Ordinateur quantique : l’URCA déploie le nouveau simulateur Qaptiva

Après avoir été à l’avant-garde des formations sur l’informatique quantique en France, l’Université de Reims Champagne-Ardenne muscle son simulateur pour répondre aux demandes du réseau MesoNET mis en place par l’État.

Le Centre de calcul de l’Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA) se dote pour la seconde fois du simulateur d’ordinateur quantique mis au point par Eviden. À présent baptisé Qaptiva et succédant à la version initiale appelée QLM, ce simulateur a pour objectif de permettre à des étudiants, des chercheurs et des industriels d’apprendre à programmer pour l’un des futurs ordinateurs quantiques et de tester le bon fonctionnement d’un code.

« Notre centre de calcul universitaire se veut l’un des plus à la pointe des technologies. Nous l’avons créé il y a une vingtaine d’années, nous avons été les premiers à installer un GPU en 2007 pour accélérer les calculs et les premiers, en 2013, à installer un cluster entier de GPUs. Nous nous efforçons d’être très innovants pour nos chercheurs, nous nous intéressons aux nouvelles solutions pour calculer plus vite. Et c’est pourquoi nous avons acquis dès 2021 un simulateur quantique auprès d’Eviden », raconte Arnaud Renard, le directeur du centre de calcul de l’URCA (en photo en haut de cet article, à côté du simulateur d’Eviden).

« En informatique quantique, il y a un grand besoin de formation, car le code n’a rien à voir avec ce que l’on connaît en informatique traditionnelle. »
Olivier HessGlobal Quantum Computing Technology Advisor & Head Quantum Computing France, Eviden

À l’époque, Eviden avait été choisi après un appel d’offres pour fournir le nouveau supercalculateur Romeo que l’université souhaitait déployer. Ayant l’ambition de peser sur le futur marché de l’informatique quantique, Eviden propose à cette occasion d’installer Romeo avec son module QLM. Il s’agissait d’un petit cluster de serveurs x86 supplémentaires comprenant tout le nécessaire – langages, émulateurs… – pour s’initier à l’informatique quantique.

« En informatique quantique, il y a un grand besoin de formation, car le code n’a rien à voir avec ce que l’on connaît en informatique traditionnelle. Typiquement, il existe deux modèles d’algorithmes. Dans le modèle dit à porte, on crée un circuit avec des opérateurs booléens qui ont autant de variations entre vrai et faux que 2 exposant le nombre de qubits (2^N). Dans le modèle dit adiabatique, on fournit un état de départ et on laisse le système quantique évoluer pour trouver le minimum de cet état de départ », explique Olivier Hess, qui supervise l’activité quantique d’Eviden en France.

« L’idée du simulateur quantique est de simuler une sorte de hasard et de soumettre 10, 100 ou 1 000 fois le même code pour obtenir un million de valeurs différentes, lesquelles vont montrer une tendance vers un résultat. C’est très long à faire sur un ordinateur classique, alors que sur un ordinateur quantique (quand il sera fonctionnel) il le fera immédiatement grâce à l’intrication et la superposition quantiques », ajoute-t-il.

L’emballement des étudiants et des chercheurs de l’URCA pour le simulateur QLM est immédiat. Le centre de calcul le fait participer dans des hackathons et se taille rapidement une réputation de centre à l’avant-garde du quantique en France.

L’enjeu de répondre à l’explosion des demandes de formation

Entretemps, l’État a mis en place le projet MesoNET, à savoir la fédération des moyens en supercalcul sur le territoire de sorte que les chercheurs et les industriels puissent accéder dans chacune des régions à des formations, des outils et des ressources de traitement ou de stockage. MesoNET comprend un volet quantique et c’est tout naturellement que l’URCA, désormais bien visible dans le domaine, a été désigné pour s’en charger.

« Nous avons une enveloppe de 200 000 € pour, sur quatre ans, dispenser des formations à la programmation quantique. Nous nous rendons dans les laboratoires du territoire, pendant une semaine, un mois, nous leur expliquons comment cela fonctionne. Ensuite, ils peuvent envoyer leurs codes sur notre simulateur quantique pour les tester », explique Arnaud Renard. Il précise que les cours sont dispensés par son équipe et celle d’Olivier Hess.

« Les demandes de formation en programmation quantique explosent. »
Arnaud RenardDirecteur du centre de calcul de l’URCA

« Programmer un GPU, un étudiant apprend à le faire en dix heures de cours. En revanche, il faut beaucoup plus de temps pour apprendre à programmer du code quantique ; les algorithmes sont faits de dérivées partielles, d’opérations combinatoires… ».

« Nous sommes même sollicités par d’autres pays. »
Arnaud RenardDirecteur du centre de calcul de l’URCA

« À l’épreuve, les principaux utilisateurs de notre simulateur sont les doctorants qui ont trois ans pour réaliser un projet. Cela dit, les demandes de formation en programmation quantique explosent. Depuis le début de l’année, nous avons formé entre 250 et 300 personnes, soit plus à présent que celles que nous formons sur la programmation de GPU. Nous sommes même sollicités par d’autres pays », ajoute-t-il.

Étant donné cette nouvelle activité, il fallait faire grimper en puissance le simulateur. « Comme il s’agit de l’argent de l’État, il n’était pas question de continuer avec Eviden sans au préalable faire un appel d’offres pour évaluer les autres solutions du marché. Nous nous sommes ainsi posé la question d’acheter une solution qui fonctionnait déjà avec de vrais qubits. Mais, au final, nous n’avons trouvé nulle part ailleurs d’équivalent au simulateur d’Eviden. C’est le seul qui soit agnostique, qui permette de se former à tous les types de programmations quantiques », relate Arnaud Renard.

