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Blockchain : l'UNICEF investit dans six startups

Ces startups spécialistes de la blockchain opèrent dans des domaines qui sont dans la continuité de la mission de l'UNICEF. Ces cas d'usages donnent également quelques leçons sur les scénarios les plus adaptés à la blockchain.

Au Mexique, la plupart des patients reçoivent des ordonnances écrites à la main, sur une simple feuille de papier. La méthode est désuète, à risque pour des informations médicales, et inefficace. Les cliniciens ne peuvent pas partager d'informations sensibles sur ces ordonnances, tandis que des malfrats peuvent facilement les falsifier ou voler des données sur les patients.

Everardo Barojas, PDG de Prescrypto, une startup basée à Mexico, pense qu'il peut résoudre ces problèmes avec la blockchain.

L'UNICEF le pense aussi.

Le programme des Nations Unies pour la protection des enfants voient dans la blockchain un moyen de résoudre certains de ses problèmes les plus difficiles à régler. D'où un investissement dans six startups à travers le monde (voir notre encadré, plus bas).

Des prototypes dans un an pour mieux comprendre la blockchain

Le Fonds dédié à l'innovation de l'UNICEF (UNICEF Innovation Fund) a ainsi annoncé en décembre 2018 qu'il investirait jusqu'à 100 000 dollars dans Atix Labs, Onesmart, Prescrypto, StaTwig, Utopixar et W3 Engineers. Le but est d'avoir dans 12 mois des prototypes d'applications opérationnelles (et open source).

Le premier objectif est de construire des prototypes pour s'attaquer à des problèmes mondiaux tels que la transparence dans la prestation des soins de santé, une connectivité mobile abordable ou la capacité de tracer les ressources financières allouées à des projets à fort impact social.

« Il était clair pour moi que cette technologie serait déterminante dans la prochaine génération d'outils de partage de données »
Everardo BarojasPDG de Prescrypto

Le deuxième objectif est de déterminer si oui ou non et où et comment, la blockchain peut aider l'UNICEF et les organisations du monde entier mieux que les technologies traditionnelles.

« Il s'agit de regarder de nouvelles technologies passionnantes, qui ont de la valeur pour nos donateurs et nos investisseurs et qui profitent à l'humanité » résume Christopher Fabian, conseiller principal à l'Office of Innovation de l'UNICEF.

Le soutien de l'UNICEF à ces startups, ainsi que des événements comme des hackathons blockchain, aident également ses équipes à mieux connaître cette technologie et à voir où elles peuvent l'utiliser en interne pour améliorer les processus interne de l'agence.

L'UNICEF a déjà trois personnes à temps plein et deux personnes à temps partiel qui travaillent sur des projets blockchain. Ces effectifs devraient doubler dans les prochaines années. En outre, l'équipe de l'UNICEF au Kazakhstan participe à la mise au point d'un prototype de Smart Contract sur Ethereum pour mieux suivre les transactions entre l'UNICEF et ses partenaires.

L'objectif, ajoute Christopher Fabian, « c'est de nous préparer pour l'avenir ».

L'avenir de la blockchain est cependant loin d'être clair. Certains le voient dans des cas d'utilisation très particuliers et peu communs - comme ceux financés par l'UNICEF - mais restent sceptiques sur la capacité de la blockchain à résoudre la plupart des problématiques des organisations.

Il n'en reste pas moins qu'ils regardent avec attentions des projets pilotes, comme ceux de l'UNICEF, pour évaluer in situ les avantages que la blockchain peut vraiment apporter.

Prescrypto : une blockchain dans la santé pour les pays émergents

Prescrypto a été fondé il y a trois ans. Elle travaille sur RexChain, une blockchain dédiée à la santé conçue pour garantir la portabilité des données médicales sensibles.

Comme le décrit son site, RexChain stocke les ordonnances dans une base de données cryptée, assurant ainsi leur sécurité et leur exactitude, tout en donnant aux patients la possibilité de contrôler quand, comment et avec qui ils partagent ces prescriptions.

« Nous redonnons à l'utilisateur final la maitrise de ses données » commente Everardo Barojas, fondateur de Prescrypto, dans un courriel à SearchCIO (groupe TechTarget, également propriétaire du MagIT)

« La mission de Prescrypto est de rendre possible des prescriptions électroniques au Mexique, en Amérique latine et dans tout autre pays en développement qui manque d'infrastructures via un système qui permet aux cliniciens, aux patients, aux pharmaciens d'envoyer, de recevoir et de suivre les prescriptions médicales dématérialisées », écrit-il.

Everardo Barojas avait déjà une expérience de la blockchain puisqu'il a travaillé avec la première place de marché Bitcoin au Mexique sur un logiciel qui s'interfaçait avec la blockchain Bitcoin.

« J'ai étudié en profondeur la structure des données et le mécanisme de la blockchain [...] Il était clair pour moi que cette technologie serait déterminante dans la prochaine génération d'outils de partage de données ».

Les 6 startups blockchain soutenues par l'UNICEF

En plus de Prescrypto, l'UNICEF finance cinq autres startups blockchain.

Atix Labs en Argentine développe une plateforme qui permet aux petites et moyennes entreprises d'avoir accès à des financements, avec une traçabilité de l'utilisation des fonds et dans la mesure de l'impact de ceux-ci.

Onesmart au Mexique travaille sur une application pour s'assurer que les prestations sociales fournies par l'État sont bien allouées aux enfants et aux jeunes.

