
Gaétan Raoul
Comment AG2R La Mondiale modernise ses pratiques de gestion de données
AG2R La Mondiale revoit de fond en comble son architecture de données et l’organisation qui va avec. Un chantier qui s’inscrit dans un plan de transformation IT dont la date de livraison est prévue pour 2028.
AG2R La Mondiale est avant tout un assureur mutualiste en activité depuis 1905. Santé & prévoyance, assurance vie, épargne, retraite, auto & habitation, etc. Le groupe opère aussi bien auprès des particuliers que des entreprises, qui sont ses principaux clients. Le groupe assure environ 15 millions de personnes et travaille avec plus de 500 000 entreprises.
Présence physique et virtuelle, partenariat en marque blanche… ces dernières années, l’assureur a multiplié les canaux de ventes. Or, en 2022, le groupe fait le constat qu’il a plus de « détracteurs que de promoteurs » dans ses enquêtes de satisfaction. « Nous avions des NPS [Net Promoter Score, N.D.L.R.] négatifs. Dans un domaine d’activité dans lequel le service est important, il nous fallait traiter cet enjeu », expose Stéphane Lapierre, directeur des systèmes d’information relation client chez AG2R La Mondiale.
L’autre enjeu de taille pour le groupe était de restaurer l’équilibre économique d’AG2R Santé Prévoyance. « Le monde de la santé en France est un monde compliqué. L’État pousse de plus en plus de coûts et de frais vers les mutuelles. En conséquence, nos dépenses de santé augmentent et notre activité prévoyance perdait de l’argent. Même si nous sommes un groupe à but non lucratif, nous devions redresser cette activité ».
Dans un même temps, la distribution des 200 offres du groupe sur les différents canaux devenait complexe. Les systèmes d’information n’étaient pas taillés pour l’APIsation de ses services d’assurance. « Nous souhaitions “changer de braquet” en matière de numérique, ce qui est devenu le nom d’un des sous-programmes », évoque Stéphane Lapierre.
Un chantier IT qui affecte 80 % des systèmes de l’entreprise
Ce plan ambitieux lancé en 2022 et s’étalant sur six années implique une multiplication par trois du budget IT du groupe. Sur la période 2023-2028, cela représente 629 millions d’euros. Environ 80 % des systèmes d’information sont concernés. « Nous avons six ans pour tout refaire », affirme le DSI responsable de la relation client. « Nous sommes à mi-course ».
De fait, comme beaucoup d’assureurs ces 20 dernières années, « AG2R La Mondiale a rapproché beaucoup de mutuelles typées » au sein du groupe. Or si les entités ont été associées légalement, fiscalement, de manière organisationnelle, les intégrations entre les systèmes d’information ont été minimes. « En 2022, nous avons fait le constat que nous avons une vingtaine de SI juxtaposés, très hétérogènes et obsolètes », relate Stéphane Lapierre. « Nous avons encore une forte attache au mainframe et nous avons des cœurs de gestion de plus 30 ans d’âge ».
Dans cet effort de modernisation, les directions informatiques ont « opéré un certain nombre de choix stratégiques » en matière de SaaS : Salesforce pour le front-office et l’agrégation, FASST pour la distribution des offres d’assurance, Informatica pour le référentiel.
À la fin de l’année 2024, le groupe a indiqué avoir bénéficié de la livraison de 470 fonctionnalités, « incluant la mise en place d’un CRM unique, d’espaces clients digitaux enrichis et de la rationalisation des systèmes de gestion », peut-on lire dans son rapport annuel.
Dans un même temps, AG2R La Mondiale a réussi a relevé son Net Promoter Score. « Nous avons bien progressé sur cet aspect », avance Stéphane Lapierre.
AG2R La Mondiale choisit Google Cloud et S3NS
Ce n’était pas une évidence pour le COMEX, mais les DSI de l’assureur souhaitaient adopter le cloud. C’est Google qui a été sélectionné après un appel d’offres. « Le fournisseur nous a convaincus sur un certain nombre de caractéristiques en matière de gestion de données, d’exposition API, des événements, de serverless et l’IA », justifie le directeur des SI relation client. « C’était la plateforme qui, technologiquement, répondait pleinement à nos besoins en matière de gestion de données ».
AG2R LA Mondiale a choisi d’appuyer sa pile de gestion de données sur BigQuery. Apigee, la suite de gestion d’API de GCP doit servir à ouvrir le SI de l’assureur auprès de ses distributeurs. « Ces plateformes doivent permettre de concentrer l’ensemble des objets métier qui porte l’entreprise ».
Or, AG2R La Mondiale ne peut pas basculer ses données dans le cloud sans un niveau de sécurisation adéquat. « Il a fallu expliquer au membre du COMEX le périmètre de sécurité que nous voulions mettre en place ». En 2022, c’est aussi le moment où S3NS, la joint-venture de Google et de Thales, sort de terre. L’occasion d’accéder à un cloud voué à obtenir la qualification SecNumCloud. AG2R La Mondiale est l’une des premières entreprises à choisir S3NS. « Nous avons fait un pari que nous estimons gagnant aujourd’hui », déclare Stéphane Lapierre.
Suivant le niveau de sensibilité des données, certaines sont ou seront stockées et traitées sur le futur cloud de confiance. En attendant, le service de chiffrement de clés externe de Thales hébergé sur S3NS est utilisé pour protéger les données déjà présentes sur GCP.
