Data Science : comment Accor optimise ses revenus avec son Marketing Mix
Accor s’est lancé il y a sept ans dans le Marketing Mix Modeling. Cette année, le groupe hôtelier franchit une étape majeure dans son approche en passant à l’analytique en libre-service et en le faisant passer à l’échelle.
Le Marketing Mix Modeling (ou MMM) consiste à évaluer l’influence de chaque canal marketing (publicité, promotions, évolution de la marque, etc.) et d’autres facteurs (concurrence, prix, etc.) sur des indicateurs clefs de performances comme le chiffre d’affaires, la marge, l’inventaire, ou, par exemple dans le cas d’Accor, le taux de remplissage des hôtels (les réservations) et la notoriété de ses différentes marques.
Le but est de pouvoir « attribuer à chacun des leviers activés l’incrémental réel [sur chaque résultat] », résume Stéphanie Jaffre, Global SVP Digital Marketing & eCommerce chez Accor. L’incrémental étant « la différence entre ce qui se serait passé si on n’avait rien fait et ce qui se passe » après une action.
Cette connaissance fine de chaque levier permet dans un deuxième temps d’anticiper et d’optimiser l’allocation des budgets marketing et les plans commerciaux.
Mais encore faut-il pouvoir évaluer cet « incrémental » et l’attribuer à une action précise. Car la réalité du terrain est souvent complexe et pleine de subtilités. « Il faut faire du “sur mesure” », souligne Stéphanie Jaffre. « On pourrait penser qu’un outil MMM peut se répliquer partout, mais ce n’est pas le cas ». Les besoins et les enjeux de positionnement de Novotel ne sont, par exemple, pas les mêmes en France et en Australie, illustre-t-elle. « La prise en compte de ces différentes contraintes des marchés » dans ce type de projet est critique, insiste la SVP.
Accor n’est pas un novice dans le MMM. Il a commencé à tester son premier modèle, il y a 7 ans. Dans un premier temps, sur un de ses marchés prioritaires et sur quelques marques (Novotel, Ibis, Mercure).
Le groupe hôtelier a depuis augmenté progressivement le périmètre du projet avec plus de marchés (Royaume-Uni, France, Allemagne, Australie et Brésil) et plus de marques du groupe analysées.
Élargir la gouvernance pour passer le MMM à l’échelle
Ce passage à l’échelle – qui doit s’amplifier dans les semaines qui viennent – n’est pas sans défi. Sur un petit périmètre, le marketing peut être seul concerné, « mais quand on scale, il faut embarquer plus d’équipes. Il faut faire en sorte de les convaincre que la mesure et les optimisations proposées [par le modèle] sont les bonnes », confie Stéphanie Jaffre.
« Historiquement, chacun optimisait son levier. Il faut faire réaliser que c’est un écosystème où chaque levier de chaque marque est en interaction avec les autres. »
Stéphanie JaffreGlobal SVP Digital Marketing & eCommerce chez Accor
« Les modèles de MMM ne sont bons que quand les métiers leur font confiance », acquiesce Solène Aubry, partner chez Ekimetrics, l’entreprise avec qui Accor a collaboré pour construire son modèle de MMM « sur mesure ».
Une grande partie de la solution à ce défi passe par une gouvernance plus large qui implique tous les acteurs concernés : marketing, mais aussi métiers, équipe financière, et leadership « pour les familiariser avec les modèles économétriques », résume Stéphanie Jaffre.
Car la puissance de l’outil et ses bénéfices ont un revers de la médaille. « Ce sont des modèles mathématiques complexes. Les résultats ne sont pas toujours compréhensibles “à l’œil nu” », concède la responsable d’Accor. « Il faut les expliquer. Mais quand on voit les premiers résultats concrets, ça aide ».
L’autre frein vient d’un changement plus opérationnel. « Historiquement, chacun optimisait son levier. Il faut amener à prendre du recul et faire réaliser que c’est un écosystème où chaque levier de chaque marque est en interaction avec les autres ».
Le MMM en action
Un bon MMM est un modèle capable de répondre aussi bien aux « questions globales stratégiques [qu’aux] questions locales, plus tactiques et granulaires, des opérations au quotidien », résume Solène Aubry.
« On peut toujours dire le “ROI est de tant”, mais le véritable intérêt c’est vraiment l’incrémental. »
Stéphanie JaffreGlobal SVP Digital Marketing & eCommerce chez Accor
Chez Accor, les modèles se concentrent en priorité sur deux KPI. Un KPI court terme, sur les réservations – en direct et en indirect (dont les marges diffèrent). Et un KPI à plus long terme, sur la notoriété. « Ce sont les réservations futures. Et comme nous sommes un leader mondial, nous voulons que nos marques les plus connues en France le soient aussi à l’étranger. C’est critique pour nous projeter sur le long terme ».
Un bon outil MMM permet par ailleurs d’expliquer le passé (analytique descriptive), mais aussi de faire des choix et des arbitrages (analytique prescriptive). « Ce n’est pas juste de savoir si une campagne a marché ou pas, c’est aussi un outil prédictif pour savoir ce que l’on peut faire pour optimiser les prochains plans média », confirme Stéphanie Jaffre.
