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L’open source, un « levier stratégique » pour la souveraineté numérique (Linux Foundation)
À travers deux rapports, la Linux Foundation identifie le rôle que joue l’open source dans un « paysage géopolitique changeant ». De manière contre-intuitive, l’organisation défend l’idée que la collaboration ouverte et internationale est essentielle à l’émergence de la souveraineté numérique.
Si la Linux Foundation perçoit les opportunités manquées des entreprises européennes qui ne contribuent pas à l’open source, elle observe un changement drastique au sein des gouvernements des pays européens.
« L’évolution du paysage géopolitique a profondément modifié la perception des gouvernements européens à l’égard des logiciels libres, qui sont passés d’une simple considération technique à un levier stratégique pour la souveraineté numérique », écrit-elle.
Des évolutions qui affectent les ministères français, sommés d’adopter la messagerie open source Tchap. La Commission européenne, pendant un temps réfractaire aux logiciels libres, revoit doucement sa position.
« Le fait de dépendre uniquement de fournisseurs issus de régions spécifiques pourrait présenter des risques, et l’open source offre un moyen d’atténuer ces préoccupations », indique Philippe Ensarguet, vice-président de l’ingénierie chez Orange et conseiller du comité de direction de la Linux Foundation, dans le rapport.
« Open Source Buy Act »
Cependant, contrairement à l’idée que se font certaines entités gouvernementales, il ne faudrait pas limiter les contributions open source, ni imposer un « European Buy Act », allègue l’ONG américaine.
« Plusieurs experts s’inquiètent du fait que les politiques et stratégies européennes visant à renforcer la souveraineté numérique risquent de fragmenter l’écosystème mondial des logiciels libres en se concentrant exclusivement sur la création et l’achat de logiciels européens, alors que c’est précisément la nature collaborative et sans frontières des logiciels libres qui rend cet écosystème innovant et résilient », écrivent ces porte-parole.
Au contraire, les personnes interrogées par la LF réclament une politique de commandes publiques qui ferait la part belle aux solutions open source, peu importe leur provenance.
En fer de lance de cette tendance, l’ONG loue les actions de la Sovereign Tech Agency (STA), une émanation de l’agence fédérale allemande pour l’innovation « disruptive ». Cette dernière est financée par le ministère des affaires économiques et de l’action climatique allemand. La STA joue le rôle de promoteur de l’open source et défend l’idée que la souveraineté technologique de l’Allemagne et des États de manière plus générale dépend du financement de projets open source critique. Ainsi, depuis sa création en 2022, elle a provisionné plus de 24,6 millions d’euros en vue de maintenir 60 projets open source, dont Log4J, FreeBSD, Gnome, RubyGems, OpenJS, Arch Linux, Drupal ou encore l’écosystème Fortran.
« Forts de ce succès, les experts appellent désormais à la création d’agences similaires dans d’autres pays et au niveau de l’UE », écrivent les représentants de la Linux Foundation.
Sans open source, pas d’IA souveraine selon la Linux Foundation
Une autre tendance pourrait mettre d’accord les membres de l’ONG, les entreprises et les gouvernements : l’IA souveraine.
Environ 79 % des 233 personnes interrogées (majoritairement des professionnels de l’IT) sur le sujet par la LF estiment que l’IA souveraine est une notion « valable » et une « priorité stratégique ». Les réponses des résidents européens, asiatiques et américains varient très peu.
En outre, 89 % d’entre eux jugent que les logiciels libres sont l’aspect le plus important pour l’émergence de l’IA souveraine, devant les données (69 %), les standards (69 %), la gouvernance, les infrastructures et le hardware ouverts.
« Peut-être plus important encore, 94 % des répondants reconnaissent que la collaboration mondiale sur la technologie d’IA open source est essentielle, 93 % d’entre eux convenant que la collaboration ouverte est fondamentale pour construire des systèmes d’IA souverains sécurisés et culturellement alignés », écrivent les auteurs du rapport « The State of Sovereign AI » publiée par la Linux Foundation. « Cela suggère que l’IA souveraine doit être réalisée non pas par l’isolement, mais par la participation à un développement partagé et communautaire ».
« Les organisations et les nations qui n’investissent pas dans les infrastructures d’IA open source, le développement des talents et les cadres de gouvernance collaborative risquent de se retrouver dépendants à jamais de fournisseurs externes pour leurs capacités technologiques les plus critiques », lit-on plus loin.
De leur côté, 82 % des entreprises développeraient des solutions d’IA spécifiques. Elles le feraient principalement pour maintenir le contrôle sur les fonctionnalités et sur leur propriété intellectuelle (57 %), pour répondre à des besoins que les solutions sur étagère ne couvrent pas (49 %) et à des enjeux de sécurité ou de souveraineté (41 %).