Datacenters IA en France : promesses contre promesses

Pour favoriser l’implémentation de nouveaux datacenters IA en France, le gouvernement s’est engagé sur plusieurs fronts : prix et accès préférentiel à l’électricité, identification de sites, et ajustements législatifs. S’il ne promet pas l’impossible, toutes les conditions nécessaires à la réussite de ce plan ne sont pas réunies.

La semaine dernière, lors du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, le président de la République française a annoncé 109 milliards d’euros d’investissements privés consacrés à l’IA, principalement dans des datacenters.

Pour attirer les investissements dans l’IA en France, l’État mise, en premier lieu, sur les infrastructures nucléaires et l’excédent électrique du pays. À cela, il ajoute sur la table une réduction fiscale de l’ordre de 10,50 euros par mégawattheure si les constructeurs et opérateurs de datacenters s’engagent à « améliorer les performances énergétiques » de leurs appareils industriels. Par ailleurs, le gouvernement promet une ristourne de 5,70 euros par MWh sur le tarif d’utilisation des réseaux électriques haute tension (TURPE).

Ristournes sur les tarifs de l’électricité : « le diable est dans les détails »

« La bonne nouvelle en fin de compte, c’est que ce que le gouvernement annonce, c’est le résultat d’années de progrès », commente Régis Castagné, directeur général France chez Equinix, un des leaders mondiaux du secteur et l’opérateur de onze datacenters en France. « Par exemple, la réduction sur ce qu’on appelle la TICFE, donc la taxe sur le transport de l’énergie, elle date d’il y a quatre ans environ », illustre-t-il. « Le gouvernement avait déjà bien compris à l’époque que la compétitivité de la France passe par également le prix de l’énergie ».

EDF entend proposer un prix moyen de 70 euros par MWh (hors taxes et hors frais de réseaux) sur les quinze années à venir. Les industriels pourront « sécuriser leur approvisionnement sur le marché à moyen terme (4-5 ans) » et signer des contrats de partenariat à long terme (10-15 ans) pour se fournir en électricité nucléaire ou renouvelable.  

« Le diable est dans les détails », souligne Régis Castagné. « Comme cela est déterminé par le projet de loi de finances, la règle qui permet d’obtenir un tarif de 70 euros du MWh arrive à échéance à la fin 2025. Quid de 2026 et des années suivantes ? » s’interroge-t-il. « Dans notre métier, nous investissons sur un horizon de 30 ans. Nous avons absolument besoin de stabilité sur le sujet ».

Equinix a signé sept contrats d’achat d’électricité renouvelable (PPA) pour plus de 100 mégawatts sur 20 ans. « C’est un risque que l’on prend en fin de compte et plutôt le reflet de nos engagements environnementaux », nuance Régis Castagné. « Quand nous signons un PPA, nous nous engageons sur 20 ans pour consommer une quantité d’énergie à un prix donné. Si nous nous retrouvons face à une situation exceptionnelle qui fait exploser les prix, comme la guerre en Ukraine, les PPA sont très avantageux », note-t-il. « En revanche, si l’on revient à un système type ARENH [Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique, N.D.L.R.] avec des prix très préférentiels, les PPA nous font perdre de l’argent ».

Les plus grands sites identifiés ne sont pas encore disponibles

La carte approximative des sites identifiés par le gouvernement et RTE.
La carte approximative des sites identifiés par le gouvernement et RTE.

Le gouvernement a également identifié 35 sites « favorables » à l’installation de data centers pour un total de 1 200 hectares. Seize sites d’une taille de 18 à 50 hectares sont disponibles en 2025. Ils sont majoritairement situés dans les Hauts de France, le Grand Est, l’Île-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes et le Centre-Val de Loire.

Les cinq sites les plus importants, de plus de 50 hectares, se trouvent en Île-de-France, dans le Grand Est, en PACA et dans les Hauts de France. Deux d’entre eux seront disponibles « d’ici 2027 » (PACA, Hauts de France), tandis que les trois autres le seront « après 2028 ». Au total, sept sites seront disponibles en 2027 et 9 le seront en 2028. 

« Les surfaces des sites vont de 18 à plus de 150 hectares », précise le service de presse de l’Élysée.

Le gouvernement promet également d’accélérer les procédures administratives liées à l’implémentation des centres de calcul. La loi sur l’Industrie Verte a créé le statut de Projet d’Intérêt National Majeur (PIMN). Un statut que le gouvernement souhaite étendre aux projets de construction de centres de données « dans les mois à venir ».

« Aujourd’hui, le délai d’instruction d’un datacenter, c’est plus de deux ans et c’est sans aucune garantie. Quand vous investissez des milliards d’euros, c’est un peu gênant », indique Régis Castagné.

Le délai d’instruction devrait être ainsi inférieur à un an. « En Allemagne, un dossier est traité en neuf mois », compare le dirigeant.

Le statut PIMN doit par exemple accélérer l’adaptation des règles d’urbanisme local et « sécuriser les dérogations à la protection des espèces ».

