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Celonis France recadre sa stratégie autour de ses clients existants

Pour doubler son chiffre d’affaires d’ici à deux ans, Celonis France se concentrera sur la « maximisation » de la valeur chez les clients existants, majoritairement issus du CAC40. Ce qui nécessite de maintenir des expertises sectorielles.

Brice Faure, ancien dirigeant d’Anaplan en France, passé par SAP, a pris la tête de la direction générale de Celonis France en février 2025.

Il remplace Fadi Naffah qui, peu de temps après son départ, a rejoint le concurrent Aris en tant Chief Revenue Officer.

Lui affirmait avoir convaincu 57 clients français en quatre ans. Trois entreprises avaient choisi la suite d’analyse et d’automation des processus (process mining, process intelligence) avant son installation dans le bureau parisien, en 2020. Brice Faure évoque une quarantaine de clients, avec pour objectif d’en signer une vingtaine supplémentaire d’ici à deux ans.

Se concentrer sur les grands comptes pour doubler le chiffre d’affaires

« Notre objectif est de doubler le chiffre d’affaires de l’entité française », ajoute l’actuel vice-président et directeur général de Celonis France, lors d’un point presse. Il participait à la conférence annuelle Celosphere qui se déroulait du 3 au 5 novembre à Munich. « Le groupe prévoit une croissance annuelle de 30 à 40 % ».

Brice Faure, vice-président & DG France, CelonisBrice Faure,
vice-président & DG France, Celonis

Celonis est adopté par un peu plus de la moitié des groupes du CAC40. Pour autant, les déploiements à l’échelle ne sont pas encore une généralité. Le chiffre d’affaires, bien qu’en hausse par rapport à l’année passée, n’est pas au niveau des attentes de l’éditeur.

« Nous avons un retard à rattraper. Et ce retard, pour moi, ne peut se combler que par la maximisation de nos revenus chez nos clients existants », note Brice Faure.

En France, Celonis veut donc se concentrer sur les grands comptes généralement convaincus par les apports du process mining. Ce qui implique une nouvelle organisation, en cours de développement.

« Ouvrir des comptes, c’est une chose, mais ensuite il faut les suivre, les garder, les développer et l’on ne peut pas tout faire », pose le directeur général de Celonis France.

De ce fait, pour répondre aux besoins des ETI, Celonis misera davantage sur les partenaires autres que les grands intégrateurs. Le dirigeant indique que cette partie de la stratégie est en cours de structuration.

Place au « tailor made », à l’expertise sectorielle

Du côté des grands comptes, ce développement passe par des commerciaux nommés, et ce que Celonis appelle des « Value Engineers ». Ce sont des ingénieurs couvrant l’ensemble du cycle, de l’avant à l’après-vente. Ceux-là sont en cours de spécialisation. Ils doivent accompagner les projets des clients les plus avancés. Ils tiennent généralement un rôle de supervision au côté des grands cabinets de conseil et les intégrateurs sur les premiers projets.

Il s’agit d’aller au-delà des « gains les plus faciles à obtenir », comme l’expliquait l’année dernière Fadi Naffah.

« Celonis le reconnaît aujourd’hui, nous nous concentrions trop sur les processus standards : compte fournisseurs, compte clients, gestion d’inventaires, etc. », rappelle Brice Faure. « Nous devons proposer du “tailor made”, une expertise sur des processus métier critique pour nos clients ».

Techniquement, cela implique de passer de l’analyse de processus à l’orchestration d’actions correctives et d’amélioration continue. Ce vers quoi les clients les plus avancés, comme Saint-Gobain en France, BMW et Mercedes-Benz en Allemagne, se sont dirigés. L’IA et l’orchestrateur de flux automatisés, codéveloppé avec Emporix, peuvent y participer. C’est la feuille de route défendue par l’éditeur.

De son côté, Celonis France doit recruter des experts métiers par ligne d’activité. « Nous avons des équipes dédiées au manufacturing, au CPG, au secteur bancaire qui sont parmi les principales industries couvertes par Celonis », liste Brice Faure. « Nous avons quelqu’un qui ne traite que des processus des opérateurs télécoms, une autre personne traite des sujets des énergéticiens, etc. »

Cela vaut aussi pour certains volets plus horizontaux. Par exemple, cette année, LeMagIT a pu échanger avec le « champion de l’IA » chez Celonis en France.

L’éditeur recherche des profils sortis des grandes écoles « capables de s’adapter rapidement » et qui ont, de préférence, plusieurs années d’expérience dans un des domaines cités plus haut.

« Nous sommes censés être le miroir des experts métier que nous rencontrons chez nos clients », note Brice Faure. Cela implique par ailleurs le recrutement de consultants dans l’entité service de l’éditeur.

Or, ces spécialistes sont aussi difficiles à dénicher des deux côtés de la barrière. Ils sont néanmoins nécessaires pour que Celonis prouve sa valeur.

