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La deeptech française, leader en Europe

La DGE dresse un état des lieux positif des deeptech en France et propose une feuille de route pour faire passer à l’échelle des pépites comme Mistral, Alice&Bob, Pasqal ou Biomemory. Une condition indispensable pour la souveraineté industrielle de la France estiment les pouvoirs publics, qui évaluent le besoin de financement à 30 milliards € d’ici 2030.

La France championne d’Europe. Un rapport détaillé, d’une centaine de pages, signé de la Direction Générale des Entreprises (DGE), se félicite des progrès réalisés par la deeptech française depuis 2019 et le lancement d’un plan public de soutien. Notre pays serait devenu en cinq ans le leader sur le Vieux Continent.

Mais pour garder cette position, voire pour que certaines deeptech hexagonales conquièrent le monde, il faudra soutenir l’écosystème sur le moyen terme, avertit le rapport.

Qu’est-ce réellement qu’une deeptech ?

Le rapport – intitulé « L’innovation de rupture au défi du passage à l’échelle, état des lieux de la deeptech en France et pistes pour une nouvelle stratégie » – définit une « deeptech » comme une « entreprise fondée sur une innovation de rupture issue de la recherche, requérant d’importants besoins financiers et un temps long de développement ».

Ces entreprises sont donc souvent liées au milieu de la recherche scientifique (plus ou moins fondamentale). Une part conséquente de leurs employés est allouée à la R&D. Et leurs produits donnent souvent lieu à la reconnaissance d’une propriété intellectuelle.

La DGE place dans cette catégorie des sociétés très diverses qui vont de Mistral (AI générative) et Poolside (IA pour coder), à Alice & Bob, Quandela et Pasqal (informatique quantique), en passant par Biomemory et DNA Script (stockage ADN) ou encore par Ledger (sécurité des cryptos) ou des biotechs.

2 500 deeptech en France

« Depuis 2019, l’écosystème deeptech français a connu un essor notable qui fait de la France un écosystème compétitif à l’échelle européenne et mondiale », se réjouissent les deux auteurs du rapport (Guillaume Heim et Emma Rappaport).

Dans le détail, plus de 330 deeptech auraient été créées en 2023 en France, portant le nombre total de sociétés actives à près de 2 500.

Le volume des levées de fonds a, de son côté, été multiplié par trois en cinq ans. Il atteint 4,1 milliards € en 2023 (deuxième plus gros montant européen derrière le Royaume-Uni et quatrième mondial).

Des entreprises à risques

Malgré ces succès, la situation des deeptech est fragile par nature. Les déboires de Ynsect (nourriture à base d’insectes) – listé dans le rapport, mais qui vient d’être placé en redressement judiciaire – en sont un exemple récent.

« Les deeptech sont une catégorie spécifique de start-ups qui sont caractérisées par des défaillances de marché, ce qui justifie d’autant plus une intervention publique », insiste le rapport.

D’où l’importance du Plan Deeptech ou du dispositif de France 2030, qui aident les pépites prometteuses. Ce soutien couvre leurs besoins – depuis les phases d’émergence jusqu’au développement avancé – avec des subventions, des prêts et des appels à projets sectoriels.

Un instrument de souveraineté à 30 milliards €

Car face à la concurrence internationale, la deeptech française serait à un tournant. Les montants levés aux États-Unis et en Chine sont considérablement plus élevés. Pour consolider sa compétitivité, la France devra mobiliser au moins 30 milliards d’euros de financement public et privé d’ici 2030, chiffrent Guillaume Heim et Emma Rappaport.

« La deeptech ne se résume pas aux enjeux économiques, elle soulève également des enjeux de souveraineté. »
Éditorial du rapport « L’innovation de rupture au défi du passage à l’échelle. État des lieux de la deeptech en France et pistes pour une nouvelle stratégie »

L’éditorial du rapport, signé par quatre ministres (Éric Lombard, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Marc Ferracci, ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie, Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du Numérique, et Philippe Baptiste, ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), insiste sur l’importance de l’innovation de rupture comme « instrument de puissance majeur » dans un contexte de concurrence et de vives tensions internationales.

« La deeptech ne se résume pas aux enjeux économiques, elle soulève également des enjeux de souveraineté : préserver notre autonomie technologique, sécuriser nos infrastructures critiques, garantir que les innovations développées en France servent nos intérêts industriels et stratégiques » écrivent à huit mains, mais à l’unisson, les ministres.

Passer à l’échelle

L’objectif est donc clair : il faut passer à l’échelle. « Changer d’échelle, c’est être plus rapide et voir plus grand pour permettre à nos entreprises de s’affirmer comme des champions technologiques mondiaux », continuent les ministres.

« Si nous voulons que la France reste une puissance industrielle, nous devons donner à nos deeptech les moyens de grandir. »
Marc FerracciMinistre chargé de l’Industrie et de l’Énergie

Oui, mais comment ? Le rapport propose trois grands axes (qui regroupent 41 pistes).

Le premier axe est d’accélérer le passage « du laboratoire au marché ». D’abord avec une meilleure détection des technologies à fort potentiel. Ensuite en renforçant les liens entre acteurs académiques et économiques pour simplifier les transferts technologiques

Le deuxième concerne la sécurisation des capitaux. Le rapport constate en effet une défaillance de financement au-delà des premiers stades de développement. Il préconise donc de pérenniser et de cibler les outils de soutien public, de favoriser l’accès au financement en fonds propres, de développer le rôle des investisseurs privés (business angels, family offices, private equity) et d’explorer des mécanismes pour orienter l’épargne vers la deeptech.

Troisième axe : l’achat. Comme dans d’autres domaines IT, les commandes publiques et privées sont de puissants leviers d’action.

« L’ensemble des start-ups et des fonds d’investissement rencontrés ont insisté sur la valeur de la commande publique/privée, qui permet – en plus de générer de la trésorerie – de tester la technologie et d’itérer avec des clients cibles », note le rapport. « Elle permet […] de répondre à la condition sine qua non pour la pérennité d’une entreprise, à savoir l’adéquation de l’offre au besoin du marché ».

La commande publique est également vue par les entrepreneurs (à 81 %) comme un signal très positif pour le marché. Travailler avec l’État est une référence client de première qualité.

L’importance de l’Europe

L’échelon européen devrait également avoir un rôle à jouer pour assurer l’avenir des deeptech.

La DGE suggère par exemple de renforcer le rôle de l’European Innovation Council (EIC) et de s’inspirer du modèle de la DARPA américaine pour soutenir les projets les plus stratégiques.

« Il est souhaitable que le prochain programme-cadre de recherche et d’innovation (PCRI), à partir de 2027, prévoie une part significative dédiée aux actions de l’EIC, afin de renforcer ses ambitions en permettant des investissements de plus grande envergure, avec un fléchage accru vers les technologies deeptech les plus stratégiques pour la souveraineté européenne et à plus fort potentiel de marché », invite le rapport.

Le ministre chargé de l’Industrie promet « une stratégie ambitieuse »

« Ce rapport dresse un constat clair : si nous voulons que la France reste une puissance industrielle, nous devons donner à nos deeptech les moyens de grandir et d’industrialiser leurs innovations de rupture », prévient Marc Ferracci.

« Dans les prochains mois, nous travaillerons avec l’ensemble des acteurs pour structurer une stratégie ambitieuse, qui permettra à ces technologies de rupture de se déployer en France et en Europe », promet le ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie.

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