Michelin roule à la Data pour réduire l’empreinte de ses usines
En s’appuyant sur les technologies de Microsoft et de Databricks, l’industriel a développé une plateforme, « Data for Energy », pour réduire de 3 % la consommation énergétique et de 120 000 tonnes de CO2 par an l’empreinte carbone de ses 65 usines.
Dans la mouvance de l’Industrie 4.0, Michelin a lancé la digitalisation de ses sites de production en 2018. L’initiative a vu le déploiement de la solution Aveva PI System dans ses 65 usines dans le monde. Cette plateforme de gestion de données en temps réel est utilisée par les équipes de chaque site pour optimiser le fonctionnement des installations au niveau local. Mais cette infrastructure Edge va se montrer particulièrement utile dans un projet beaucoup plus global : la nouvelle plateforme « Data for Energy ».
« Le but de ce projet est de réduire la consommation énergétique des usines », résume Mathieu Valcourt, membre de l’équipe composant PI system, chargé de ces logiciels déployés dans les usines Michelin. « L’objectif a été fixé à 3 % d’économie, ce qui peut paraître faible, mais en euros cela représente une économie significative. Pour la planète, cela représentera une réduction de 120 000 tonnes de CO2 rejetées par an. »
Une plateforme qui s’appuie sur le edge et sur le cloud
Le projet s’appuie sur deux piliers.
Son action commence dans les usines où la solution PI System est en production depuis 2022. « Nous avons des équipes digitales dans chaque usine qui exploitent cette plateforme et qui créent des cas d’usages locaux afin de répondre à leurs besoins », explique le responsable. « Ils ont développé énormément de petites applications pour monitorer leurs données en local. »
Cette infrastructure data locale est complétée par l’équipe « Data for Energy » pour structurer ces données et les remonter vers le cloud afin d’optimiser la consommation d’énergie des sites.
L’autre volet du projet porte sur l’infrastructure data dans le cloud pour traiter et exploiter cette donnée.
L’idée est de laisser aux usines la maîtrise de leur plateforme PI System pour le monitoring et les tableaux de bord, en quasi-temps réel, puis de travailler sur les analyses à plus long terme dans le cloud pour, par exemple, comparer les chiffres de consommation d’une campagne de production à celles des années précédentes.
Analyser plusieurs années de données
« Nous voulons aussi livrer une information agrégée pour les décideurs, les responsables de production, et les directeurs d’usine afin qu’ils puissent prendre les bonnes décisions. »
Baptiste AndrieuxProduct owner Industrie 4.0, responsable du produit Data for Energy, Michelin
« Notre focus, c’est l’analyse des données froides sur une, deux ou trois années d’historique dans le cloud », confie Baptiste Andrieux, product owner Industrie 4.0 pour Michelin, responsable du produit Data for Energy. « Nous voulons aussi livrer une information agrégée pour les décideurs, les responsables de production, et les directeurs d’usine afin qu’ils puissent prendre les bonnes décisions. »
L’équipe projet a travaillé avec Microsoft pour développer un outil capable d’extraire les données des plateformes Edge et les remonter dans Azure. La solution Databricks a été choisie dans le but d’assurer les volets de traitement, de qualification et d’exposition de la donnée – sous forme d’API pour les experts et à destination des applications.
« Nous travaillons en mode Produit. Et Data for Energy est un produit qui est développé par une équipe multidisciplinaire qui délivre une nouvelle version tous les trois mois », ajoute Baptiste Andrieux. « Chaque version doit apporter une extension de périmètre ou de nouvelles fonctionnalités. »
Le travail sur la version initiale a été initié fin 2023. Cette toute première version devait collecter les informations de comptage puis les qualifier. Baptiste Andrieux pointe a posteriori l’importance de cette contextualisation : « Lorsque des données sont erronées, il faut pouvoir les contextualiser pour indiquer aux collaborateurs qu’elles sont inutiles. Qualifier le comptage a été notre premier gros chantier. »
Le défi relevé de la standardisation des données entre usines
Cette contextualisation a imposé la mise en place d’une hiérarchie afin de savoir quel compteur était relié à quelles machines et quels compteurs étaient placés en amont, etc.
Une fois cette base de travail établie, le travail sur l’analyse des données des différents procédés industriels mis en œuvre dans les usines a pu commencer. En l’occurrence par le Mixing, le « mélangeage » de la gomme. « C’est un des procédés les plus consommateurs d’énergie chez Michelin », justifie Baptiste Andrieux. « Nous avons créé des datasets spécifiques avec toutes les informations métiers nécessaires aux experts pour qu’ils puissent l’améliorer. »
L’un des enjeux du projet est de collecter une information cohérente entre tous les sites industriels alors même que les équipements et les compteurs sont différents et que chaque site a nommé ses données différemment. Le pari de Data for Energy est de standardiser ces données, tout en laissant la main aux usines sur leurs plateformes de données Edge, sans les contraindre à modifier leurs templates de données.
