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Comment Harmonie Mutuelle soigne l’efficacité de ses processus

Face à des processus hétérogènes, Harmonie Mutuelle a décidé dès la fin de l’année 2017 d’adopter le CASE Management pour harmoniser ses pratiques. Au prix de deux ans d’effort, la filiale de Vyv a compris la gestion de dossier et l’utilise pour refondre les échanges entre ses collaborateurs et ses adhérents.

Harmonie Mutuelle, membre fondatrice du groupe Vyv, est née de la jonction de 17 mutuelles, elles-mêmes issues de l’incorporation de 350 mutuelles. « Il ne s’agit pas de fusions », précise d’emblée Jean-Christophe Heymonet, directeur en charge des données et de l’expérience client chez Harmonie Mutuelle.

« Historiquement, les mutuelles se sont agrégées pour des raisons de complémentarité ». La filiale de Vyv s’est spécialisée dans la mutuelle santé, la prévoyance et la préparation de la retraite. Les presque 5 000 employés d’Harmonie Mutuelle assurent 65 000 entreprises et plus de 5 millions de personnes.

L’unité dirigée par Jean-Christophe Heymonet, s’occupe de la « partie opérationnelle de l’IT », ce que dans beaucoup d’autres organisations l’on nomme les logiques métiers.

« La DSI métier couvre les grandes notions du CRM, se concentre sur l’implication des collaborateurs, le traitement des données d’un point de vue transactionnel et décisionnel, les processus, les front-end clients : sites web, applications mobiles, espaces clients, espaces entreprises », liste le responsable. « Nous nous chargeons également de l’automatisation, des équipements dans les agences et dans les centres d’appels ».

Mais l’activité d’Harmonie Mutuelle étant la complémentaire santé, le « cœur du réacteur » du SI a porté principalement sur la liquidation de prestation et l’intégration des flux de la sécurité sociale.

« Depuis le rapprochement des différentes mutuelles qui forment Harmonie, nous sommes passés d’une échelle locale à nationale. Est venue la nécessité de nous équiper pour améliorer la relation avec les adhérents et le développement commercial. À ce moment-là, un système CRM a été mis en parallèle du système de liquidation des prestations », raconte le directeur en charge des données.

Problème, « chacun de ces deux systèmes vivait dans son monde », l’un pour renseigner les clients, mener les activités commerciales, et l’autre pour traiter les prestations.

Harmonie Mutuelle en quête de centralisation des processus

Souhaitant « mettre l’adhérent au centre des problématiques », Harmonie Mutuelle s’est rendu compte qu’il « manquait des ponts entre les deux [systèmes] ».

Dès 2017, la DSI métier s’est donc tournée vers le CASE Management, et ce pour trois raisons.

« Nous voulions obtenir une vision transversale orientée processus qui oublie les systèmes d’information, mais surtout qui fait la jointure entre ce que font les collaborateurs. »
Jean-Christophe HeymonetDirecteur en charge des données et de l’expérience client, Harmonie Mutuelle

« Nous voulions obtenir une vision transversale orientée processus qui oublie les systèmes d’information, mais surtout qui fait la jointure entre ce que font les collaborateurs », explique Jean-Christophe Heymonet.

Aussi, « le poids de la relation client dans le digital s’est imposé à nous », constate le dirigeant. Selon François Couton, directeur délégué général d’Harmonie Mutuelle, 60 % des demandes des clients passent par le site web ou les applications. « Il nous fallait trouver une solution pour exposer des échanges autrefois internes, qui ne fonctionnent que parce que les collaborateurs connaissent leurs interlocuteurs. Il s’agissait alors d’ouvrir les portes de nos relations sur Internet et apporter un suivi de ces processus dans le SI », avance Jean-Christophe Heymonet.

Enfin, Harmonie Mutuelle, « comme beaucoup d’assureurs du monde de la santé », avait « beaucoup de mal à automatiser ces processus, car les systèmes existants accusaient leur âge ».

Pour autant, ce choix n’était pas évident. « Le CASE Management et le BPM faisaient rêver au début des années 2010. Au final, les résultats étaient assez mitigés », remarque Jean-Christophe Heymonet. Mais la promesse d’unifier les processus autrefois hétérogènes, tout en traversant différents systèmes, sans adhérence – ou presque – a fini de convaincre la DSI. Il s’agissait de mettre en place une gestion des dossiers prenant en compte les documents, les tâches, les interventions des collaborateurs et des parties prenantes.

