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IoT : le Singapourien UnaBiz reprend Sigfox (maj)

Immatriculé à Singapour, le candidat préféré du CSE et de l’entreprise toulousaine a finalement obtenu son autorisation IEF. Il a aussi convaincu le tribunal de commerce de Toulouse le 21 avril. Un soulagement pour les salariés.

Depuis le 26 janvier, le spécialiste de l’IoT Sigfox était en redressement judiciaire auprès du tribunal de Commerce de Toulouse. Neuf sociétés ont déposé leur dossier de reprise. Dans un deuxième temps, quatre d’entre elles ont été retenues pour reprendre Sigfox SAS et Sigfox France SAS : Unabiz, Actility, OTEIS France, Greybull Capital. Zekat s’est retiré de la procédure le 1er avril dernier. 

Trois candidats – Actility, Unabiz et OTEIS France – demeuraient en course. Selon le Comité social et économique (CSE) de Sigfox, c’est l’offre d’Unabiz qui a davantage convaincu les 180 employés de Sigfox. L’avis du CSE a été rendu au tribunal de Commerce de Toulouse le 5 avril dernier.  

« L’offre déposée par UnaBiz est la plus intéressante sur le volet social. Elle est portée par un ancien salarié de Sigfox, actuel opérateur Sigfox, qui connaît donc parfaitement les problématiques de Sigfox et son écosystème (avec le soutien de nombreux ambassadeurs et autres opérateurs Sigfox). », déclarait Antoine Maïer, président du comité social et économique (CSE) de Sigfox, dans un communiqué de presse.

« Le CSE a pu constater une culture d’entreprise proche de celle de Sigfox, ce qui diminue le risque d’une fuite des talents ». UnaBiz entend reprendre 127 postes sur 192, conserver la R&D de Sigfox tout comme la propriété intellectuelle de l’entreprise en France.

Problème, cet opérateur Sigfox et équipementier IoT fondé en 2016 par deux Français, est basé et enregistré à Singapour. Pour que la reprise soit possible, le ministère de l’Économie a dû délivrer une autorisation d’investissements étrangers en France (IEF). Dans le communiqué de presse envoyé le 12 avril au soir à la rédaction du MagIT, le CSE de Sigfox affirmait avoir contacté le Ministère à ce sujet le 11 avril, le dossier bien que complet serait « en cours d’instruction ».  

Les 180 salariés de Sigfox étaient inquiets à cause de l’élection présidentielle

« C’est inquiétant pour les salariés dont le sort ne dépend que de cette autorisation », arguait le CSE. « Différentes sources proches du dossier ont indiqué au CSE de Sigfox que le ministère de l’Économie temporisait et ne donnerait pas son accord avant le second tour de l’élection présidentielle prévu le 24 avril. Problème : le tribunal de Commerce de Toulouse doit rendre sa décision ce jeudi 14 avril ».

« Les salariés ne souhaitent pas que des enjeux politiques viennent perturber leur avenir, et ne comprennent pas que des considérations d’entre-deux-tours puissent les priver de leur emploi et mettre à risque la technologie pour laquelle ils ont tant investi ».
CSE Sigfox SA

« Les salariés ne souhaitent pas que des enjeux politiques viennent perturber leur avenir, et ne comprennent pas que des considérations d’entre-deux-tours puissent les priver de leur emploi et mettre à risque la technologie pour laquelle ils ont tant investi », poursuivait-il. « Ils demandent au ministère de l’Économie de terminer l’instruction du dossier d’UnaBiz sans délai, et de délivrer une réponse circonstanciée ».

Henri Bong, co-CEO et cofondateur d’UnaBiz a fait à peu de choses près la même demande sur les réseaux sociaux Twitter et LinkedIn… et a reçu le soutien de certains de ses concurrents. Il a également rédigé une lettre ouverte adressée à l’Élysée et aux dirigeants de la campagne du président candidat Emmanuel Macron, qu’il a publiée le 13 avril à 14h30.

UnaBiz interpelle l’Élysée

« Aujourd’hui, à moins de 24 h avant la délibération du Tribunal de Toulouse, j’apprends que notre demande IEF aurait été rejetée par Bercy sans aucune explication d’aucune forme ».
Henri BongCo-ceo et cofondateur, UnaBiz

« Aujourd’hui, à moins de 24 h avant la délibération du Tribunal de Toulouse, j’apprends que notre demande IEF aurait été rejetée par Bercy sans aucune explication d’aucune forme. Jusque-là, l’équipe chargée de la procédure IEF indiquait que des refus étaient très rares et que notre demande ne soulevait aucun élément particulier sortant de la procédure habituelle », écrivait Henri Bong. « J’interprète donc ce refus comme étant dû à des enjeux spécifiques certainement liés au contexte politique ».  

Le Co-CEO souhaitait que le gouvernement laisse à UnaBiz la liberté de participer comme les autres acteurs en présence à la procédure de rachat, malgré la campagne présidentielle. « Il vous appartient de garantir la liberté de concourir, la liberté de gagner comme la liberté de perdre. Tous les acteurs de l’IoT regardent le futur de Sigfox », lancait-il à Emmanuel Macron. Auprès du MagIT, il affirme que 40 % du capital de la société Unabiz est d’origine française.

