Scission entre Dell EMC et VMware : à quoi faut-il s’attendre ?

Dell EMC indique qu’il se désengagera de VMware en 2021. Les analystes émettent des hypothèses pour l’expliquer, mais excluent que cela minore le rôle de VMware dans les datacenters.

Dell EMC envisage de se désengager de VMware en septembre 2021. Dans les datacenters, on s’interroge sur l’impact d’une scission totale entre ces deux fournisseurs qui, pourtant, collaborent aujourd’hui si bien pour apporter des solutions clés en main capables de répondre à tous les besoins. Dell EMC est le numéro un des vendeurs de serveurs. Quant aux logiciels de VMware, ils jouent un rôle primordial : « la plupart des applications reposent d’une façon ou d’une autre sur une plateforme VMware. Celle-ci est synonyme de fiabilité, jusque dans les charges de travail de très grande taille », lance Simon Michie, le directeur technique de Pulsant, l’un de ces hébergeurs qui proposent leurs surfaces en colocation aux entreprises.

Et d’énumérer les arguments en faveur de VMware. Les équipes techniques formées à ses solutions sont la norme. L’activité autour de VMware est bien plus rentable que celle liée au matériel sous-jacent, car elle réside dans la commercialisation de logiciels et de services. VMware, enfin, s’est imposé comme le socle standard des plateformes applicatives, sur étagères ou conçues à façon. « Migrer vers une solution alternative exigerait d’autres compétences, d’autres modèles d’exploitation IT et de nouveaux coûts dans leur mise en œuvre, comme dans leur prise en charge. Cela affecterait tout l’écosystème des clients et prestataires de datacenters », lance Simon Michie.

« Il est rare de migrer d’une plateforme à l’autre, car il faudrait d’abord être bien certain que les bénéfices seront supérieurs au coût du changement et que tous les risques ont été pris en compte. »
Simon MichieDirecteur technique, Pulsant

« Il est rare de migrer d’une plateforme à l’autre, car il faudrait d’abord être bien certain que les bénéfices seront supérieurs au coût du changement et que tous les risques ont été pris en compte. Le plus souvent, nos clients conjuguent plutôt leur historique d’applications VMware avec de nouvelles applications cloud orchestrées par Kubernetes », ajoute-t-il.

Un duo dynamique

Des analystes avancent que Dell, déjà lourdement endetté, envisagerait une scission totale ou une cession partielle pour obtenir des liquidités et simplifier la structure de son capital. Simon Michie serait néanmoins surpris de voir Dell EMC céder entièrement les 81 % de parts qu’il détient dans le capital de VMware. « Les questions à se poser sont : que ferait Dell de cet argent ? Servirait-il à rembourser de la dette ou à investir ailleurs ? Et, dans ce cas, où ? Et puis, dans quelle mesure la société VMware se sentait-elle bridée dans le giron de Dell EMC ? »

De son côté, Dell EMC a précisé qu’une scission devrait défendre les intérêts des deux parties. Elle n’aurait pas vocation à éliminer les bénéfices des arrangements commerciaux existants, ni les avantages de la collaboration étroite entre les deux entités en ce qui concerne les lancements de produits, les services, la R&D ou encore et les accords de propriété intellectuelle.

En attendant, Dell EMC et VMware continuent de travailler main dans la main pour intégrer des solutions qui soutiennent la croissance des secteurs les plus dynamiques du datacenter. Preuve s’il en est, le lancement récent d’une nouvelle évolution de VxRail, un matériel hyperconvergé co-signé Dell-VMware.

Selon Eric Hanselman, analyste au bureau d’études 451 Research, « la marque Dell Technologies cloud incarne à elle seule la collaboration entre les deux entités pour fournir des fonctionnalités cloud sur des équipements Dell EMC. Elle est garante d’une meilleure intégration entre les produits Dell EMC et VMware. »

Autrefois, ces « liens plus étroits » impliquaient souvent une perte d’interopérabilité avec le reste, voire l’impossibilité de changer de fournisseur. Mais Eric Hanselman assure que ce n’est plus vraiment le cas en 2020. « Les éléments d’automatisation et d’orchestration sont plus étroitement liés et travaillent en harmonie. Les autres fournisseurs ne sont pas pour autant exclus. Les matériels concurrents, de Cisco ou de HPE, par exemple, fonctionneront correctement.

« D’ailleurs, VMware a tout intérêt à assurer le bon fonctionnement de ces systèmes dans son environnement : techniquement, commercialement, VMware vole déjà de ses propres ailes, avec le soutien d’un vaste écosystème », ajoute-t-il.

Les probables raisons d’une scission

Au-delà des spéculations sur les intérêts financiers de Dell EMC, il existe des hypothèses stratégiques pour expliquer la scission entre les deux acteurs. Au premier chef, le marché reprocherait souvent à VMware que ses solutions soient trop onéreuses. C’est sur ce point que Dell EMC pourrait mettre en avant d’autres partenariats, par exemple des matériels basés sur l’écosystème des logiciels IBM/Red Hat.

« Le poids des licences VMware sur les coûts d’exploitation préoccupe les entreprises. »
Eric HanselmanAnalyste, 451 Research

« Le poids des licences VMware sur les coûts d’exploitation préoccupe les entreprises. Toutefois, malgré leurs récriminations, les clients continuent d’en extraire des bénéfices. À ce titre, je doute que Dell EMC procède à une refonte significative de ses équipements cloud aujourd’hui vendus avec du VMware », rétorque Eric Hanselman.

