Cet article fait partie de notre guide: Comment l'IT révolutionne les campagnes électorales

CRM : la nouvelle arme IT des politiques s’impose en France

Mais la CNIL veille. Résultat, le CRM politique français est moins axé sur le ciblage et le scoring que son modèle américain. Ses atouts restent néanmoins nombreux. Et ses utilisateurs ont tout intérêt à regarder les bonnes pratiques des DSI.

Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les politiques utilisent des CRM sans même connaitre l’acronyme.

Les outils de gestion des relations commerciales ont immanquablement intéressé leurs « spin doctors » et les directeurs de campagnes. D’abord aux Etats-Unis. Et aujourd’hui en France. Les tâches qu’ils permettent d’accomplir expliquent ce succès. Même si elles ne sont pas identiques des deux côtés de l’Atlantique.

Le CRM en politique résout des problématiques majeures

Les entreprises le savent bien. Avec des listes papiers ou des tableurs Excel, gérer des bases de données - à la fois fournies et hétérogènes - est problématique à plus d’un titre. Et en tout cas pas la manière optimale de gérer la donnée.

Pour organiser les militants, cibler les sympathisants, identifier des abstentionnistes de son camp ou recruter des adhérents, rien ne vaut un bon CRM pour centraliser et organiser la multitude d’informations.

Quant au CRM version « intervention de terrain » (Field Services), il est l’outil rêvé pour le porte à porte ou l’organisation d’actions (tracts, collages, etc.).

Cerise sur le gâteau, avec la généralisation des smartphones et des tablettes, les remontées d’informations (telle personne à telle adresse s’est montrée réceptive, tel tractage sur tel marché a été catastrophique ou au contraire a donné lieu à une collecte fructueuse d’adresses mails) sont désormais possibles, quasiment en temps réel et de manière systématique.

Résultat, toutes ces informations « nouvelles » peuvent enrichir les bases historiques des partis.

Mieux, elles peuvent être croisées avec des « datas » publiques (listes électorales, statistiques de l’INSEE, Open Data) ou issue du tracking comportemental de chaque parti (ouverture d’une newsletter par tel ou tel militant, réaction sur un réseau social).

Enfin, les CRM politiques - dédiés ou les généralistes utilisées dans un cadre politique - ouvrent inexorablement la voie à l’analytique, à l’évaluation des actions (efficacité d’un militant ou d’un relais d’opinion, d’une campagne de postage) et au scoring prédictif.

Croisements de données interdits

Seule limite, ces CRM d’un genre particulier doivent respecter les règles strictes de la CNIL.

Celles-ci interdisent par exemple d’automatiser le croisement massif d’informations (comme l’annuaire/pages blanches avec une base de militants) ou de faire des croisements d’informations personnelles sans le consentement explicite de la personne concernée.

C’est sur ce point précis que la CNIL a mis en garde le très médiatique Nation Builder. La plateforme américaine a dû désactiver une de ses fonctions phares. Cette fonctionnalité remplissait automatiquement une fiche « client » (adhérent). Avec la seule adresse mail de celui-ci, Nation Builder identifiait des comptes Twitter, Facebook et LinkedIn appartenant au militant et importait les données publique qu’il avait renseignées sur ces réseaux sociaux.

Illégal a rappelé la CNIL. Parce qu’automatisé et sans consentement explicite.

Moins de données utilisables qu'aux Etats-Unis

Autre limite importante, les données disponibles pour « cibler » (ou « profiler » ou « ficher ») sont beaucoup moins nombreuses en France qu’aux Etats-Unis. Au pays de l’Oncle Sam, la participation aux élections (« a voté » ou « n’a pas voté ») et l’appartenance à un parti sont publiques.

Il existe par ailleurs des statistiques ethniques, des listes de diplômés et beaucoup plus de bases commerciales. La National Rifle Association par exemple ne se prive pas de confier la liste de ses membres aux partis pour montrer le poids du lobby pro-arme dans les circonscriptions.

Les possibilités de centralisation puis d’analyse – et donc l’intérêt de CRM analytiques – sont donc moindres en France. A tel point que ce sont plus les utilisations pour la remontée des informations (et l’enrichissement « fait main et maison » des bases) et l’organisation des opérations sur le terrain qui prennent le dessus sur l’analytique Big Data.

Un simple exemple, cité par Challenge, le concurrent d’Obama à la présidentielle américaine de 2012 Mitt Romney a scoré et ciblé ses donateurs en fonction « d’informations aussi précises que les crédits d'un citoyen, le nombre de ses enfants ou ses croyances religieuses ». Inenvisageable en France.

Croisements de données interdits, on vous dit !

Au contraire, au pays de Tocqueville, la « collecte massive de données » est strictement interdite « en l’absence d’information des personnes concernées. » Or avoir le consentement de « prospects » avant de les identifier comme prospects est irréaliste. Une application mobile politique en a fait les frais en 2016.

Knockin permettait aux militants de Nicolas Sarkozy de faire du porte à porte ciblé sur les sympathisants de droite. Le problème est venu de la manière de cibler les militants. En résumé, l’application était connectée aux comptes sociaux officiels du candidat de la primaire de droite. Chaque action de « like » sur ses posts sur Facebook ou de retweete de ses publications sur Twitter, générait une alerte de « lead » (cette personne qui a liké est un sympathisant). Jusqu’ici pas de problème.

Les politiques feraient bien de s’inspirer des DSI dans leurs pratiques CRM

Ce « lead » était alors complété avec les données de son compte mais aussi par recoupement de données publiques (principalement les listes électorales) pour déterminer son adresse. En clair, un « like » sur le Facebook de Nicolas Sarkozy et l’adresse du « likeur » était identifiée et transmise à ses équipes.