« Nous essayons d’effectuer des études en amont pour éviter ces problématiques, mais cela peut arriver et cela induit des délais importants », témoigne Régis Castagné. Les études environnementales elles-mêmes peuvent être longues à mener et la filière aimerait obtenir des avis plus rapidement.

De son côté, Equinix France a pris le parti de tenter de compenser les effets de ses centres sur la biodiversité. « Sur le site de notre datacenter de Bordeaux, nous avons réservé un hectare d’espace de biodiversité. À Saint-Denis, nous sommes en train d’aménager l’environnement du centre de données pour respecter les standards de biodiversité », déclare le directeur.

Emmanuel Macron a par ailleurs promis une « task force » pour accompagner les constructeurs et opérateurs de datacenters, « à la manière du chantier de rénovation de Notre-Dame-de-Paris », indique Régis Castagné.

Puissance et énergie

Il faut bien différencier la puissance et l’énergie, autrement dit (et de manière plus scientifique) le mégawatt du mégawattheure. Le mégawatt est une unité de mesure de la puissance instantanée (1 mégawatt = 1 million de watts) produite ou consommée, tandis que le mégawattheure mesure une quantité d’énergie consommée ou produite sur une durée donnée. Ici, l’on s’intéresse à des consommateurs. En 2022, RTE a estimé que la consommation des 300 datacenters installés en France était de 10 TWh, soit 2 % de la consommation française totale en électricité sur l’année, quand en Irlande, elle atteint 21 % de la consommation électrique du pays.

Datacenter de un Gigawatt de puissance : huit à dix sites éligibles en France

L’Élysée ajoute que quinze des 35 sites en mesure d’être raccordés au réseau à haute tension pourront atteindre 750 mégawatts de puissance. L’État mise également sur l’existence de sites pouvant atteindre 1 Gigawatt, sans en préciser le nombre.

Lors de sa présentation du schéma de développement du réseau 2025 (SDDR), RTE éclaircit légèrement ce périmètre.

 « Nous avons identifié huit endroits sur le réseau où il est possible de raccorder, d’ici 2028, à pleine puissance des projets de 1 Gigawatt », déclare Thomas Veyrenc, directeur général des pôles finances achats et risques chez RTE. Dans ses prévisions, le monopole d’État laisse de la marge pour deux autres projets de 1 GW.

« Pour cela, il y a trois conditions », précise le dirigeant. « Il faut qu’il y ait du foncier à proximité du réseau. Il faut que ce réseau ait déjà un nœud électrique : pour un projet de 1 GW, il faut un poste de 400 kilovolts. Puis, il faut que la zone du réseau ne soit ni saturée ni en voie de l’être ».

RTE prévoit d’introduire une procédure spécifique pour raccorder « les sites de très forte puissance ». Après l’obtention des autorisations administratives, RTE entend s’engager pour « garantir » une pleine puissance à 1 GW en trois ans maximum.

Pour l’heure, deux des investisseurs s’étant manifestés lors du sommet sur l’IA prévoient de financer chacun un supercalculateur de 1 GW : le fonds émirati MGX et Fluidstack. L’acteur britannique semble le plus avancé : il prévoit de lancer les travaux en 2026 pour atteindre la pleine puissance d’ici 2028. Fluidstack entend déployer 500 000 « puces d’IA » de nouvelle génération, alors qu’il ne gère actuellement « que » 100 000 GPU. Il a déjà signé un partenariat avec RTE.

Dans sa présentation, RTE liste environ 50 postes sources capables d’accueillir 250 MW et une vingtaine capable de supporter 750 MW. Ce travail de référencement fait partie des engagements de RTE pour informer les consommateurs. « Je salue cet effort de transparence, parce que ça manquait sérieusement », approuve Régis Castagné d’Equinix. « L’on sait désormais très clairement là où on peut s’implanter ».

En revanche, le terme « projet » dit bien ce qu’il veut dire : ces zones sur le réseau ne seront pas forcément attribuées à des datacenters.

Des zones prioritaires de raccordement

Sommet sur l’IA : les promesses de puissance

Si LeMagIT et d’autres médias ont compté les euros investis lors du sommet sur l’IA, ces mêmes acteurs ont promis d’exploiter davantage de puissance électrique, soit en construisant de nouvelles installations, soit en renforçant des sites existants.

MGX : campus dédié à l’IA, 1 GW.

Amazon : NC.

Data 4 : 500 MW supplémentaires répartis sur plusieurs sites « déjà prévus », triplement de cette capacité d’ici 2030.

Digital Reality : 666 MW supplémentaires répartis sur treize datacenters (et ce n’est pas encore Halloween).

Eclairion : NC. Premier centre de Bruyères-le-Chatel (Île-de-France) livré, 100 MW de puissance. Un deuxième site prévu.

Equinix : NC. Le onzième site de Meudon (Île-de-France) inauguré ce mois-ci représente 28,8 MW pour le calcul et le refroidissement (circuit liquide fermé et « dry cooling »). D’autres projets sont à l’étude.

Fluidstack : un HPC de 1 GW d’ici 2028, lancement prévu en 2026.

Iliad/Opcore : plusieurs centaines de MW de capacités d’hébergement à l’étude avec InfraVia.