« PI System a été déployé en 2019. La solution compte aujourd’hui 11 000 utilisateurs dans les usines », recontextualise Mathieu Valcourt. « Ils ont créé leurs propres templates de suivi des consommations. Ce sont des usages très locaux. Nous avions besoin de standardiser ces données pour que les mêmes informations arrivent dans le cloud pour toutes les usines. Pour cela, nous avons créé un “Corporate Use Case Template” dans lequel sont définis tous les attributs, toutes les unités de mesure. »
Ce modèle vient se placer au-dessus du template local. Un petit outil baptisé Mapit a été développé pour appliquer toutes les règles et les contraintes de standardisation aux données existantes, sans casser les templates en place.
50 000 signaux entrants toutes les deux heures
L’outil d’extraction qui envoie ces données vers Azure a été développé en .NET : il récupère les attributs et les données correspondantes sur une durée de -12 minutes à -6 minutes pour être assuré que toutes ont bien été collectées.
De plus, une fois par jour, tout le référentiel qui contient la liste des machines et la hiérarchie des compteurs qui leur sont affectés est rapatrié afin de tenir compte d’éventuelles modifications.
« Ces composants ont été déployés sur Kubernetes, car nous voulions privilégier un déploiement rapide », ajoute Mathieu Valcourt. « Déployer sur Kubernetes est extrêmement simple : l’infrastructure est en usine ; nous déployons notre pod et nous pouvons nous connecter à la donnée. »
Côté cloud, les données sont stockées dans des Data Lake Azure, puis, donc, traitées dans Databricks. « Le lien natif entre Databricks SQL Warehouse et Power BI nous permet de disposer de capacités de restitution très impressionnantes », remarque Baptiste Andrieux. « L’utilisateur peut afficher la consommation de 15 machines sur 4 mois en moins de dix secondes. De même, pour faire des calculs de benchmark entre machines, cela demande moins de 20 secondes. »
« Ce traitement est générique et complètement agnostique du procédé. Il s’applique à n’importe quelle machine et à n’importe quel procédé. »
Baptiste AndrieuxProduct owner Industrie 4.0, responsable du produit Data for Energy, Michelin
Toutes les deux heures, les données de toutes les usines sont remontées dans Azure. Celles-ci sont contextualisées machine par machine et agrégées pour avoir une mesure de consommation énergétique de chaque machine toutes les 10 minutes.
« Ce traitement est générique et complètement agnostique du procédé. Il s’applique à n’importe quelle machine et à n’importe quel procédé. Il livre des données à faible valeur ajoutée comme la consommation heure par heure, la qualité des données des compteurs, l’énergie en fonction du statut de la machine », liste Baptiste Andrieux.
À ces données génériques viennent ensuite s’ajouter les données spécifiques aux procédés : données de cuisson, de « mélangeage », etc.
Point clé dans ce type d’approche, la qualité des données est assurée d’une part par des algorithmes et d’autre part par un jeu de règles métiers.
Data for Energy traite de l’ordre de 50 000 signaux entrants toutes les deux heures. Un algorithme de Machine Learning, de type Isolation Forest, pointe les valeurs anormales, ce qui permet de les filtrer. En outre, un moteur de règles métiers vient éliminer des mesures de voltage qui sont négatives ou une température de four de -400 °C… Ce moteur détecte les aberrations et les signale à l’opérateur pour vérification.
Une plateforme qui doit contrôler totalement les procédés énergivores
Le développement des nouvelles versions de Data for Energy se poursuit. Il couvre les cinq processus industriels les plus consommateurs du groupe Michelin.
Le process Curing est actuellement en V4, le process Mixing en V2, les process ESBN et RM en V7 et le process extrusion en V9. L’objectif est de mettre totalement sous contrôle ces cinq processus fin 2026. Mais l’équipe projet enregistrerait déjà de premiers résultats positifs.
« Grâce aux rapports et aux KPI mis en place, sur le Mixing, une usine a réalisé entre 3 à 5 % de progrès sur l’ensemble de son procédé grâce à cet outil, en comparant différentes campagnes de “mélangeage” », se félicite Baptiste Andrieux. « Une autre usine est parvenue à réduire la consommation de 10 % sur une partie précise du procédé ».
Pour un procédé, en comparant les jeux de paramètres des machines mises en œuvre dans les différentes usines, le potentiel d’économie a été estimé à 16 % sans perte de quantité ou de qualité.
Mise en production en février 2024, la plateforme compte 5 000 connexions par mois. Et 70 milliards de données ont été collectées depuis son lancement.
Ce chiffre s’accroît aujourd’hui au rythme de 200 millions par jour.
« Grâce à notre architecture et à l’optimisation, nous sommes parvenus à maintenir des coûts extrêmement bas pour notre produit », assure cependant Baptiste Andrieux. « Il coûte moins de 350 $ par mois et par usine ».
Trente-deux usines ont été connectées en un an et demi. Toutes devraient l’être fin 2026.
Propos recueillis lors de l’événement AVEVA Energy Transition Breakfast en juin 2025 à Paris.