Stéphanie Ledoux, Alcyconie : une corsaire de la gestion de crise cyber
Derrière le sourire juvénile de Stéphanie Ledoux se cache une âme en acier trempé. Celle d’une femme qui, depuis des années, a fait de la gestion de crise non seulement un chemin professionnel, mais aussi une passion.
La poignée de main de Stéphanie Ledoux est ferme ; son regard, très direct. Sous son apparence lisse, posée, on sent vite une âme et un caractère bien forgés, qui ne laissent que peu de prise aux interrogations et au doute. Ce qui vaut mieux quand on s’occupe de sujets aussi complexes que la gestion de crise en environnement sensible, notamment la cyber.
Malouine de racines et de cœur, Stéphanie Ledoux choisira, après bien des années, d’établir sa vie professionnelle et sa vie dans la cité corsaire, et de forger régulièrement son tempérament par des courses le long des remparts et quelques baignades toniques sur la Plage du Sillon. Mais nous n’en sommes pas encore là…
La jeune femme commence par une scolarité menée en grande partie en Allemagne, « parce que ma mère était passionnée par l’Allemagne. J’ai donc fait un cursus allemand au collège, et j’ai eu envie de poursuivre mes études en Allemagne ». Elle termine donc, en 2005, un Bachelors Degree en commerce et business à la FH de Münster, avec un double diplôme de la FH Münster et de l’ESC Bordeaux.
La jeune femme s’y sent à l’aise, et commence ses armes par une première expérience professionnelle chez Airbus, puis Lufthansa, comme responsable des relations presse sur la zone Afrique, Proche et Moyen-Orient. De quoi fourbir ses armes de négociatrice et de gestion de crise, connaissant l’exposition du secteur aérien dans une zone dont la sensibilité géopolitique depuis des décennies n’est plus à prouver.
Elle intègre ensuite la SNCF comme chargée de communication digitale. Un poste sensible, qu’elle développe avant d’arriver en janvier 2007 chez Thalys, à Bruxelles. Elle y gravit de nombreux échelons et en devient en janvier 2012 responsable du pôle projets transverses et stratégiques. Une belle progression.
« Ce n’est plus la hiérarchie qui compte, mais l’envie de régler la crise et de repartir »
« J’ai vu comment les gens peuvent se comporter en situation de crise, poussés dans leurs limites et dans une situation traumatisante qu’ils ne maîtrisent pas au départ.
Stéphanie LedouxFondatrice d’Alcyconie
C’est au sein de Thalys qu’elle a l’occasion de gérer sa première « vraie » crise de grande ampleur : le déraillement d’un train en février 2010 à Buizingen. L’expérience est marquante. « Non seulement il a fallu réorganiser le réseau ferroviaire, mais aussi, et surtout, gérer les conséquences humaines d’un drame en interne et en externe. En quelques heures, il a fallu gérer des milliers de passagers et un trafic ferroviaire interrompu sur tout l’axe nord pendant près de 2 semaines en parallèle de conséquences humaines lourdes », explique Stéphanie Ledoux. « J’ai vu comment les gens peuvent se comporter en situation de crise, poussés dans leurs limites et dans une situation traumatisante qu’ils ne maîtrisent pas au départ. J’ai vu des ruptures, mais parfois aussi un élan extraordinaire avec des équipes soudées pour faire repartir la machine, où ce n’est plus la hiérarchie qui compte, mais l’envie de régler la crise et de repartir. Humainement, j’ai beaucoup appris… même si je n’ai pratiquement pas dormi pendant cette période », dit-elle en souriant.
« C’est quand on accepte la crise que l’on peut commencer à la régler »
Elle en tire quelques enseignements qu’elle applique à la gestion de crise : « avant de vouloir la régler, l’intégrer et accepter l’idée que, oui, ça arrive, et que c’est en train de se passer, que rien n’est normal, que tous les repères habituels volent en éclats est sans doute fondamental dans la gestion d’une crise. Essayer de gérer une crise que l’on n’a pas pris le temps d’accepter et d’intégrer s’avère contre-productif », explique-t-elle. « Bien sûr, au début, il y a des situations de refus, de déni, c’est normal. Mais c’est à partir du moment où on l’accepte, que l’on peut commencer à travailler dessus et à la régler », explique-t-elle.