StaTwig en Inde utilise la blockchain pour rendre plus efficace la distribution des vaccins, en améliorant les systèmes de gestion des approvisionnements.

Utopixar en Tunisie construit un outil de collaboration sociale dédié aux communautés et aux organisations pour faciliter les prises de décision participative et le transfert de valeurs.

W3 Engineers au Bangladesh vise à améliorer la connectivité au sein des communautés de réfugiés et de migrants grâce à un réseau mobile qui ne nécessite pas de cartes SIM.

Dans la blockchain, la prudence reste mère de toutes les vertus

L'investissement de l'UNICEF dans ces startups reflète dans un sens ce qui se passe dans les organisations du monde entier.

PwC a interrogé 600 cadres supérieurs dans 15 pays et a constaté que 84 % déclaraient que leur organisation s'intéressait de près ou de loin à la blockchain.

Deloitte, dans son étude mondial 2018 sur la blockchain, constatait que 39 % des mille cadres supérieurs qu'il a interrogés déclaraient que leur organisation investirait 5 millions de dollars (ou plus) dans la blockchain en 2019.

Mais dans le même temps, Deloitte constate que le même pourcentage - 39 % à - croit que la blockchain est survendue par les éditeurs et les journalistes.

Steve Wilson, VP et analyste principal chez Constellation Research, pense pour sa part que les dirigeants seraient bien avisés de garder la tête froide quand ils évaluent le potentiel de la blockchain.

« Il faut se rappeler que la blockchain n'est pas seulement un mécanisme de stockage distribué ou une base de données, mais ce sont des mots clefs - comme "immuable" - qui ont marqué les esprits », constate-t-il. Or ces attributs de la blockchain peuvent être essentiels pour des cas spécifiques, comme dans les crypto-monnaies, « mais ce sont loin d'être des besoins universels ».

« Bien souvent, les bases de données traditionnelles avec des signatures électroniques sont déjà assez immuables comme cela »
Steve WilsonConstellation Research

Dans beaucoup de cas, ajoute Steve Wilson, la blockchain est même une solution qui se cherche un problème. « Il faut donc faire attention à ne pas lancer des blockchains à brûle-pourpoint sur des cas pour lesquels elles n'ont jamais été conçues ».

Par exemple, « les soins de santé n'ont pas forcément besoin d'un registre distribué immuable. Les besoins d'information dans la santé sont super complexes. Ils ne peuvent pas se résumer à des slogans comme "immuables, ouverts, décentralisés" », avertit Steve Wilson.

L'analyste va plus loin. Pour lui, la « vache sacrée » de l'immutabilité des informations est une pure création du mouvement blockchain. « Personne n'a jamais voulu l'" immuabilité " avant 2009 [et l'avènement de la blockchain]. Ce que les professionnels veulent vraiment, c'est une défense contre la falsification et les modifications non autorisées, mais tout en restant modifiable. Les bases de données traditionnelles avec des signatures électroniques sont, à mon avis, déjà assez immuables comme cela », lâche-t-il.

L'investissement de l'UNICEF semble néanmoins montrer qu'il existe des scénarios pertinents où la blockchain pourrait apporter de vraies solutions et plus de valeur ajoutée que les technologies existantes, admet Steve Wilson.

« Certains des ces projets tirent également parti de la haute disponibilité et de la fiabilité du stockage de la blockchain », constate-t-il. Mais « [ces blockchains] opèrent dans des environnements où l'infrastructure et les structures d'autorité historiques sont beaucoup moins nombreuses que ce à quoi nous sommes habitués ». L'expérience de l'UNICEF devra donc être regardée avec attention, mais en prenant soin de ne pas oublier ces contextes très particuliers (lire ci-dessous).

La blockchain : « Pas un besoin urgent pour la plupart des DSI »

La plupart des DSI n'est pas confrontée à des situations comme celles des projets blockchain de l'UNICEF, où les structures administratives sont soit inexistantes, soit mal définies, prévient Steve Wilson.

« En termes de généralisation [de l'investissement de l'UNICEF dans la blockchain] il faut faire très attention à ne pas oublier la place de la ou des autorités existantes » insiste-t-il. « Si votre cas d'utilisation implique de fait une administration, il va être parfaitement inefficace de passer à la blockchain. Faire cela, c'est comme si vous décidiez délibérément de nier l'existence des managers, des bureaux d'enregistrement et des administrateurs de bases de données ».

En outre, les cas explorés par l'UNICEF sont des applications entièrement nouvelles, elles n'ont pas d'existant à gérer.

Ceci étant, elles aussi évolueront avec le temps. « Au fur et à mesure de leur croissance et de leur évolution, une recentralisation parait inévitable - c'est presque une loi de la physique ou de la nature que les réseaux décentralisés reviennent à une forme de centralisation avec le temps - et il faudra alors vérifier si la blockchain est toujours le bon type d'architecture quand il est souvent plus simple, plus rapide et moins coûteux d'avoir une administration centralisée des données ».

À ce titre, Steve Wilson pense que les dirigeants doivent faire preuve de rigueur, de discernement et de prudence pour comprendre les problèmes qu'ils tentent de résoudre ; et donc déterminer si la blockchain est une bonne solution et en quoi elle est meilleure que les autres technologies pour obtenir les résultats souhaités.

« La blockchain a-t-elle le potentiel de résoudre des problèmes difficiles ? Oui ! Mais il faut être très sélectif sur les problèmes que l'on essaie de résoudre » synthétise l'analyste. « Pour la plupart des DSI, il n'y a - de mon point de vue - pas le feu pour passer à la blockchain ».

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