À ce titre, le dirigeant français, dont c’était le premier Celosphere, a apprécié les « no bullshit talks » de ses clients. « Ils sont dans l’action », constate-t-il. Peu des grands groupes français souhaitaient communiquer avec la presse. Mais, lors du salon se déroulant à Munich, ils ont affiché des résultats et des objectifs conséquents dans le cadre de leur adoption de la plateforme de process mining. Tout en évoquant les défis qu’ils ont rencontrés lors de l’implémentation de la technologie.

Les enjeux croisés de Celonis et de ses clients

Celonis a largement bâti sa communication sur les économies réalisées par ses clients. Elles se chiffrent en millions, en dizaine, voire en centaine de millions d’euros/dollars. Des résultats certes impressionnants, mais qui masquent certains aspects de son modèle.

D’abord, les clients remarquent que le premier projet est généralement plus long à mettre en place. Il faut s’acclimater à la technologie de Celonis et la déployer.

Depuis deux ans, l’éditeur passe de la modélisation des processus par cas (« case centric ») à une autre par objet (Object Centric Process Mining, OCPM). Cette deuxième approche doit permettre de capturer les relations entre les composants d’un processus et les intersections entre deux processus ou plus. Or, sur les 300 clients ayant adopté ce modèle de données (sur 1400 au total), 30 l’ont déployé sur plus de cinq processus.

En France, les porte-parole de Celonis rencontrés par LeMagIT assurent que la majorité des clients, sinon tous, ont adopté OCPM. Dans son Magic Quadrant publié le 15 avril 2025, Gartner notait que cela accélère les déploiements, mais réclame une plus grande maturité pour bâtir les bonnes analyses, « à cause de l’abondance d’objets et de processus interconnectés ».

Aux enjeux de déploiement s’ajoutent des défis contractuels. Pour rappel, Celonis a porté plainte contre SAP aux États-Unis pour pratiques anticoncurrentielles. Dans l’attente du verdict, SAP autorise son concurrent (et ex-partenaires), à ingérer les données de son système ERP. Mais Celonis n’est toujours pas un partenaire certifié de SAP, ce qui rebute certains prospects. Pour mémoire, SAP propose une solution concurrente : Signavio.

Brice Faure imagine que le partenariat entre Celonis et Databricks (puis, plus tard Snowflake), annoncé lors de Celosphere, représente une alternative. Databricks entretient lui-même un partenariat avec SAP.

Par ailleurs, il convient de « négocier » avec les métiers (dixit les représentants de Socar Turquie, une branche de la compagnie pétrolière et gazière nationale d’Azerbaïdjan) pour le bon usage de la plateforme et appliquer les premières mesures correctives.

Ces premières corrections sont présentées par le porte-parole d’un grand industriel français comme les « dolipranes » du processus. Elles soignent les symptômes. Reste à trouver le traitement pour le guérir.

Stabiliser le modèle économique

Ensuite, Celonis a vanté, pendant quelques années, un modèle économique basée sur un pourcentage des économies obtenus. Il en revient. Depuis deux ans, il se concentre sur une tarification fonction du nombre de processus et d’une échelle de déploiement (un pays, une région, plusieurs, etc.).

« Le réflexe de mes commerciaux, c’est de promettre une génération de valeur permettant d’autofinancer l’usage de la plateforme », résume Brice Faure. « Savez-vous combien d’éditeurs de logiciels font ça ? Moi, je n’en connais pas d’autres. Mais nous nous enfermons dans ce discours ». 

La génération de valeur n’est pas forcément financière, justifie-t-il. Comment quantifier les gains d’efficience des métiers, la meilleure connaissance des processus de l’entreprise. « Dans certains cas, ça ne se mesure pas, ou peu ».

De plus, certains clients refusent de partager avec l’éditeur les gains obtenus.

La promesse de retour sur investissement peut engendrer des frictions au moment de poser le périmètre d’un projet. Certains prospects avancés ont pu découvrir des anomalies importantes dans les processus cibles. Anomalies qu’ils ont préféré régler en interne plutôt que de payer une solution. Ou maintenir le statu quo si cela réclame un changement organisationnel, inenvisageable à l’instant T. « Notre travail consiste à déterminer au plus tôt les organisations compatibles avec notre approche », résume Brice Faure.  

Toutefois, ce choix d’un modèle économique plus prédictible n’était pas forcément limpide pour les clients en début d’année 2025. « En particulier, les utilisateurs expriment des difficultés liées à l’évolution des paramètres de tarification, aux coûts basés sur les processus, aux mécanismes d’échelonnement peu clairs et au nombre élevé de SKU complémentaires », note Gartner dans son Magic Quadrant.

Celonis demeure le leader de sa catégorie, devant Signavio, ARIS, Apromore (Salesforce), IBM, UiPah, Pegasystems et Mehrwerk.

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