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IA : un modèle de fondation pourrait transformer la simulation des molécules

La deeptech française Qubit Pharmaceuticals et Sorbonne Université ont créé un modèle de fondation dédié à la simulation moléculaire. Il atteindrait une précision inédite dans la modélisation de biomolécules. Les applications dépasseraient les seuls médicaments.

FeNNix-Bio1. Derrière ce nom étrange se cache un modèle de fondation bien particulier. Loin des LLMs génériques, comme ceux d’OpenAI ou de Mistral, ce modèle va simuler le comportement des molécules comme aucun autre avant lui. C’est en tout cas la promesse de ses créateurs, la startup Qubit Pharmaceuticals et Sorbonne Université.

« Prédire la capacité d’un médicament à se lier à une protéine (ou à l’ARN et à l’ADN) est l’une des tâches les plus complexes dans la découverte de médicaments », expliquent les deux acteurs. « L’espace chimique est quasi illimité. […]. Il existe des trillions de combinaisons possibles [entre molécules médicamenteuses et molécules cibles] ».

D’où l’intérêt de réduire les expérimentations en laboratoire au profit de simulations numériques pour diminuer « le coût de la phase de découverte d’un médicament », dixit Jean-Philip Piquemal, professeur à Sorbonne Université, directeur du Laboratoire de Chimie Théorique (Sorbonne Université/CNRS) et co-fondateur de Qubit Pharmaceuticals.

À condition, évidemment, que la simulation soit efficace et convaincante. Or, les résultats de FeNNix-Bio1 seraient justement d’une précision et d’une rapidité inégalées.

Une base de données synthétiques à l’échelle mondiale

Les travaux de recherches qui l’ont précédé ont fait l’objet de deux prépublications, une sur ChemRXiv et une autre sur arXiv.

Le modèle a été entraîné sur une base de données de plusieurs millions de briques élémentaires et de biomolécules, produite grâce aux infrastructures de calcul haute performance de GENCI, EuroHPC et Argonne National Laboratory.

En s’entraînant sur ces « briques », FeNNix-Bio1 a appris à reconstituer des molécules « à la manière d’un lego » (sic) et à prédire leurs comportements en fonction des lois de la chimie et de la physique.

FeNNix-Bio1 aurait par exemple démontré sa capacité à modéliser le comportement de l’eau dans ses différentes phases. Cette tâche est réputée complexe, mais elle est surtout indispensable. L’eau est le solvant présent dans le corps humain. Son interaction avec les molécules des médicaments joue un rôle clé dans leur activité.

FeNNix-Bio1 peut aussi modéliser la réactivité des molécules, c’est-à-dire la création ou la rupture de liaisons chimiques ; une fonctionnalité qui serait absente des logiciels de simulation classiques.

Cette nouvelle approche rendrait possible la conception de médicaments « covalents » (qui se lient directement à la molécule cible) particulièrement difficile à développer.

Vers une exploration accélérée de l’espace chimique

Technologiquement, FeNNix-Bio1 est un prolongement du modèle AlphaFold de Google DeepMind, dixit l’équipe de Sorbonne Université. Mais tandis qu’AlphaFold prédit la structure des protéines de manière statique, FeNNix-Bio1 permettrait de modéliser aussi leurs effets dynamiques et leurs interactions.

« AlphaFold a révolutionné la prédiction de la structure des protéines. Mais ces dernières ne sont pas statiques », rappelle Jean-Philip Piquemal, qui insiste sur le fait que son modèle permettrait de simuler ces variations temporelles et d’améliorer ainsi la compréhension des interactions protéine-médicament.

« Comme le modèle est aussi précis que l’expérience, nous pouvons générer énormément d’idées nouvelles, échouer rapidement et à peu de frais “in silico”. »
Jean-Philip PiquemalProfesseur et chercheur à Sorbonne Université, co-fondateur Qubit Pharmaceuticals

« Ce n’est pas un simple gain marginal, c’est une nouvelle approche de la science moléculaire », assure Qubit Pharmaceuticals. Ces simulations dynamiques au niveau quantique ouvriraient même « un champ des possibles sans précédent dans la simulation moléculaire ».

Concrètement, la combinaison de rapidité et de précision de FeNNix-Bio1 permettrait de tester virtuellement un grand nombre de combinaisons moléculaires avant l’expérimentation en laboratoire.

« Comme le modèle est aussi précis que l’expérience, nous pouvons générer énormément d’idées nouvelles, échouer rapidement et à peu de frais “in silico” », vante Jean-Philip Piquemal.

Une IA frugale, car ultraspécialisée

Les chercheurs indiquent par ailleurs qu’ils ont privilégié des architectures de réseaux de neurones spécifiques, adaptées à la physique et à la chimie, plutôt que les modèles de langage de grande taille.

Avec cette approche d’IA frugale, FeNNix-Bio1 pourrait être entraîné sur un GPU standard, en quelques heures, contre plusieurs semaines sur des supercalculateurs pour d’autres modèles d’IA génériques.

Un outil au-delà du secteur pharmaceutique

Et maintenant ? Pour Robert Marino, PDG de Qubit Pharmaceuticals, l’ambition est de « viser les cibles complexes, celles pour lesquelles l’industrie pharmaceutique n’apporte pas de solution ».

Mais les applications possibles de FeNNix-Bio1 dépasseraient le seul domaine pharmaceutique.

Le modèle pourrait par exemple être utilisé pour la conception d’enzymes industrielles, l’optimisation de membranes pour la désalinisation, le développement de batteries de nouvelle génération, ou encore pour la chimie verte.

 

Qubit Pharmaceuticals : quantique ou pas quantique ? (les deux en même temps… évidemment)

Contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, Qubit Pharmaceuticals n’est pas à proprement parler une deep tech de l’informatique quantique.

La société, fondée en 2020, est spécialisée dans la simulation moléculaire augmentée à l’intelligence artificielle. Elle utilise donc des algorithmes (dont celui qu’elle a créé avec la Sorbonne), du HPC et une pointe de calcul quantique.

Ses fondateurs viennent en revanche du monde de la chimie quantique – la branche de la chimie qui utilise la mécanique quantique pour comprendre le comportement des molécules à l’échelle subatomique.

Qubit Pharmaceuticals est donc bien liée à l’écosystème quantique. L’horizon de la société est d’ailleurs de mélanger de plus en plus intimement IA et informatique quantique.

Elle collabore avec l’Institut Curie, Sorbonne Université et l’Université de Sherbrooke.

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