Dans le SI existant d’AG2R La Mondiale, il y aurait une centaine de briques technologiques consacrées à la gestion de données. « La notion de client est répartie 80 fois dans le SI de manière différente », constate le responsable.
Un Data Hub au service de la vision à 360 degrés des assurés
Pour se débarrasser de ses silos, la DSI a décidé de mettre en place un Data Hub permettant aux métiers d’accéder aux actifs dont ils ont besoin et de les manipuler. « Par-dessus, nous allons y greffer un certain nombre de cas d’usage majeurs ». En commençant par la vision à 360 degrés des assurés. « Cette vision à 360 degrés comprend environ 200 attributs », explique Stéphane Lapierre. « Qui est le client, quels sont ses contrats, ses opérations, quels ont été les moments d’interaction entre le groupe et son client, les interactions entrantes, sortantes, les réclamations en cours, l’indicateur de satisfaction, le score de rétention de valeur… bref, il y a beaucoup de données à récupérer ».
Le Data Hub est également la source des projets de BI en libre-service, propulsés par Qlik ou Looker. « Il s’agit de simplifier l’accès aux données aux métiers. Cela passe par les outils BI, mais également le data catalog ».
Du fait de son activité, AG2R La Mondiale est soumis à un certain nombre de réglementations qui, selon le directeur des SI relation client, nécessite un suivi, du pilotage et du reporting. « Ces rapports réglementaires sont effectués à travers notre Data Hub ».
Enfin, le Data Hub est amené à alimenter les projets IA du groupe. « Quand nous avons choisi GCP, c’était aussi pour ses capacités en matière de machine learning et de deep learning. Est arrivé depuis l’IA générative », note le responsable des SI relation client.
Le DSI voit bien l’intérêt de simplifier l’accès aux données aux applications d’IA. Mais l’assureur doit aussi fournir un effort pour améliorer la qualité de données. « C’est un sujet bloquant un pour un certain nombre de cas d’usage », évoque-t-il. « Il nous faut des données accessibles et de qualité, sinon les résultats des IA sont peu probants ». Et il y a aussi l’IA qui permet de réinjecter des données. « Et nous voyons bien la puissance de la connexion de BigQuery à nos LLM afin d’enrichir les champs, le contexte des données, d’améliorer leur qualité ».
Cette vision technologique s’accompagne d’un changement organisationnel et de pratiques. « La bonne nouvelle, c’est que l’IA a révélé l’intérêt des métiers pour leurs données », se réjouit Stéphane Lapierre. Une tendance rassurante pour le DSI qui peut justifier l’intérêt des investissements engagés.
Une organisation Data Mesh, mais des SI « fédérés »
Surtout, AG2R La Mondiale a opté pour le « mode d’organisation Data Mesh ». « Nous avons testé beaucoup de types d’organisations, complètement centralisées et décentralisées. Elles ont toutes leurs avantages et inconvénients », rapporte Stéphane Lapierre. « Nous avons fait le choix de déployer une organisation Data Mesh dans l’ensemble de l’entreprise autour d’une gouvernance fédérée ; une équipe qui gère les règles du jeu. Nous avons mis en place des outils communs : le data catalog, les outils BI, ainsi que des normes et des pratiques animant la gouvernance et la mise en qualité des données ».
Conformément aux préceptes de la philosophie Data Mesh, l’organisation « data » est sous-divisée en domaines métier. « Chaque domaine métier dispose de data owners, de data stewardx, de data officers qui gouvernent les objets métiers », décrit le DSI relation client.
Les data officers ont une vision « stratégique » des données et des cas d’usage. Les data owners gèrent un à trois produits de données, tandis que les data stewards ont une plus grande connaissance des systèmes d’information.
À cela s’ajoute une « couche transverse – les pilotes réglementaires – qui gère les processus réglementaires et leur qualité », complète Stéphane Lapierre.
Environ 60 personnes occupent ces différents rôles. « Il a fallu les choisir, les former, les diriger pour les mettre en mission d’appliquer ce mode d’organisation. Encore une fois, l’IA générative nous a beaucoup aidés parce que les métiers reprennent possession de leurs données, qui étaient jusqu’à présent le problème des informaticiens ».
La pile technique, la chaîne CI/CD, les pipelines de données, l’administration, le FinOps sont gérés par l’IT dans un mode de gouvernance fédérée. « Du côté métier, ils sont responsables de leurs données, de leurs actifs. Nous leur donnons également la possibilité de développer des cas d’usage ».
Les objets métiers peuvent être transverses au domaine métier et sont regroupés dans des comptoirs. « Chaque métier a son comptoir avec l’ensemble de ses objets métiers gouvernés par le data owner et le data steward. Ils sont exposés à l’aide du data catalog et protégés par un certain nombre d’habilitations, de règles métier et de sécurité », explique Stéphane Lapierre.
La vision à 360 degrés décrite plus haut découle de l’assemblage des différents objets en provenance des différents comptoirs à travers des vues agrégées. « Cela permet d’alimenter en données nos actuaires. Nous exposons aussi les données à nos partenaires par API et pour des activités corporate pour des cas d’usage très spécifiques ».
La mise à disposition des objets métiers demeure un travail en cours. « C’est bien d’avoir la plateforme de gestion de données, mais il faut la remplir. Nous sommes en train de le faire : nous y stockons les objets métiers mis en qualité et gouvernés », indique Stéphane Lapierre.
Propos recueillis lors du Google Cloud Summit France à la fin du mois de mai 2025.