Migration en cloud : comment Dailymotion devient une « Cloud Company »

Jusqu’en 2023, le géant français de la vidéo en ligne faisait fonctionner son service depuis ses propres datacenters. Pour gagner en agilité, il a basculé ses serveurs en cloud. Mais pour que son projet soit une réussite, il a dû aller bien au-delà d’un simple copier-coller.

Le Français Dailymotion, No 2 mondial de la vidéo en ligne derrière YouTube, a choisi AWS pour muter en Cloud Company à partir de mars 2023. « À la fin de l’année précédente, nous avions fait le constat que notre plateforme se traînait 20 ans d’historique technique, hébergé dans des datacenters en propre, en France, ainsi que via des points de présence à l’étranger. Le problème est que cela était devenu très compliqué à opérer, à gérer, à étendre. Nous avions de plus en plus de mal à nous développer dans de nouvelles géographies », se souvient David Ramblewski, le directeur technologique de Dailymotion (en photo en haut de cet article).

À ce moment-là, DailyMotion opère principalement trois technologies. Il y a d’abord le lecteur vidéo pour le public. Outre des apps autonomes pour tous les terminaux, il s’agit avant tout d’une application qui fonctionne sur le site web de l’éditeur, en ligne donc, ainsi que depuis les sites web de tous les diffuseurs qui ont choisi d’intégrer sa plateforme pour afficher leurs vidéos.

Il y a ensuite toute une usine pour tous ceux qui produisent des vidéos. Elle sert principalement à réceptionner leurs contenus et à les transcoder dans une dizaine de formats de lecture différents. En termes de volume, cette plateforme transcode chaque jour l’équivalent de 1000 jours de vidéos. Elle apporte aussi aux créateurs de contenus des outils, comme le sous-titrage, la découpe en chapitres, en clips promotionnels. Elle filtre les commentaires, fait automatiquement remonter les plus pertinents. Etc.

La troisième technologie est celle qui permet aux annonceurs d’intercaler leurs spots de publicité. En temps réel, un moteur de ventes aux enchères leur permet d’acheter de l’espace dans les vidéos qui correspondent à leurs centres d’intérêt. Ils indiquent quelle publicité diffuser et la plateforme l’insère au moment voulu dans les vidéos en cours de visionnage.

L’un dans l’autre, Dailymotion représente 464 millions d'utilisateurs dans 192 pays. Mais pour aller au-delà, il fallait sortir de l’inertie des datacenters en propre.

AWS pour l’accompagnement des humains

David Ramblewski et son équipe se lancent donc fin 2022 en quête d’un fournisseur de cloud. « Nous voulions être capables d’ajouter des serveurs très rapidement ou d’en enlever selon la demande, de démarrer une nouvelle région facilement ou d’en arrêter une autre tout aussi vite si cela était nécessaire. Et puis, nous ne voulions plus devoir acheter des serveurs et les conserver bien au-delà de leur obsolescence, juste pour les rentabiliser. Avec le cloud, il y a la perspective de pouvoir passer à la meilleure performance dès qu’elle est disponible », dit le directeur technique.

Tous les fournisseurs de cloud savent répondre à cette demande. Mais Dailymotion a mûrement réfléchi à son projet. Il veut bien plus. « Au-delà de la performance, nous voulions aussi pouvoir accéder aux meilleures avancées technologiques. Par exemple l’intelligence artificielle, pour ne citer que ça. Nous voulions que le fournisseur de cloud forme nos ingénieurs sur ces avancées, sur les outils du cloud. Et nous voulions qu’il nous aide à faire du business. Bref, nous ne cherchions pas un prestataire, nous cherchions un partenaire », précise David Ramblewski.

Il raconte avoir rencontré tous les fournisseurs de cloud. « Je ne veux citer personne. Mais à part AWS, tous les autres ont répondu à nos demandes en pointant dans leurs catalogues les services que nous devrions leur acheter. AWS a été le seul qui a échafaudé un parcours sur-mesure de formation et de certifications de 176 sessions étalées sur 2000 heures, pour accompagner du mieux possible nos ingénieurs dans la transformation. »

Et de sauter tout de suite à la conclusion : trois ans après, il ne regrette en rien d’avoir choisi AWS pour se faire accompagner. « Il y a encore aujourd’hui une coopération sur l’ingénierie qui est véritablement clé. Parce que tout ne marche pas tout de suite. Mais AWS est dans un état d’esprit permanent de vouloir à la fois répondre à notre besoin et de nous inciter à vouloir avancer. »

Les efforts peu ordinaires d’AWS pour satisfaire son client

Pendant que les formations commencent, la migration des serveurs de lecture et de production vidéo de Dailymotion, vers les ressources virtuelles d’EC2 (le cloud IaaS d’AWS), débute en mars 2023. Elle durera jusqu’en décembre de la même année. David Ramblewski tient à raconter une anecdote qui, selon lui, témoigne des efforts peu ordinaires d’AWS pour contenter ses clients.  

