La rareté des profils et les salaires, points noirs de l’IA en France

Face à la rareté de profils qui nécessitent des compétences multiples, la formation en interne est souvent privilégiée. Les différences de salaires entre Gafa et entreprise traditionnelle contribuent à compliquer la question.

« La bataille pour l’intelligence artificielle est d’abord un combat pour l’intelligence humaine », écrit sur Twitter Cédric 0, Secrétaire d’Etat chargé du Numérique, qui a officiellement ouvert la conférence AI Paris qui se tient actuellement au Palais des Congrès. Cette notion de « combat » est celle à laquelle sont confrontées les grandes organisations en France, aux prises avec un manque de profils formés à l’intelligence artificielle. Comme une pénurie qui viendrait ralentir la progression des entreprises vers ces technologies, symboles actuels de la transformation par le numérique.

Il faut dire que le recrutement dans l’IA est structurellement complexe rappelle Benoît Binachon, associé, chez Uman Partners, un cabinet de chasseurs de têtes. « On a besoin de personnes qui connaissent la technique, les processus, la structure des données et de gens qui aident à la transformation ». L’IA, c’est donc « un grand écart de compétences, du mathématicien au transformateur du changement et au centre des profils spécialisés », note-t-il.

Selon lui, les profils les plus difficiles à trouver sont ceux qui impliquent la conduite du changement par l’AI et qui se doivent d’avoir une certaine expertise en la question. « Ces profils sont rares car ils sont en cours d’apprentissage » et « il n’y a pas d’écoles pour les former », lance-t-il. L’autre difficulté, moindre toutefois, porte sur les codeurs et les data scientists qui ne sont pas familiers avec les contraintes de l’AI, mais qui ne nécessitent pas d’approche liée à la conduite du changement.

Ce problème de formation en intelligence artificielle a déjà été pointé par le gouvernement en France. Sur les 1,5 milliard d’euros consentis dans le plan IA, plus de la moitié est consacrée à la recherche ainsi qu’à la formation.

Actuellement les grandes écoles s’organisent, à l’image de l’Ecole Polytechnique qui développe des programmes centrés sur l’IA, résume Larbi Touahir, directeur de programme en charge du développement, au sein de l’institution. Des partenariats sont également noués avec d’autres écoles, comme HEC, pour aborder la gestion du changement qu’implique l’intelligence artificielle.

La formation interne : une orientation privilégiée

Mais c’est en interne que l’on trouve aussi la réponse. Chez l’opérateur télécoms Bouygues Telecom, on a ainsi privilégié la montée en compétences, plutôt que de chercher ces perles trop rares à l’extérieur. Le groupe a certes besoin de profils de data scientists mais aussi de profils davantage « proches du SI », indique Claire Lucas, responsable du programme Intelligence artificielle, chez l’opérateur. « Nous mobilisons les profils à l’intérieur de l’entreprise et leur apprenons les briques manquantes pour arriver à l’IA ».

Au Ministère de l’lntérieur, des mesures ont également été prises pour former en interne. Le Ministère a recruté en 2016 ses premiers data scientists pour drainer des projets d’intelligence artificielle liés à la gestion des carrières et des ressources. Une dizaine de chatbots sont également développés pour aider le citoyen dans ses démarches. Aujourd’hui, Jean-Martin Jaspers, directeur du centre des Hautes Etudes, Ministère de l’Intérieur, reconnait un manque de compétences en data scientists et en data analysts. Toutefois, depuis 2017, le Ministère a entrepris de former ses cadres dirigeants, préfets, généraux de Police et de Gendarmerie. Une formation des préfets à l’IA territoriale a également été mise en place.

Le déséquilibre des salaires

Cette rareté serait-elle alors une conséquence directe des sirènes des Gafa qui ouvrent en (très) grand leurs portes aux compétences en AI ? Non, répond Claire Lucas (Bouygues Telecom). « On ne recrute pas les mêmes personnes que Facebook. On cherche des profils techniques et métiers mais pas scientifiques. La question de la perte de profils vers Facebook ne se pose pas. »

Pourtant il existe véritablement un argument de poids qui déséquilibre ce fragile écosystème : celui d’un écart frappant des salaires. « Nous sommes souvent confrontés à des profils ayant un pied chez Google et un pied chez un industriel », témoigne Benoît Binachon (Uman Partners). Ces postes diffèrent : « chez Google, ils travaillent à produire en permanence des algorithmes et chez un industriel (comme Bouygues Telecom par exemple), il existe un aspect transformation et un aspect humain. » 

Mais les niveaux de salaires diffèrent également. Selon Benoît Binachon, si un profil (10-15 ans d’expérience) avec de fortes compétences techniques et de faibles compétences en management, sera payé 300 K€ par an chez un Gafa ou une société technologique spécialisée, il ne gagnera que 120 K€ annuels chez une entreprise traditionnelle. Un écart abyssal, en effet.

 

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