Solvay optimise la production de ses usines grâce à l’IA

En 2018, le groupe chimique annonçait un partenariat avec l’éditeur SAS afin de déployer sa plateforme Data Analytics. Il s’agissait d’outiller la transformation digitale de ses sites industriels initiée en 2016, un programme qui voit aujourd’hui les modèles d’IA arriver dans les usines.

Avec un chiffre d’affaires de plus de 10 milliards d’euros en 2018, 24 500 employés, Solvay est un géant de la chimie mondiale. Un géant qui cultive la particularité d’être un multispécialiste, c’est-à-dire être leader sur des marchés très différents. Un géant qui cultive la particularité d’être un multispécialiste, c’est-à-dire être leader sur des marchés très différents.

« Il y a 20 ans, notre client principal était Saint Gobain à qui l’on fournissait du carbonate de soude. Le suivant était un célèbre fabricant de smartphones… Aujourd’hui, nos clients les plus importants sont Airbus et Boeing, car parmi nos spécialistes figurent les fibres de carbone » expliquait ainsi Thierry Cartage, directeur de la performance industrielle et directeur du digital de l’industrie de Solvay, lors du SAS Forum en juin 2019.

Conséquence directe de ce positionnement de multispécialiste, son activité s’appuie non pas sur quelques usines géantes mais sur 115 sites industriels répartis sur 4 continents, une caractéristique loin d’être anodine pour mener à bien la transformation digitale de cet outil industriel.

Un mouvement vers les concepts de l’industrie 4.0 lancé en 2016

C’est en 2016, à la suite d’un voyage d’exploration dans la Silicon Valley du comex de Solvay que cette transformation digitale est initiée. « Le Comex a clairement dit que le digital est le futur du groupe. En 2016, nous avons réuni tous les directeurs industriels de nos 10 GBU et avant de se précipiter dans l’action, les PoCs, nous avons réfléchi à ce que nous voulions construire ensemble. Le premier aspect a été le volet technique. »

Analytique, intelligence artificielle, mais aussi robotique, cobotique, impression 3D, drones et lunettes connectées, les innovations pour l’industrie 4.0 sont extrêmement nombreuses et les responsables des GBU se sont répartis le travail : « Nous nous sommes distribués les projets et nous nous rencontrons tous les 3 mois pour partager les leçons de ses expérimentations. », raconte Thierry Cartage.

La transformation digitale de l’outil industriel Solvay s’articule autour de multiples proof of concept lancés sur les différents sites du groupe, des projets qui sont autofinancés par les sites.La transformation digitale de l’outil industriel Solvay s’articule autour de multiples proof of concept lancés sur les différents sites du groupe, des projets qui sont autofinancés par les sites.

Contrairement à beaucoup d’entreprises, Solvay n’a pas alloué un budget « transformation digitale » dans lequel piocher pour financer tous ces PoCs. Chaque projet, dont l’enveloppe est comprise entre 5 000 à 15 000 euros est financé par chaque GBU. « C’est une approche typique de notre groupe. On ne va pas nécessairement à la vitesse à laquelle on voudrait aller, mais en 2017, nos PoCs ont permis de gagner quelques millions d’euros au niveau du groupe, donc nous sommes parvenus à être autosuffisants. »

En 2018, 3 usines ont bénéficié de cette transformation digitale et 10 autres le seront en 2019, pour moitié aux Etats-Unis, pour moitié en Europe. Le plan de déploiement vise à transformer toutes les usines du groupe d’ici 5 ans.

Outre de nouveaux équipements, la donnée joue un rôle clé dans cette transformation pour améliorer la disponibilité des installations industrielles, mais aussi permettre d’accroître l’efficience des processus de production et augmenter le tonnage produit par une usine, sans devoir se livrer à de lourds investissements.

Cela peut être obtenu en optimisant le processus de production lui-même ou en améliorant l’ordonnancement des batchs de production d’une usine ou de l’ensemble des usines pouvant répondre à une commande.