Autre point d’accroche qui pourrait suggérer un rapprochement avec Red Hat, celui de choix techniques et, à l’horizon, le fait que VMware, champion de la virtualisation des serveurs, se retrouve ringardisé par les containers. Ce nouveau format des instances virtuelles est plus adapté aux applications écrites spécifiquement pour pouvoir s’exécuter en cloud. Pour l’heure, VMware fait face à cette situation avec sa solution Tanzu : intégrée à vSphere 7, elle offre les grandes fonctionnalités de Kubernetes, l’orchestrateur Open source des containers. Au point qu’il devient inutile d’avoir plusieurs solutions distinctes pour gérer les machines virtuelles et les containers.

« La question est de savoir si on ne gagnerait pas en efficacité sur tous ces sujets en passant directement à un environnement logiciel nativement conçu pour Kubernetes. »
Eric HanselmanAnalyste, 451 Research

Eric Hanselman estime toutefois que le sujet des containers dépasse l’aspect technique. « Les containers arrivent avec de nouvelles pratiques DevOps, dont l’intégration en continu des nouveaux codes dans les développements. Ces pratiques sont liées aux désirs de plus d’automatisation et d’orchestration. Elles font donc partie de l’équation financière. S’ajoutent les pressions croissantes inhérentes à la transformation des processus métier, qui accentuent le problème des compétences, en l’occurrence autour des frameworks cloud et de Kubernetes. La question est de savoir si on ne gagnerait pas en efficacité sur tous ces sujets en passant directement à un environnement logiciel nativement conçu pour Kubernetes. »

Gérer la menace Kubernetes comme un nouvel OpenStack

Selon d’autres observateurs, il faut néanmoins reconnaître à VMware qu’il sait jouer avec habilité pour protéger son leadership. Par le passé, il avait déjà intégré avec succès des composantes Open source pour couper l’élan de la plateforme OpenStack, laquelle se lançait il y a dix ans pour le détrôner de son piédestal. En vain, finalement.

Tous les analystes s’accordent à dire que VMware devrait demeurer une brique essentielle du datacenter, malgré l’arrivée des containers. « La plupart des opérateurs de datacenters ne tireraient que peu de profits de l’abandon de VMware, même au prétexte de passer au tout-container, ce qui demanderait un effort considérable. Et pas vraiment justifiable : les containers et les machines virtuelles sont utilisés à des fins différentes. Pire, les containers dépendent presque entièrement de Linux. La migration d’applications Windows vers des containers est tout sauf une chose aisée », prévient Michael Warrilow, en charge des fournisseurs de service chez Gartner.

Au contraire, dit-il, en prenant plutôt le parti d’intégrer Kubernetes à ses offres de virtualisation, VMware apporte des services – comme Tanzu Application Catalog – qui étendent les fonctions des containers pour leur apporter un monitoring, des normes d’audit et des règles de sécurité dont les applications Linux, MySQL par exemple, sont normalement dépourvues. De plus, l’acquisition d’Octarine a permis à VMware de sécuriser les applications Kubernetes containérisées, a dynamisé le cœur de son offre, notamment VMware Cloud Foundation, vSphere, NSX-T, vSAN et vRealize Operations Cloud, et a renforcé ses partenariats avec Amazon Web Services, Microsoft Azure, Google Cloud, Dell et Alibaba.

VMware, un acteur solide

« Aucun d’eux [la plupart des clients actuels de VMware] ne verra de raison de changer de solution au seul prétexte d’un changement de maison-mère. L’usage prédomine. »
Michael WarrilowEn charge des fournisseurs de service, Gartner.

Selon Gartner, VMware continue de dominer le secteur de la virtualisation des serveurs sur site, grâce à vSphere, vSAN et NSX-T. Il s’efforce cette année de ne pas oublier les développeurs, notamment au travers de Tanzu, mais aussi des acquisitions de Pivotal et d’Heptio. Il embrasse le cloud hybride, avec des offres « VMware Cloud… » qui étendent son catalogue. La croissance prévue dans l’adoption des containers par les entreprises – les ventes de solutions adéquates rapporteraient 994 millions de dollars en 2024 – refléterait surtout la grande convoitise que suscite une architecture nativement cloud.

« La plupart des clients actuels de VMware l’étaient déjà quand VMware n’était qu’une filiale d’EMC et que celui-ci n’avait pas encore été racheté par Dell. Aucun d’eux ne verra de raison de changer de solution au seul prétexte d’un changement de maison-mère. L’usage prédomine », assure Michael Warrilow.

Les finances de VMware paraissent saines. L’annonce des revenus du premier trimestre fiscal 2021 fait état de 2,7 milliards de dollars de recettes, soit une progression de 12 % par rapport au même trimestre de l’année précédente. Les recettes des abonnements pour ses outils en SaaS s’élevaient à elles seules à 572 millions de dollars au premier trimestre, soit une hausse de 39 % en un an. En y ajoutant les licences de versions sur site, les revenus générés par ces outils, qui enrichissent l’infrastructure logicielle de base, atteignent 1,2 milliard de dollars.

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