La jeune femme a aussi besoin de se frotter à d’autres expériences tout aussi structurantes dans sa réflexion sur la gestion de crise. Stéphanie Ledoux s’embarque comme travailleur humanitaire pendant plus d’un an, de 2015 à 2016. Elle travaille sur la « coordination de camps médicaux en brousse à destination des villageois et des soins à des enfants aux besoins spécifiques (paraplégiques, autistes), avec des médecins et kinésithérapeutes locaux et européens et le soutien à la direction d’un orphelinat en Inde à Orisha », détaille-telle sur son profil LinkedIn, avec des missions en Afrique (au Bénin) à Madagascar, en Inde.
« C’est un métier où on ne fait pas semblant »
Mais pourquoi la gestion de crise l’attire-t-elle autant, elle qui paraît si sereine ? Difficile de répondre ex abrupto à cette question… Stéphanie prend le temps de la réflexion : « c’est un métier dans lequel on ne fait pas semblant, on ne peut pas tricher. C’est un métier de passion. On ne s’improvise pas gestionnaire de crise ; on le devient. Ce qui me fascine, chaque jour, à chaque crise, c’est de voir les ressources insoupçonnées des membres de l’équipe. C’est la capacité du collectif à avancer dans l’incertitude, dans la même direction pour assurer le maintien des activités et le retour à la normale ».
« Savoir résoudre une crise, c’est avant tout l’avoir appréhendée. »
Stéphanie LedouxFondatrice d’Alcyconie
Le fait de voir l’être humain dépasser ses limites pour résoudre une situation, et l’accompagner dans ces étapes charnières, constitue sans doute une partie de ses moteurs, même si elle ne se reconnaît pas du tout dans l’image du sauveur de situations extrêmes. C’est un cliché pour elle. « Savoir résoudre une crise, c’est avant tout l’avoir appréhendée », souligne-t-elle. L’entraînement et la préparation sont bien au centre des processus de gestion de crise. Même si l’on ne sera jamais totalement préparés à tous les scénarios.
Elle suit en 2018 un MBA en cybersécurité, Sûreté Internationale et Risk Management à l’École de Guerre Économique, avec le souhait de se « former aux enjeux de la cyber et de la guerre économique pour avoir la matière nécessaire à l’adaptation de [son] expertise aux crises cyber ».
Au cours de l’hiver 2016, elle est recrutée, dans ses terres d’origine, à Saint-Malo, par le groupe Roullier comme directrice de la Communication Groupe. Le groupe Roullier est un des grands groupes de l’agroalimentaire breton, qui compte 109 unités industrielles, et plus de 10 000 collaborateurs. Né en 1959 à Saint-Malo, il réalise un chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros, dont 74 % à l’export. Pour la jeune femme, ce poste – particulièrement stratégique et exposé – devait être le Graal.
« Quand on y arrive, on se sent vraiment utile »
Mais la gestion de crise est devenue son ADN, sa passion, sa vie, de même que la volonté d’entreprendre dans le lieu de ses racines. En novembre 2018, elle fonde Alcyconie, dont le nom, dérivé de l’adjectif alcyonien (le calme alcyonien, le calme au milieu de la tempête), spécialisée dans la gestion de crise cyber. Pourquoi la cyber ? « Parce que la cyber est au cœur des enjeux contemporains : géopolitiques, désinformation, liberté, enjeu de stabilité de nos États et de nos entreprises stratégiques », reprend Stéphanie Ledoux.
Autour d’une petite équipe qui entraîne avec elle, selon les missions, des profils de spécialistes de différents domaines, elle ancre sa marque derrière les remparts de la cité Corsaire et fait d’Alcyconie une référence du domaine en 6 ans. Avec toujours la même conviction : « une crise cyber, c’est avant tout une crise, avec ses marqueurs ; le refus, le déni, la panique, la désorganisation… l’accepter et s’y préparer, c’est en grande partie la résoudre. Et quand on y arrive, on se sent vraiment utile ».
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