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Tribunal digital : la visio-audience se pérennise

La justice française se dématérialise au travers du portail Tribunal Digital. En 2020, celui-ci a intégré la visioconférence. Depuis, la visio-audience s’est installée dans le paysage judiciaire, avec une solution française sécurisée.

Mars 2020, le confinement est décrété. Les commerces non essentiels et les restaurants baissent le rideau. Pour poursuivre leurs activités, un certain nombre d’entreprises doivent se réinventer, notamment grâce aux outils numériques.

D’autres secteurs apprennent à composer avec de nouvelles règles de fonctionnement. C’est le cas de la justice. Impossible de mettre les tribunaux à l’arrêt. Tribunaux pénaux et civils bénéficient rapidement d’un plan de continuation. En revanche, les tribunaux de Commerce sont relativement « oubliés des dispositions Covid au départ », se souvient Victor Geneste, greffier associé du tribunal de commerce du Mans et vice-président du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce (CNGTC).

Une réponse d’urgence pour garantir la continuité de la justice

« Très vite, nous, CNGTC, nous avons alerté [sur le préjudice qui en découlait] ». Ces tribunaux sont en effet compétents sur les procédures collectives et des « contentieux urgents » pour les entreprises.

Ces acteurs devaient pouvoir accéder à un juge. « Le gouvernement a rapidement compris l’urgence et nous a autorisés à faire de la visioconférence », témoigne Victor Geneste. « L’objectif était de pouvoir donner accès à un juge, de tenir des audiences et d’être en capacité d’ouvrir des audiences de redressement et liquidation judiciaire pour les entreprises ».

Une fois l’autorisation donnée, il restait à définir les conditions d’usage. « Pour la justice et pour nous, professions réglementées, nos pratiques sont toujours très observées. À juste titre », souligne maître Geneste. « Nous manions des données essentielles de l’État ».

Il fallait aller vite donc, mais tout en étant « extrêmement exigeant sur le processus et sur la sécurité. » Après l’alerte lancée dès mars 2020, le Conseil National définit un cahier des charges début avril et pose ses impératifs en matière de visioconférence pour un déploiement qui s’opérera finalement en « quelques jours ».

Sécurité et souveraineté numérique : des critères incontournables

Les critères de sélection sont multiples. Un des plus importants est « la souveraineté numérique, à laquelle nous sommes très attachés sur nos sujets technologiques », insiste le greffier. La souveraineté se traduit par des exigences en termes de risque cyber, mais aussi de contrôle des données.

Pour le CNGTC, ce cadre imposait une solution française. C’est Tixeo qui est choisie. Un éditeur languedocien dont, l’application de visioconférence bénéficie d’un autre atout essentiel : la certification de Sécurité de Premier Niveau délivrée par l’ANSSI.

« [La qualification par l’ANSSI] nous permettait de communiquer sur le dispositif auprès des justiciables, des juges et de nos autorités de tutelle. »
Victor GenesteGreffier associé du Tribunal de commerce du Mans et VP Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce

Recommandée par la CNIL, Tixeo intègre en outre un chiffrement bout-en-bout des flux audio, vidéo et données (il est d’ailleurs un des seuls à proposer cette fonctionnalité en multiflux). L’application est proposée en différents types de déploiements (dont un en pur cloud sur du IaaS français). Le Conseil National a cependant opté pour un serveur privé afin de renforcer encore les conditions de confidentialité.

La qualification ANSSI « était particulièrement rassurante. Elle nous permettait de communiquer sur le dispositif auprès des justiciables, des juges et de nos autorités de tutelle », confirme Victor Geneste.

À ce cahier des charges, ne répondait en 2020 qu’une seule solution de visioconférence. Tixeo a été souscrit au niveau national (afin de bénéficier de tarifs préférentiels). C’est donc cette visio qui fait depuis office de technologie obligatoire pour les audiences à distance.

Grâce à son serveur privé, l’application a par ailleurs été personnalisée (ou « brandée ») et intégrée au portail de services intitulé Tribunal Digital, sur le principe d’une marque blanche.

La visio-audience intégrée au portail Tribunal Digital

Créé en 2019, le portail Tribunal Digital regroupe différents services numériques à l’usage des professionnels des 141 tribunaux de commerce (identité numérique des dirigeants d’entreprises, signature électronique des décisions de justice, gestion du RCS via une blockchain privée, etc.).

