faire informatique au service d’un rôle d’opérateur
Le nouveau cycle a été amorcé en 2015 avec la reprise du DMP (Dossier Médical Partagé), qui a fait basculer la Cnam dans un « rôle d’opérateur central du numérique en santé ». Et cette fonction s’est ensuite confirmée avec le lancement de Mon espace santé – généralisé en 2022.
« Ce deuxième cycle s’est construit autour d’une feuille de route du numérique en santé », dont la première version couvrait la période 2019-2022. Elle a été suivie en 2023 d’une nouvelle mouture pour 2023-2027 définissant 18 priorités et 65 objectifs.
C’est en cohérence avec ces orientations que la Cnam a ainsi développé une application mobile Carte Vitale et l’ordonnance numérique – tout en continuant d’étendre le périmètre fonctionnel des services existants comme Mon espace santé.
Pour remplir cette mission, la Caisse revendique « un savoir-faire informatique » bâti au travers de la gestion de « systèmes d’information de très grande ampleur » (43 millions d’utilisateurs pour Ameli) et « d’une des plus grandes bases de données au monde », le SNDS – Système National des Données de Santé.
« Nous disposons de la capacité de concevoir des produits numériques de forte envergure. Mon espace santé en est une illustration », déclare Thomas Fatôme. L’ex-DMP est d’ailleurs présenté comme le « vaisseau amiral » de l’Assurance Maladie. Sa montée en charge est qualifiée de « continue et soutenue ».
Des données et services sur Mon espace santé pour tirer les usages
Le but de l’Espace santé est donc de fournir aux assurés et aux professionnels un « coffre-fort numérique, sécurisé et hébergé en France » unifiant les données de santé. Pour éviter le syndrome « de la coquille vide » et favoriser son utilisation, l’Espace a été connecté à « des canaux d’alimentation » en données.
« Nous avons créé les conditions pour qu’il soit alimenté et ainsi consulté », juge le directeur général de la Cnam. « Nous sommes au début de ce cycle. Il reste un travail considérable d’appropriation à mener », reconnaît-il.
Afin de doper les usages, Mon espace santé intègre donc différentes fonctionnalités. En plus du dossier médical, du profil médical et de la messagerie implémentés en 2022, la Cnam a ajouté des briques Agenda et Catalogue de services (comprenant plus de 30 sites et applications, dont Doctolib et Withings).
Les utilisateurs répondent-ils présents ? L’Assurance Maladie revendique un « bon début d’année 2024 » avec plus de 500 000 activations par mois de mars à mai pour un total de 13,26 millions d’activations. 18,6 % des assurés sont aujourd’hui concernés. Précisons que l’activation repose sur une logique d’opt-out.
L’alimentation en données est opérationnelle elle aussi avec par exemple 223,8 millions de documents de santé transmis par les professionnels sur 32,4 millions de DMP au cours des 12 derniers mois (dont 42 % de comptes rendus d’examens biologiques). Les patients ont quant à eux alimenté 3 millions de DMP sur la période avec 6,2 millions de documents.
L’enjeu principal pour la Cnam consiste à présent à encourager la consultation, en particulier par les professionnels de santé. Un accompagnement par les 450 délégués du numérique en santé est prévu à cet effet.
Aligner Mon espace santé et Amelipro
Côté patients, des évolutions fonctionnelles sont prévues, notamment dans le domaine de la prévention. Grâce à un décret, la Cnam pourra transmettre dans les prochains mois des messages de prévention (dépistages et vaccinations par exemple) directement sur l’Espace santé.
Sandrine FrangeulResponsable à la direction opérationnelle du numérique et de l’innovation en santé, CNAM
L’ouverture des échanges de données avec des applications sélectionnées par le ministère de la Santé doit aussi entrer en vigueur d’ici la fin 2024. Entre fin 2024 et début 2025, la Cnam hébergera des documents supplémentaires sur l’Espace santé, dont les arrêts de travail et protocoles de soin. L’alimentation sera automatisée pour les actes réalisés via Amelipro.
« L’outil va continuer de s’enrichir. La feuille de route est particulièrement chargée. » Elle l’est également pour Amelipro, le portail de services historique de l’Assurance Maladie. Pour piloter son évolution, la Cnam a d’ailleurs initié la création d’un club utilisateurs composé de professionnels de santé.
Avec Amelipro (450 000 utilisateurs), l’ambition est de faire du bouquet de services pros « le miroir de Mon espace santé », confie Sandrine Frangeul, responsable à la direction opérationnelle du numérique et de l’innovation en santé.
L’empilement de plus de 30 services (arrêts de travail dématérialisés, déclarations de médecin traitant, prescriptions de transport…) au cours des 20 dernières années nécessite pour cela une refonte.