Rien de plus que ce que fait Nation Builder (qui en fait même plus). Mais très mal vécu en France car « liker » ne revient pas à donner son accord pour que celui qu’on like collecte une adresse personnelle. C’est un cas très différent de celui où une « adresse est collectée parce qu’une personne est inscrite à une Newsletter et qu'elle a autorisé l'utilisation de son adresse pour d'autres usages », rappelle Patrick Blum, vice-président de l’Association Française des Correspondants à la Protection des Données à Caractère Personnel.

Depuis, la CNIL a ouvert une enquête et l’application Knockin a fermé. Mais elle montre bien que des CRM « taillés » pour les Etats-Unis ne sont pas nécessairement adaptés à la France.

Knockin rappelle aussi l’impérieuse nécessité d’avoir des outils CRM qui collecte du consentement : lors des adhésions, lors d’inscription à des newsletters, ou lors d’inscription à des évènements.

Scoring Macro pour Macron

Plus limité qu’aux Etats-Unis, le CRM politique n’est pas pour autant dénué d’intérêt. Bien au contraire. Dans le contexte français il sert prioritairement à mettre de l’ordre dans la compilation des données et à les pérenniser. Il est historiquement dans la continuité de ce que faisait un « brisquard » comme Charles Pasqua qui avait collecté quarante ans de petites fiches. « Ses fiches valaient de l’or » rappelle Vincent Moncenis, créateur de DigitaleBox, un concurrent français de Nation Builder.

Ceci dit, le prédictif n’est pas totalement exclu. Il n’est simplement pas véritablement « Big Data » puisque les données disponibles sont des données « macros », structurés, limitées et statiques : résultats électoraux par bureau de vote et statistiques de l’INSEE.

Cette contrainte n’empêche pas la solution « 50+1 », du cabinet Liegey Muller Pons de faire des tentatives de scoring des bureaux de votes. La solution a été utilisée par Jean-Paul Huchon en 2010, par François Hollande en 2012 et est utilisée par Emmanuel Macron cette année.

L’idée de la partie « stratégique » de « 50+1 » (elle a aussi une partie CRM terrain) est d’identifier les zones où concentrer les efforts d’un parti pour convaincre les indécis ou rameuter les abstentionnistes.

Reste que dans ce cas précis, il faut savoir qui ont été les abstentionnistes. Puis les qualifier « de doite » ou «  de gauche ». Or, pas question de compulser des données personnelles nous confirme un porte-parole de Liegey Muller Pons. « 50 +1 » croise donc uniquement des données publiques, en Open Data, pour déterminer des cibles.

L’électeur consommateur et le politique produit ?

Sans aucun jugement de valeur sur la pertinence du scoring final - qui a mené François Hollande à la présidence - on est bien loin des techniques les plus avancées des entreprises. Mais même dans ces usages contraints par la CNIL, la polémique n’est jamais bien loin. La matière politique est inflammable. Ses données brulent les mains de ceux qui y touchent.

En 2005, l’UMP avait par exemple acheté des bases commerciales. Immédiatement, les accusations de « spam » avaient fusé. En 2012, François Hollande avait hésité -très longuement - avant de se résoudre à utiliser les 700.000 adresses mails récupérées lors des primaires socialistes.

«C’est une vision très marketing, très technique », avance Anaïs Théviot, universitaire citée par Libération qui semble regretter « l’image d’un marché politique où l’électeur est un consommateur et le candidat un produit […] Il y a une tendance générale à une gestion de plus en plus entrepreneuriale des campagnes ».

Adapter le CRM politique à la donnée, pas l’inverse

Cette critique montre, en creux, que la nature de la donnée (ici personnelle), sa sensibilité et son usage (ici politique) doit influer sur le choix du CRM qui la traite. Quel que soit le contexte : GRDP, commerce, santé, etc.

La transparence, la maitrise et l’audibilité des solutions de CRM politiques (qui sont à notre connaissance toutes en mode SaaS ou managée) rappellent les problématiques IT classiques de choix d’un Cloud. Puissance mille.

Un simple exemple, dans les colonnes du quotidien Les Echos daté du 2 septembre 2016 : l’équipe de Bruno Lemaire se posait la question de la stricte confidentialité des données qu’elle versait dans Nation Builder. Sans trop savoir si ces données alimentaient un tronc commun. « Je ne veux pas faire le travail des autres candidats à leur place », y fustigeait le directeur de campagne du candidat à la primaire qui n’avait visiblement pas eu de réponse claire.

Autre question – mais avait-elle été envisagée en amont – la primaire allait avoir un gagnant. Que faire des données et des comptes Nation Builders lors de l’officialisation de la candidature du vainqueur ? Les données d’Alain Juppé, de Nicolas Sarkozy et de Bruno Lemaire ont-elles été fusionnées avec celle de François Fillon malgré leur cordiale détestation réciproque ?

Bref, à qui appartient la donnée ? Et l’outil Cloud choisi s’adapte-t-il à sa gouvernance ?

Cette question centrale – qui se pose aussi au DSI depuis longtemps, DSI dont les politiques feraient bien de s’inspirer dans leurs pratiques CRM – montre la nécessité d’outils clairement adaptés et adaptables.

C’est exactement ce qu’avaient souligné les responsables de la campagne de Ted Cruz, lors de la primaire républicaine de 2016 aux Etats-Unis. Son équipe avait choisi Salesforce comme socle de base et l’avait personnalisé en collaboration avec la société CFB Strategies pour s’adapter parfaitement à ses besoins et à ses exigences. L’usage avait suivi (une autre problématique que connaissent les DSI), la satisfaction aussi.

Ce qui n’a pas empêché Ted Cruz de perdre face à Donald Trump. Comme quoi, l’outil IT ne fait pas tout.

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