Victor Geneste Victor Geneste, greffier associé
du tribunal de commerce du Mans

et vice-président du CNGTC

Chaque tribunal s’est vu attribuer des accès à la solution de visio via ce portail. L’installation du logiciel dans chaque greffe a ensuite été menée. Et pour accompagner la conduite du changement, un tutoriel a été conçu en partenariat avec l’éditeur Tixeo, puis partagé.

Les greffiers des tribunaux ont par ailleurs joué un rôle d’ambassadeurs auprès des métiers pour faire connaître l’application et accompagner son adoption. « L’attente était très forte. La mobilisation de tous a donc été très rapide pour permettre un déploiement sans délai et une continuité d’activité », se félicite aujourd’hui le vice-président du CNGTC. La compatibilité du logiciel avec les équipements de visioconférence de « quasiment toutes les juridictions » y a aussi contribué.

La seule véritable contrainte en suspens était celle de la connexion Internet. Dans certains territoires, la qualité des liaisons peut en effet constituer un frein. Le Conseil a donc travaillé à des évolutions de l’application afin de diminuer sa consommation de ressources en bande passante pour ces zones moins bien servies en Internet.

Des visio-audiences sous condition

Ce qui était au départ une solution d’urgence a été pérennisé pour s’inscrire comme un outil courant de la justice commerciale. Le Conseil des greffiers a obtenu l’aval du ministère de la Justice et des magistrats.

« Nous avons toujours souhaité qu’il s’agisse d’une solution complémentaire et facultative. Il ne s’agit pas de centraliser la justice ou d’aboutir à une justice déshumanisée. »
Victor GenesteVP, Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce

Les conditions ont cependant évolué par rapport à 2020. Les audiences ne se déroulent plus en distanciel. Les juges sont de retour en présentiel, tout comme le greffier et le procureur. Seules certaines parties peuvent, sous conditions, bénéficier d’une autorisation de visio-audience.

L’outil pourra, par exemple, permettre de faire intervenir à distance un expert-comptable dans l’incapacité de se déplacer ou à une entreprise localisée à l’étranger de candidater, « à moindre frais », dans un dossier – notamment de rachat d’une société.

Le recours à la visio s’effectue nécessairement à l’initiative des parties. Il ne peut être imposé par le juge, tient à préciser Victor Geneste. « Nous avons toujours souhaité qu’il s’agisse d’une solution complémentaire et facultative. Il ne s’agit pas de centraliser la justice ou d’aboutir à une justice déshumanisée. »

L’usage a par ailleurs été pensé pour être le plus possible la transposition d’une audience en physique.

Ainsi, les accès et les sorties sont contrôlés, empêchant les intrusions de tiers non autorisés dans une réunion/audience. L’identité des parties doit être prouvée avec présentation d’une pièce d’identité. Et les participants ont obligation d’activer la vidéo. « Si la caméra coupe, on considère que la personne a quitté la salle », précise le greffier.

D’autres outils de visio possibles pour les usages internes des tribunaux

Tixeo est devenue l’application de référence au niveau national pour les visio-audiences (13 000 à ce jour). Des audiences numériques qui auraient même tiré les usages internes de la visioconférence, auparavant plutôt limités.

« Nous avons été les premiers, même avant l’État, à mettre en place de la visio sécurisée. »
Victor GenesteVP, Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce

Ces réunions internes peuvent recourir à d’autres logiciels, même si Tixeo reste recommandé.

Victor Geneste tire en tout cas un bilan très positif du projet. « Nous avons été les premiers, même avant l’État, à mettre en place de la visio sécurisée », se félicite-t-il.

La relation avec l’éditeur semble également au beau fixe. Le contrat a été reconduit pour un an, mais avec une visée à plus longue échéance. « À ma connaissance, ils sont toujours les seuls certifiés par l’ANSSI », explique le greffier du tribunal de commerce du Mans. « Et nous avons construit une relation pérenne [avec eux]. Tixeo fait tout pour nous garder, que ce soit d’un point de vue tarifaire ou de la disponibilité et de la réactivité. […] Contrairement à ce dont nous aurions bénéficié auprès de grands éditeurs, nous disposons de rapports très directs avec notre partenaire. Et cela, ça n’a pas de prix ». Pas de changement en vue donc, « même si d’autres se mettent à niveau », conclut Victor Geneste.

De nouvelles fonctionnalités, comme le floutage de l’arrière-plan, sont aujourd’hui prévues à brève échéance.

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