La Cnam souhaite en particulier accroître la facilité d’usage de son outil, y compris par une plus forte intégration entre les services, et diversifier la composition du bouquet aux professionnels dans le but de simplifier les échanges avec l’Assurance Maladie.
« Nous étions au départ plus positionnés sur le remboursement et les échanges médico-administratifs. Avec la transformation et l’enrichissement de notre bouquet de services, nous passons sur une dynamique de gestion du numérique en santé », explique Sandrine Frangeul.
Ordonnance numérique : des obstacles logiciels
Cette trajectoire se traduit par l’intégration dans le portail de services tiers dans une logique SSO, ce qui permettra d’éviter à l’utilisateur de multiplier les étapes d’identification. Différentes intégrations de ce type sont prévues – par exemple avec Via Trajectoire pour les demandes d’admission en EHPAD.
L’autre grand chantier des « mois et années à venir » visera à ouvrir Amelipro et ses fonctionnalités aux professionnels des établissements de santé, au-delà donc des libéraux qui constituent la base d’utilisateurs actuelle. L’obstacle à cette ouverture réside au niveau de l’authentification.
La Cnam développe également deux autres produits numériques que sont l’ordonnance dématérialisée et l’application Carte Vitale. Embarquant un QR Code, l’ordonnance numérique n’est pas destinée à « tuer l’ordonnance papier à laquelle patients et professionnels de santé restent attachés. »
« Le but est de faire porter par l’ordonnance une information fiable permettant de vérifier la réalité de l’ordonnance et de son contenu », souligne Thomas Fatôme. Destinée à faciliter les échanges entre médecins et pharmaciens, elle constitue aussi un moyen de lutter contre la fraude.
Thomas FatômeDirecteur général, caisse nationale de l’Assurance maladie
Le dirigeant précise que le service repose sur une base de données hébergée en France directement par l’Assurance Maladie. Son accès est restreint aux professionnels médicaux via la carte CPS. Le 31 mai 2024, plus de 22 millions d’ordonnances numériques avaient été créées par les médecins, dont 6,4 millions durant le premier trimestre 2024.
Son utilisation n’est pas généralisée à ce jour puisque 19 646 médecins en France ont pour le moment créé au moins une ordonnance de ce type, soit environ 18 % des libéraux. La démocratisation passera nécessairement par son intégration avec les logiciels métiers des médecins et pharmaciens. Pour assurer la qualité de l’implémentation, les éditeurs sont soumis au respect d’un cahier des charges strict.
Tous les logiciels du marché ne sont pas compatibles à ce jour (50 % de médecins sont équipés de logiciels adaptés), expliquant le temps d’adoption de l’ordonnance numérique, justifie Thomas Fatôme. Un choix assumé pour prévenir des défauts de qualité des solutions logicielles et de l’insatisfaction.
Généralisation de l’Appli Carte Vitale à partir de 2025
Le déploiement auprès des pharmaciens est plus lent avec 6 logiciels compatibles (15 % de pharmacies équipées). Ainsi, 12,5 % des officines (2 481) ont exécuté au moins une ordonnance numérique. La Cnam tient cependant à préciser que leur nombre a triplé entre octobre 2023 et mai 2024 pour atteindre un total cumulé de 95 515 le 31 mai.
En ce qui concerne l’appli Carte Vitale, « une alternative dématérialisée à la carte physique », le déploiement est là aussi volontairement progressif. En effet, mi-2024, seuls 23 départements étaient concernés.
Sont éligibles, les assurés des régimes Cnam, MSA et MGEN et détenteurs de smartphones Android (minimum 7) ou iOS (version 12). Pour la génération de la carte, sont aussi nécessaires un compte Ameli (ou MSA), une adresse mail validée et un titre d’identité émis par la France (la liste sera étendue).
La généralisation de la carte numérique est prévue, région par région, à partir de 2025. Début juin, on dénombrait 217 000 titulaires d’une version numérique de la Carte Vitale. Comme pour l’ordonnance numérique, l’appli Carte Vitale requiert des logiciels métiers compatibles.
Thomas FatômeDirecteur général, caisse nationale de l’Assurance maladie
Pour fonctionner chez médecins et pharmaciens, un QR Code ou un appel NFC doit être lu par le terminal du professionnel. Ces deux professions sont équipées de logiciels compatibles à hauteur de plus de 80 %, indique Emmanuel Gomez, directeur de la maîtrise d’ouvrage informatique de l’appli Carte Vitale.
Les actes de facturation avec l’application mobile, qui mesurent l’usage réel, restent réduits. « Nous avons ici aussi un enjeu d’accompagnement des professionnels de santé », souligne le représentant de la Cnam.
La carte sera au cœur de la prochaine campagne des délégués du numérique en santé. Au nombre de 450 sur le territoire, ils auront fort à faire pour informer une population composée de 20 000 pharmaciens et 40 000 médecins.