« Quand on investit dans le marketing, on veut savoir les résultats de nos campagnes. On peut toujours dire le “ROI est de tant”, mais le véritable intérêt c’est vraiment l’incrémental ». Autrement dit, la valeur ajoutée marginale (au sens économique) apportée par l’action par rapport à la « baseline » (sic), c’est-à-dire les réservations que ferait Accor sans aucune activation marketing et commerciale sur le court terme.
En route vers le « self-service »
L’output du MMM se présente aujourd’hui sous la forme d’un rapport ad hoc, détaillé, avec les sources d’optimisation recommandées, en fonction de questions des experts en Marketing Digital d’Accor (une centaine de personnes en interne).
« Tout part de ce qu’on appelle des “Golden Questions”. Le plus difficile, c’est de savoir quelles questions poser aux modèles », souligne d’ailleurs Stéphanie Jaffre. « Ce n’est pas un oracle à qui on demande où les gens vont voyager demain. C’est plus : “J’ai fait une campagne, est-ce que cette campagne a fonctionné ? Est-ce que le social media marche mieux que la télé ? J’ai investi dans cette campagne qui a plusieurs leviers : est-ce que la somme de ces leviers fonctionne plus que les leviers pris individuellement ? Ou est-ce que c’est un multiplicateur ?” », illustre-t-elle.
« Les modèles de MMM ne sont bons que quand les métiers leur font confiance. [Le self-service] est une manière de les rendre moins dépendants de nous. »
Solène AubryPartner chez Ekimetrics
Les réponses du rapport sont très granulaires. « Si on nous dit que nous aurions dû investir plus sur les réseaux sociaux, la recommandation peut descendre jusqu’au fait de savoir si on doit aller plus sur YouTube ou sur Meta – et cela plutôt que de faire de la télé, par exemple, qui rapportera moins sur le long terme ou le court terme ».
Une fois les résultats explicités par les experts marketing, les équipes travaillent avec l’agence d’Accor pour les mettre en œuvre.
L’étape suivante (en cours) est de passer au MMM en « self-service » à la faveur de l’évolution de l’outil analytique vers une plateforme, plus inspirée des dashboards et de la DataViz (baptisée One Vision), qui permet de faire des requêtes et des simulations sans passer par Ekimetrics.
« Nous sommes en train de la déployer », se félicite Solène Aubry. « En termes de rendu, il y a à la fois les rapports – ce sur quoi nous avons a accompagné Accor jusque-là – et maintenant, une plateforme à laquelle les métiers vont avoir directement accès pour consommer les résultats », continue-t-elle. « Et pour faire le pont entre le métier et les résultats, de l’IA générative va permettre d’interagir avec l’outil en langage naturel ».
Cette forme d’analytique en libre-service doit permettre aux équipes d’Accor de requêter plus régulièrement – dès l’attribution d’un nouveau budget par exemple – et avec plus d’autonomie. « C’est une manière de les rendre moins dépendants de nous », vante Solène Aubry.
Un ROI de 21 millions € de revenus incrémentaux
Les modèles de MMM d’Ekimetrics apprennent, comme tous les modèles analytiques et d’IA, sur un historique. Mais se trompent-ils souvent dans leurs prévisions ? Pas vraiment… mais la question ne se poserait pas exactement en ces termes.
« C’est à marché équivalent, à situation et contexte économique équivalents que le modèle est très bon », répond Solène Aubry. « Quand il y a le Covid ou des événements macroéconomiques comme ceux que nous voyons aujourd’hui, forcément, ça bouge ».
Il n’en reste pas moins que, même dans ces conditions mouvantes, un outil de MMM permettrait de prendre la meilleure décision avec la connaissance à l’instant T du marché puis de mieux naviguer dans les perturbations. « L’idée c’est de donner de l’agilité aux équipes pour réagir plus rapidement par rapport à des évolutions qui font qu’Accor doit, par exemple, en permanence jongler avec des augmentations de budget ou des coupes budgétaires », explique l’experte d’Ekimetrics. « Ou quand on doit basculer des budgets d’un pays à l’autre ou d’un levier à l’autre », ajoute Stéphanie Jaffre.
Un bon début de réponse sur l’acuité des modèles MMM – avec les rapports ad hoc – serait d’avoir le ROI réel constaté par le groupe hôtelier. « Cette année, à budget constant, nous avons trouvé des poches d’optimisation qui nous permettent d’avoir 21 millions de revenus incrémentaux, en mettant les recommandations en place », partage Stéphanie Jaffre.
Est-ce un gros pourcentage d’incrémental ? « C’est significatif » se contente de répondre Stéphanie Jaffre dans un sourire.
En revanche, un chantier à venir sera d’automatiser le transfert de ses données vers Ekimetrics – « et plus de faire cela avec un flux manuel qui est source d’erreurs » – avant, donc, de passer au self-service qui doit encore plus démocratiser le MMM chez Accor.
« La prochaine étape, c’est comment nous allons faire tout cela d’une manière récurrente, parce qu’il y a beaucoup plus d’optimisation possible », anticipe la responsable d’Accor.
L’élargissement du projet commence avec l’Europe dès cet été, avec comme objectif, d’ici deux mois, « d’avoir toutes nos régions embarquées dans l’outil, formées, et qui pourront utiliser le MMM dans leur quotidien », se réjouit déjà Stéphanie Jaffre.
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