Telehouse : NC. Datacenters dédiés à l’IA pour une capacité maximale de 25 000 GPU.

Mistral AI : NC

Prologis : projet de 400 MW en Île-de-France, 184 MW actuellement.

Sesterce : 600 MW d’ici 2028 dans la région Grand Est.

D’autant que, pour des raisons économiques et de planification de raccordement, RTE a identifié des zones prioritaires. « Plus nous pouvons raccorder les usines par grappe, plus ce sera efficace », indique Thomas Veyrenc.

Ainsi, les zones industrialo-portuaires de Dunkerque, le Havre et Fos-sur-Mer sont en tête de liste (P1).

« Dans tous ces endroits, nous avons lancé des projets de renforcement qui combinent la très haute tension avec des lignes et des postes », indique Thomas Veyrenc. « Et nous voulons achever ces travaux à partir de fin 2028-début 2029, en les lançant dès l’obtention des autorisations administratives ».

« Chacun peut comprendre que l’on ne peut pas lancer des travaux sur des lignes de 400 000 volts juste sur la foi de déclarations ».
Thomas VeyrencDirecteur général des pôles finances achats et risques, RTE

Sept zones de mutualisation (Valenciennes, Saint-Avold, Sud Alsace, Vallée de la chimie, Plan-de-Campagne, Loire-Estuaire, Sud Île-de-France) devraient être mises en service à l’horizon 2030. Dans ces zones P2, RTE attend que les industriels se manifestent avant de lancer les travaux. Sept autres zones P3 (Pyrénées, Port-la-Nouvelle, Grand Lyon, Haute-Vienne, Châteauroux, Alsace, région parisienne) ont également besoin d’investissement en matière de réseau à très haute tension. Ici, pas de calendrier : là encore, RTE attend que les industriels s’engagent.

Dans l’ensemble des zones référencées plus haut, RTE a besoin de renouveler ou de rénover des lignes aériennes de 400 000 volts, ainsi que d’installer des postes. Budget total prévisionnel de raccordement  : 53 milliards d’euros, sur 15 ans.

« Chacun peut comprendre que l’on ne peut pas lancer des travaux sur des lignes de 400 000 volts, juste sur la foi de déclarations », lance Thomas Veyrenc.

Éviter la saturation contractuelle du réseau (et lutter contre la spéculation)

Cette prudence du gestionnaire du réseau électrique s’explique par la nécessité d’obtenir la validation du SDDR 2025 par l’État et par le faible taux de concrétisation des projets de raccordement.

Actuellement, 140 projets ont signé un contrat de raccordement pour un total de 21 GW, soit le double de la puissance utilisée par l’industrie déjà « connectée » au réseau. Parmi ceux-là, le gestionnaire du réseau de transport inventorie 40 projets de datacenters, pour une moyenne de 130 MW chacun. En septembre 2024, RTE disait avoir signé pour 4,5 GW d’offres de raccordement de centres de données et « un volume équivalent » était en cours d’instruction.

Or, à ce jour « moins de 15 % des projets ont confirmé leur engagement et formellement déclenché les travaux sur le réseau », précise RTE.

Cela s’explique en partie par les délais de financement, la dépose de plusieurs demandes pour les mêmes besoins et un phénomène spéculatif. Certains promoteurs réservent des capacités pour les revendre aux plus offrants. « Beaucoup de “gens” ont bien senti que l’électricité est un élément primordial et font des demandes pour de grosses puissances électriques », confirme Régis Castagné. « Ces PTF [Proposition Technique et Financière, N.D.L.R.] bloquent le marché ». Un problème favorisé par le droit du raccordement.

« Pour résumer grossièrement, le droit du raccordement actuel, c’est le principe du “premier arrivé, premier servi” », affirme le directeur général des pôles finances achats et risques chez RTE. « Or, si un grand nombre de projets ne se concrétisent pas, ils vont occuper contractuellement une puissance qui ne sera pas utilisée physiquement ».

« Les annonces vont dans la bonne direction. Maintenant, comme je le dis souvent, il y a l’amour et les preuves d’amour. Nous, acteurs de la filière, avons besoin de preuves ».
Régis CastagnéDirecteur général France, Equinix

RTE entend se prémunir contre la spéculation en engageant la modification du cadre légal. « C’est un chantier important que nous ouvrons dans la foulée de cette présentation. Nous allons le faire en concertation avec les acteurs, sous le contrôle du régulateur et en fonction de l’orientation de l’État », affirme Thomas Veyrenc. « L’objectif est très clair : permettre que les offres de raccordement que nous faisons traduisent la réalité physique du réseau et non pas sa saturation contractuelle ».

Plusieurs pistes sont à l’étude, comme la demande de preuves de foncier, ou encore un mécanisme de type « use it or loose it » qui permettrait de réallouer les offres aux véritables consommateurs.

« Les annonces vont dans la bonne direction », résume Régis Castagné. « Maintenant, comme je le dis souvent, il y a l’amour et les preuves d’amour. Nous, acteurs de la filière, avons besoin de preuves ».

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