Simuler le quantique sur un cluster classique avec beaucoup de RAM

La nouvelle version de QLM qu’Eviden est en train de déployer au sein de l’URCA s’appelle désormais Qaptiva 800. Elle supporte à présent d’émuler les six grandes familles de technologies quantiques et simule jusqu’à 41 qubits (30 précédemment), en prenant en compte des modèles de bruit (interférences entre le fonctionnement d’un qubit et son environnement susceptible de le geler prématurément dans un état).

« En termes de puissance de calcul, l’idée est de doter les serveurs Qaptiva de suffisamment de mémoire pour simuler et combiner toutes les possibilités qu’un ordinateur quantique traiterait en une seule fois. Nous proposons donc différentes configurations qui vont de 2 à 32 To de RAM », détaille Olivier Hess.

Les machines Qaptiva 800 sont des clusters composés de serveurs ayant chacun deux processeurs Xeon 28 cœurs à 2 GHz (250 W par processeur) et 2 To de RAM. Sans doute pour des questions d’enveloppe thermique, Eviden recommande de plutôt utiliser deux Xeon de 20 cœurs chacun à 1,9 GHz (205 W par processeur) quand le serveur est équipé de GPU. Il s’agit en l’occurrence de deux cartes L40 (48 Go de RAM) de Nvidia. Les serveurs communiquent entre eux via quatre liens optiques en 100 Gbit/s chacun, avec connecteurs SFP+.

Le modèle milieu de gamme Qaptiva 804, en cours d’installation dans le centre de calcul de l’URCA, dispose d’un total de quatre processeurs et 4 To de RAM.

« Il est à noter que le cluster Qaptiva 804 remplace notre ancien QLM, qu’Eviden nous reprend dans le cadre d’une négociation commerciale. Nous n’avons pas d’intérêt à conserver un vieux matériel qui consomme plus d’énergie que le récent et qui mobiliserait du temps d’administration en plus », dit Arnaud Renard.

Olivier Hess ajoute que les deux générations de machines ne seraient par ailleurs pas facilement cumulables, la version des émulateurs quantiques de QLM n’étant pas optimisée pour les caractéristiques de Qaptiva et vice-versa.

« Les caractéristiques du modèle Qaptiva 804 ont été pensées pour permettre l’exécution d’un gros algorithme quantique ou de dix algorithmes moyens le temps de la formation », ajoute Arnaud Renard, sans plus de précision. 

Au stade embryonnaire actuel de l’informatique quantique, les algorithmes dont il est question sont essentiellement un calcul complexe plutôt qu’une application entière. « De toute façon, le destin de l’ordinateur quantique n’est pas de remplacer l’ordinateur traditionnel, mais juste d’exécuter les petites portions de calculs trop complexes pour un ordinateur classique. Quand il fonctionnera, l’ordinateur quantique restera une extension de l’ordinateur classique qui, lui, par exemple, restera le seul à pouvoir accéder aux données sur une unité de stockage », insiste Olivier Hess.

Abstraire le code quantique dans du code Python

Concernant l’aspect logiciel, Eviden a tout d’abord mis au point un langage universel, sorte d’assembleur quantique, l’AQASM (Atos Quantum ASseMbler), que l’on génère de manière transparente depuis du code Python incluant une couche d’abstraction Atos Quantum Assembly Python (pyAQASM). Le kit de développement comprend également un logiciel Jupyter Notebook qui permet de composer un programme dans une interface web à partir de bibliothèques mathématiques et de routines pré-écrites.

« ll ne s’agit pas ici de fournir un ordinateur quantique, il s’agit d’apprendre à l’utiliser. »
Olivier HessGlobal Quantum Computing Technology Advisor & Head Quantum Computing France, Eviden

Dans un second temps, le kit permet de définir les caractéristiques de l’ordinateur quantique cible, en particulier son nombre de qubits et son modèle de bruit. Puis, soit l’ensemble est envoyé pour exécution sur le cluster Qaptiva, soit sur un véritable ordinateur quantique si l’utilisateur dispose du connecteur nécessaire. L’ensemble du kit de développement est téléchargeable gratuitement sur le PC d’un utilisateur. 

Outre les émulateurs pour six familles d’ordinateurs quantiques, le cluster Qaptiva embarque également un ordonnanceur qui échelonne l’exécution des codes soumis par les utilisateurs. Ni Eviden ni le centre de calcul de l’URCA ne se prononcent à ce stade sur le temps que met le cluster Qaptiva à exécuter du code quantique.

Eviden indique qu’il peut aussi déployer uniquement la partie logicielle de Qaptiva sur les nœuds d’un supercalculateur déjà en place, afin de bénéficier de sa plus grande puissance pour accélérer les traitements. Reste à savoir s’il est rentable de mobiliser un supercalculateur pendant une semaine pour simuler en quantique un petit calcul qu’il aurait achevé en quelques secondes avec du code traditionnel.

« Le but de l’ordinateur quantique est d’exécuter du code un million de fois plus rapidement qu’un ordinateur classique. Donc, nécessairement, l’électronique classique sur laquelle Qaptiva fonctionne va mettre longtemps à l’exécuter. Mais il ne s’agit pas ici de fournir un ordinateur quantique, il s’agit d’apprendre à l’utiliser », conclut Olivier Hess.

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