Contacté par leMagIT, le porte-parole de la direction de Sigfox n’a pas souhaité commenter la publication du CSE. L’instruction judiciaire en cours imposait une forme de réserve. En revanche, notre interlocuteur a confirmé que la direction de Sigfox soutenait le même candidat à la reprise, mais rappelait que l’avis des dirigeants et du CSE était consultatif : le juge responsable du dossier au tribunal de commerce de Toulouse aurait le dernier mot. Il devait choisir entre les offres d’Actility, d’OTEIS France et d’UnaBiz, s’il n’était pas exclu d’office.

L’intérêt national contre celui des salariés ?

Auprès du MagIT, un porte-parole de Bercy indiquait que « Sigfox constitue un actif important pour l’économie nationale et une éventuelle prise de contrôle par un acteur étranger relève de l’article L151-3 du code monétaire et financier qui institue le contrôle des investissements étrangers en France ».

« Sigfox constitue un actif important pour l’économie nationale [...]»
BercyPorte-parole, ministère de l'Économie et des Finances

L’article L151-3 du code monétaire et financier précise que les investissements étrangers sont soumis à autorisation du ministre chargé de l’Économie lorsqu’une activité en France participe à l’exercice de l’autorité publique « même à titre occasionnel » ou quand elle est « de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale », ou que c’est une activité « de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives ».

« Elle [la prise de contrôle par un acteur étranger] nécessite donc une autorisation du ministre de l’Économie qui ne peut être accordée que si les intérêts nationaux sont préservés. S’agissant d’actifs relevant de la souveraineté nationale, il n’est pas possible pour l’État de déroger aux règles en vigueur », continuait Bercy. « Une demande a été déposée et nous ne faisons pas de commentaires sur les procédures en cours ».  

Cette dernière phrase suggérait que le ministre de l’Économie n’avait pas pris sa décision, contrairement aux allégations d’Henri Bong.

En 2021, le gouvernement a renforcé les contrôles dans le cadre des procédures IEF et a imposé par décret l’application de l’article L151-3 dès lors qu’un investisseur étranger détient 10 % des droits de vote d’une société cotée. La règle est d’actualité jusqu’au 31 décembre 2022.  

Sigfox n’étant pas concerné par ce dispositif, le ministre chargé de l’Économie, en l’occurrence Bruno Le Maire, pouvait refuser « par décision motivée » l’autorisation d’investissement demandée en s’appuyant sur l’article R151-10 (notamment en évoquant l’intérêt national et les éventuels liens des investisseurs avec des gouvernements étrangers) du même code quand l’article R151-8 (protection des savoir-faire et des informations) ne suffit pas à justifier la décision. En clair, le gouvernement actuel a musclé le droit français pour empêcher la prise de contrôle de certaines entreprises par des acteurs étrangers hors UE.

De son côté, la direction de Sigfox a étudié tous les scénarios possibles, mais un report de la prise de décision après les élections n’était pas le plus probable. Le verdict du tribunal de Commerce de Toulouse était attendu le 14 avril, à partir de 14 h.

LeMagIT a mis à jour cet article intitulé « Reprise de Sigfox : Bercy va-t-il doucher les espoirs des salariés ? » à deux reprises pour refléter l'évolution de cette procédure.

Mise à jour du 14 avril à 18h : Le tribunal de commerce de Toulouse a décidé de repousser sa décision d'une semaine, au 21 avril. Le tribunal a confirmé que Bercy n'a pas délivré pour l'instant l'autorisation IEF à UnaBiz et s'accorde donc un délai d'une semaine pour rendre son verdict. Reste à savoir si le ministère de l'Economie confiera le précieux sésame au candidat favori du CSE et de la direction.

Mise à jour du 22 avril à 12h40 :

C'est finalement UnaBiz qui a obtenu gain de cause auprès du tribunal de commerce de Toulouse le 21 avril. La proximité de l'opérateur avec Sigfox a joué dans la balance tout comme sa volonté de créer une filiale française (UnaBiz SAS).

« Je tiens à remercier l'ensemble de la communauté Sigfox pour son soutien, ainsi que le gouvernement français pour avoir autorisé notre investissement. Alors que cette transition marque un nouveau départ pour Sigfox, UnaBiz garantira la souveraineté française de Sigfox », déclare Henri Bong, Co-Fondateur et Co-CEO d'UnaBiz dans un communiqué de presse.

Endetté de 150 millions d'euros, celui qui avait levé près de 300 millions d'euros (pour construire une infrastructure mondiale dédiée à son réseau UNB, entre autres) a été repris pour 3,6 millions d'euros, selon Forbes. Comme promis, UnaBiz conserve 110 salariés sur les 174 de Sigfox SA et les 16 collaborateurs de Sigfox France.

Auprès du MagIT, Henri Bong évoquait le soutien accru des investisseurs prêts à doubler leur mise dans la société singapourienne. Un tel argument a sûrement joué en sa faveur.

La passation de pouvoir « devrait être rapide et simplifiée » selon un mail interne diffusé sur LinkedIn et envoyé par Arnaud Tayac, directeur commercial de Sigfox, à ses équipes. De par ses activités, UnaBiz est « déjà au cœur de l’écosystème Sigfox ».

Le concurrent à la reprise Oteis « prend acte » de la décision du tribunal de commerce de Toulouse.

L'autre candidat éconduit, Actility, a déjà exprimé sa volonté de poursuivre les partenariats avec le repreneur de la technologie inventée par Christophe Fourtet.

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