L’accès à la donnée reste le problème numéro 1 dans l’industrie

« Ce que le digital apporte véritablement de nouveau, c’est la Data. Nous disposons de la capacité d’accéder à des données, de créer des algorithmes de traitement des données qui n’existaient pas il y a 4/5 ans de cela. »
Thierry Cartage Directeur de la performance industrielle et directeur du digital de l’industrie - Solvay

La mise en place d’outils analytiques dans l’usine de Tavaux dans le Jura a mis en exergue une difficulté clé dans la mise en œuvre de stratégie de transformation digitale dans l’industrie : la difficulté d’accès des données du fait de l’hétérogénéité des logiciels mis en œuvre sur le site de production.

Le système d’information d’un site de production Solvay type se compose du MES Infoplus.21 d’Aspen Tech ou OsiSoft PI, du système d’information de laboratoire LabWare LIMS de SAP, de SAP PM (Plant Maintenance), autant de sources de données isolées.

« Nous avons choisi de créer un Data Lake s’appuyant sur SAS et dans lequel sont déversées toutes ces données, via des connecteurs créés vers ces systèmes et dans lequel on vient piocher les informations dont ont besoin les modèles pour optimiser les processus. » Thierry Cartage reconnaît qu’actuellement toutes les sources n’alimentent pas encore de Data Lake.
En outre, corréler les données de silos différents n’est pas sans embuches. Ainsi l’horloge des serveurs de son usine présentait 3 minutes d’écart. Or, dès lors qu’il s’agit de séquencer toutes les opérations de l’usine, recréer le “log file” de l’usine à partir de toutes ces données hétérogènes représente un gros travail de nettoyage de celles-ci.

Solvay a choisi d’exploiter les données stockées dans ses MES comme pivot de sa stratégie Data industrielle, des données qui sont enrichies d’autres sources dans le Data Lake SAS.Solvay a choisi d’exploiter les données stockées dans ses MES comme pivot de sa stratégie Data industrielle,
des données qui sont enrichie d’autres sources dans le Data Lake SAS.

Cette hétérogénéité ne va pas aller en diminuant, puisque l’IoT intéresse beaucoup Thierry Cartage afin d’enrichir encore les données collectées sur l’outil de production : « On peut enrichir la donnée avec l’IoT. Des PoCs sont en cours et ils permettent de réaliser des mesures additionnelles sur les installations. Avant, il fallait tirer 100 m de câble pour collecter l’information d’un capteur, c’était très cher. Maintenant, avec les réseaux type LoRa ou Sigfox, c’est beaucoup moins cher. Par contre l’IoT collecte les informations sur le cloud et non pas dans le MES [Manufacturing Execution System]. Il faut rapatrier cette information et reconstruire des historiques de données qui sont cohérents, sachant que les fréquences d’acquisition sont différentes, les systèmes sont différents, etc. »

Une composante RH forte dans une stratégie Data

Face à cette problématique liée aux données, Solvay a dû créer des postes de Data stewards (coordinateurs de données et administrateurs du datalake) dont la fonction est d’alimenter ses Data Scientists en données. Avec une volonté, celle de s’appuyer au maximum sur le personnel des usines qui est formé au digital et aux outils de gestion des données.

« Nous avons une vingtaine de Data Scientists au siège et sur les sites mais nous devrons en embaucher encore. Par contre, pour les Data Stewards, nous estimons que ce sont des postes que l’on peut doter en interne, en formant notre personnel. Nous avons joué cartes sur table avec les syndicats. Nous leur avons expliqué que nous voulons former les gens et effectuer une montée en puissance des gens qui sont déjà sur les sites. Il n’y a pas de conflit, ils nous suivent et sont préoccupés par la mise en place des formations, mais ils font partie prenante de manière positive dans notre approche », détaille Thierry Cartage.

Pour soutenir la stratégie digitale du groupe, des rôles de « digital change agents » ont été créés afin d’expliquer ce qu’est le digital au personnel de chaque usine, répondre aux questions et mener des brainstormings pour améliorer les processus internes.

En outre, les ingénieurs procédés sont très directement impliqués dans cette stratégie et disposent d’outils pour mener un premier niveau d’analyse des données de production.

« Nous souhaitons que tous nos ingénieurs procédés aient un minimum de compréhension des enjeux du digital. Ils sont tous formés à l’outil JMP qui est notre outil Lean / Six Sigma. L’outil dispose d’une passerelle directe avec le MES et permet d’extraire des données de façon assez rapide et mener une analyse visuelle avec un outil sophistiqué. Tous nos ingénieurs procédés doivent être capables de mener une première analyse », affirme directeur de la performance industrielle et directeur du digital.