La DSI métier d’Harmonie Mutuelle a donc entamé des discussions avec plusieurs fournisseurs, dont Oracle, Pega, IBM ou encore TIBCO, entre autres. « D’un côté, certains nous ont présenté leurs solutions vieillissantes ou en marge de leur portefeuille », constate Jean-Christophe Heymonet. « De l’autre, il fallait prendre toute la suite pour que cela fonctionne, puisque la plupart des capacités étaient totalement intégrées. Ou alors la solution n’était pas suffisamment mature, il n’y avait pas suffisamment de retours des clients », ajoute-t-il.

C’est finalement ActiveMatrix (AMX) de TIBCO, depuis renommée BPM Enterprise, qui a trouvé grâce aux yeux d’Harmonie Mutuelle. « TIBCO était le seul à avoir un panel de clients variés, ce qui nous permettait de mesurer à la fois que l’effort était atteignable par des entreprises de notre taille – nous n’avons pas l’envergure d’une Société Générale ou d’une Banque Postale – et que la solution allait tenir la charge, puisque même si nous sommes une très grosse PME, nous gérons des volumes assez importants ».

L’autre critère de choix, selon le responsable, portait sur la capacité d’accueil du studio AMX de profils techniques et métiers « dans un environnement où tout le monde parle avec la norme BPMN », ce que TIBCO mettait davantage en avant que ses concurrents. « La norme BPMN est importante quand l’on pratique le CASE Management », rappelle le directeur en charge des données et de l’expérience client. 

Un déploiement rapide, une adoption « longue »

Une fois le choix effectué, le déploiement de « la solution a été à la fois assez rapide et à la fois extrêmement long », affirme Jean-Christophe Heymonet. « La mise en place des premiers cas de figure n’a pas été très difficile : nous sortions d’une expérience GED et nous avons repris nos projets pour les porter dans la solution de CASE Management ».

Après un lancement en décembre 2017, les premiers processus étaient opérationnels dans la plateforme dès juin 2018. « Mais nous avons rapidement heurté quelque chose d’important », pondère le directeur. « La logique basique de la GED est de charger des documents et de l’envoyer à un collaborateur qui sait le traiter, mais cela ne prend absolument pas en compte ce que j’en fais. À la mise en service, les processus fonctionnaient, mais les apports que nous espérions n’étaient pas là, parce que nous n’avions pas travaillé sur le CASE en tant que CASE ».

« Savoir exploiter pleinement le CASE Management prend du temps et au-delà de la DSI, cela transforme la manière de penser des équipes sur le terrain qui définissent les processus. »
Jean-Christophe HeymonetDirecteur en charge des données et de l’expérience client, Harmonie Mutuelle

Il restait encore à exploiter les processus pour obtenir des gains de temps et des simplifications des tâches pour les collaborateurs. « Tout cela n’existait pas. Nous avons mis bien deux ans à comprendre comment cela fonctionne », affirme le directeur.

Cela n’aurait rien à voir avec la complexité de la solution ou de potentiels problèmes de robustesse d’ActiveMatrix, selon le responsable. « Savoir exploiter pleinement le CASE Management prend du temps et au-delà de la DSI, cela transforme la manière de penser des équipes sur le terrain qui définissent les processus », souligne Jean-Christophe.

Car, l’instauration de la gestion de dossiers a renversé la manière d’administrer les processus. Là où les responsables métiers administraient leurs tâches, la solution a intimé une forme d’harmonisation. « Donc, si l’on n’a pas prévu un cas de figure dans le CASE Management, les utilisateurs sont dans une impasse, au risque de créer de la pénibilité ».

Cela revient à véritablement établir, presque inscrire dans le marbre des processus métiers. « D’ailleurs, dans un projet de dématérialisation ou de gestion des processus, il y a forcément une perte de productivité les six premiers mois. Reconstruire les habitudes prend du temps », prévient le directeur.

« Il faut forcément accompagner un tel projet de CASE Management d’une démarche Agile », intime Jean-Christophe Heymonet. « Il faut jouer avec des essais-erreurs et tester des optimisations : ça se règle comme un moteur de Traction Avant », plaisante-t-il.

Pour cela, Harmonie Mutuelle n’a pas eu recours au process mining.

« Une partie de nos processus était subie et une grande partie d’entre eux se produisaient en dehors de notre système d’information. Un indice ? L’utilisation d’Excel », remarque Jean-Christophe Heymonet. « La solution est en nous : comment allons-nous accompagner les adhérents ? Pour lui dire quoi ? Quelles missions donne-t-on aux agents sur le terrain et aux responsables de la gestion en back-office ? Comment les faire communiquer ? Quelles sont leurs compétences respectives ? Comment l’un aide-t-il l’autre ? ».