 Dans la partie process control, Solvay forme son personnel au traitement des données. L’ingénieur de process control devient le gardien de la qualité des données de production. Ces ingénieurs vont ensuite interagir avec le Data Scientist et lui fournir les données dont il a besoin pour élaborer son modèle.

Si de nouveaux postes apparaissent dans les usines, d’autres disparaissent, notamment certains superviseurs et les « shift leaders », car dans le cadre de cette transformation digitale, Solvay déploie des tableaux blancs interactifs dans ses salles de contrôle et délivre directement aux opérateurs les informations dont ils ont besoin pour mener à bien leur travail.

Si l’IA conseille, l’homme reste aux commandes des processus

Pour créer ses modèles d’intelligence artificielle afin d’optimiser tel ou tel processus, une équipe pluridisciplinaire est formée avec, d’une part, les personnes qui connaissent le procédé industriel, des opérationnels du site de production, des experts MES/DCS pour l’extraction des données et le Data Scientist.
Ceux-ci échangent sur une durée d’environ 3 semaines pendant laquelle les données sont extraites du Data Lake et un premier modèle est créé. Si le modèle parvient à expliquer au minimum 50 % de la variabilité du processus, le processus itère ensuite pour l’optimiser.

Plus efficace que les procédures Lean / Six Sigma en place car exploitant bien plus de données, ces modèles peuvent être utilisés ponctuellement pour optimiser un processus, mais l’ambition de Solvay est d’aller plus loin et de faire fonctionner les modèles en continu afin de délivrer des recommandations  tous les jours ou délivrer les nouveaux points de consignes aux opérateurs toutes les 4 heures afin d’opérer au mieux les installations.

« On entre alors dans le domaine du machine learning [ML], avec un système qui acquiert en permanence de nouvelles données et recherche le nouvel optimum. Nous avons quelques modèles de ML en production et nous explorons des points de fonctionnement de l’installation que les opérateurs ou les ingénieurs procédés n’auraient jamais utilisés auparavant. »

« Attention, on ne boucle pas le système. Le modèle propose une consigne à l’opérateur et c’est l’opérateur et l’ingénieur qui décident de l’appliquer ou pas. »
Thierry CartageDirecteur performance industrielle et digital de l’industrie - Solvay

S’il peut sembler alarmant et même effrayant qu’une IA recommande des paramètres de fonctionnement qui vont au-delà des habitudes des opérateurs pour des installations potentiellement dangereuses, Thierry Cartage précise : « Nous y sommes allés petit à petit et nous avons constaté qu’effectivement, c’était mieux avec les paramètres fournis par le modèle. Attention, on ne boucle pas le système. Le modèle propose une consigne à l’opérateur et c’est l’opérateur et l’ingénieur qui décident de l’appliquer ou pas. Ils gardent la main et en parallèle à cette “boîte noire”, ils disposent toujours du modèle physicochimique du procédé qui ne peut donner d’information sur le rendement. La grande différence avec le modèle neuronal, c’est qu’il peut dire que si j’augmente la pression de 0,1 bar, par exemple, la production va augmenter de 5 %. L’ingénieur procédé fait référence au modèle physicochimique pour savoir si la proposition du modèle d’IA fait sens et s’il peut accepter la proposition du modèle. »

En termes de gains de production, pour ces processus continus, Solvay a gagné entre 5 à 20 %, selon la maturité du processus.

« Pour le carbonate de soude dont la production a démarré en 1863, des générations d’ingénieurs ont optimisé le procédé les uns après les autres et gagner encore 1 % sur 1 million de tonnes, ce serait déjà très significatif ! Sur des procédés plus jeunes, qui sont quasiment encore des procédés de laboratoire et dont le produit est facturé 3 000 € le litre, on ne va pas à l’économie lorsqu’on met en place l’installation. On peut espérer 20 % de gains sur ces procédés nouveaux. » Pour les productions batch, le responsable est plus évasif quant aux gains engrangés, mais il espère là aussi des gains significatifs de l’ordre de 5 à 15 %.

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