Harmonie Mutuelle a tout de même bénéficié de l’accompagnement du cabinet informatique RS2I afin d’apprendre les ficelles du CASE Management. 

Data lake et RPA

Du côté IT, le CASE Management a eu des conséquences sur la gestion des données clients.

Harmonie Mutuelle a mis en place un Data Lake/Data Hub basé sur PostgreSQL dans lequel le groupe a commencé à rassembler l’ensemble de ses données de son CRM maison.

« Nous avons une architecture trois tiers : nous décorrélons le front, du processus, de la donnée. Ce que nous permet de faire AMX, c’est de ne mettre aucune intelligence dans les front-office, mais de les faire participer dans les processus, de mettre l’intelligence dans le processus et d’envoyer les informations dans le lac de données, puis de les redistribuer entre différents front-office », explique Jean-Christophe Heymonet.

« Cela nous permet aussi de résoudre un problème que tout le monde tente de résoudre au moment de déployer data lake, c’est-à-dire la gestion de l’accès à la donnée. Pour déverser des données dans le data lake, nous passons toujours par des processus, sauf rares exceptions. Le processus définit les règles de mise à jour du data lake », complète-t-il.

Passer au CASE Management a permis de procurer des points d’automatisation, c’est-à-dire rassembler les données jusqu’au moment où la DSI est capable de les joindre avec le système back-office, de traiter en amont tous les cas de figure « permettant de faire des injections en masse, en RPA ou via des services ».

En la matière, l’automatisation robotisée des processus est la solution privilégiée par Harmonie Mutuelle. La DSI avait rapidement Contextor, avant même son rachat par SAP en 2018. Depuis, ce produit se nomme iRPA.

« Parce qu’il est possible de placer du code au sein des robots, SAP iRPA permet d’obtenir une certaine finesse et une certaine performance quand l’on passe par des écrans », affirme le directeur.

De l’importance de la conduite du changement

Le CASE Management permet aussi d’alimenter le Back-end Santé en administrant l’unicité de la donnée.

« Notre legacy, notre back-end santé fait beaucoup de choses en autonomie et il y a un bon nombre d’éléments réglementaires, il y a 25 ans d’expérience avec la sécurité sociale qui font qu’il y a une richesse importante et qu’il évolue tout le temps ».

Historiquement, le back-end santé avait ses propres interfaces homme-machine. « Pour que cela fonctionne, il ne faut plus passer par ces IHM ; la conduite du changement implique donc d’expliquer à des gens qui font cela depuis des années, qui ont développé une expertise, de ne plus les utiliser. Ce n’est pas une question de “Change”, mais la manière de penser les rôles des métiers ».

Le temps libéré doit permettre aux 1 500 commerciaux de mieux traiter les demandes des clients. « Au lieu d’effectuer de la saisie à très grande vitesse, l’on passe du temps sur les dossiers compliqués, identifiés dans la plateforme ». Aussi, les 1 500 membres des équipes administratives, peuvent facilement agir sur un dossier, même s’ils ne l’ont pas créé.

« Chercher la finesse dans les processus est complexe. Il faut comprendre et exploiter les remarques des collaborateurs : cela réclame beaucoup d’efforts. »
Jean-Christophe HeymonetDirecteur en charge des données et de l’expérience client, Harmonie Mutuelle

« Chercher la finesse dans les processus est complexe. Il faut comprendre et exploiter les remarques des collaborateurs : cela réclame beaucoup d’efforts », constate le directeur. « La DSI est également concernée : si l’on perd le sens de la logique opérationnelle ou client, c’est fini »

Au bout du compte, Harmonie Mutuelle a réussi à modéliser 44 macro-processus et leurs variantes, qu’elle peut faire évoluer au gré des contraintes réglementaires et des changements des produits. Justement, la gestion de dossier doit permettre d’administrer les spécificités de 25 000 produits que la mutuelle propose à ses entreprises clientes.

À l’avenir, la mutuelle compte faire évoluer sa plateforme de gestion de dossiers qui restera un chantier important de la DSI jusqu’à l’horizon 2023.

« Il y a de nouvelles choses toutes les trois semaines qui amènent à des mises en production et des mises en service », affirme Jean-Christophe Heymonet. « Le diable se cache dans les détails ».

Deux équipes de développements s’assurent de ces changements. Elles sont composées d’un product owner, d’un tech lead et de trois à quatre développeurs. Celles-ci échangent avec les équipes responsables de l’automatisation.

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