« AWS nous avait proposé de migrer notre plateforme d’encodage sur des VM VT1, spécialement équipées en accélérateurs Xilinx Alveo U30 pour la conversion vidéo. Mais cela n’allait pas. Notre code ne donnait pas les résultats attendus sur cette configuration. Nous en avons testé plusieurs autres, jusqu’à trouver l’instance G6 (à base de GPU Nvidia L4) qui correspondait exactement à nos attentes. Problème, à cette époque, les datacenters d’AWS à Dublin, où nous étions hébergés, n’avaient pas encore installé les serveurs nécessaires à l’exécution des VM G6. »

« Ils nous ont dit : écoutez, nous allons regarder ce que nous pouvons faire. Ils ont réussi à trouver des serveurs G6 ailleurs dans le monde, les ont fait installer rien que pour nous en Irlande, qui plus est en nous les facturant un très bon prix. Ils se sont occupés de toute l’intégration, nous n’avons eu qu’à rediriger nos flux. Trois jours seulement après qu’ils ont trouvé ces serveurs, notre plateforme de transcodage était entièrement migrée sur AWS », se félicite notre interlocuteur.

Et ce n’est pas tout. Au bout de quelques mois, le petit cluster de G6 à Dublin ne suffit plus pour traiter tous les travaux de Dailymotion. « En seulement quatre semaines, ils ont migré toute notre plateforme, stockage S3 de l’intégralité de nos vidéos en ligne compris, vers un autre parc de G6 flambant neuf, dans une autre ville européenne. Sans aucune interruption de service. Nous aurions sans doute mis six mois à le faire avec nos datacenters physiques », ajoute David Ramblewski.

La clé de la réussite : aller au-delà de la migration Lift & Shift

Autre écueil, Dailymotion s’est contenté dans un premier temps de faire une migration de type Lift & Shift ou, dit autrement, de copier-coller son existant depuis ses datacenters vers des configurations similaires sur EC2. « Mais ça ne marche pas. Ce genre de migration est la raison pour laquelle certaines entreprises concluent finalement que le cloud leur coûte plus cher qu’un datacenter en propre » se rend compte David Ramblewski. « Quand vous utilisez un fournisseur de cloud, il faut toujours chercher à avoir le meilleur ratio entre le prix et la performance. Si vous le laissez tel quel, ce ne sera pas beaucoup plus performant, vous ne réduirez pas la latence et vous paierez le prix fort. »

Parallèlement à la migration des machines, les ingénieurs sont déjà montés en compétence, notamment sur les outils financiers et d’observabilité. « Une fois que la migration s’est achevée, nous avons commencé à tout mesurer dès janvier 2024 : comment fonctionne notre transcodage, notre stockage, le réseau. Nous avons consté qu’il y avait de nombreux pics de consommation à des moments où ils n’étaient pas nécessaires. Nous sommes dès lors rentrés dans un processus d’amélioration continue : nous mesurons, nous reconfigurons et nous recommençons. Et nous n’avons pas cessé depuis », témoigne notre interlocuteur.

Il en profite pour faire passer un message : « il y a bien entendu eu une crainte au début de nous dire que si nous n’avions plus que des infrastructures managées par AWS, nos administrateurs n’auraient peut-être plus de métier. Mais plutôt que de perdre leur poste, ils se sont retrouvés propulsés à manipuler des outils bien plus technologiques. La culture d’AWS est finalement de faire passer les équipes dans une catégorie de pointe. »

Parmi les améliorations, il y a notamment le fait d’utiliser des instances dites Spot. Ce sont les machines virtuelles qu’AWS n’a pas réussi à commercialiser à un moment donné et qu’il propose à prix cassé pendant une certaine durée. « Ce sont des serveurs que vous prenez quand vous en avez besoin et que vous relâchez une fois leur travail terminé. C’est idéal quand nous avons des pics d’activité momentanés, par exemple la retransmission par nos services d’événements comme le Tour de France ou le Ballon d’or », assure David Ramblewski.

Il fait les comptes par rapport à janvier 2024. Ses coûts ont baissé de 20%. La latence des services de Dailymotion a été divisée par trois.

Autre bénéfice, celui d’enrichir la plateforme avec des IA sur étagère proposées par AWS. Pour les maîtriser, les ingénieurs de Dailymotion ont suivi un programme Skills Guild AI Incubator de douze semaines, à raison de trois heures par semaine. Ces IA prennent en charge des travaux autrefois faits manuellement, notamment le chapitrage, le sous-titrage ou encore le score des commentaires, pour ne citer que ceux évoqués plus haut.

Un chantier de transformation toujours en cours

La transformation de Dailymotion en Cloud Company n’est pas encore achevée. Toute la partie monétisation des vidéos est encore exécutée dans les datacenters de l’éditeur. Il s’agit de 400 applications réparties en 10 000 containers Kubernetes qui migreront d’ici à 2027 sur EKS, le service Kubernetes d’AWS. Cette migration-là est plus conséquente, car Kubernetes fonctionne sur des serveurs à la source alors que les containers seront exécutés sur une architecture serverless à la destination. Il faut passer d’une gestion des machines à une gestion des interactions.

A priori, les deux datacenters de Dailymotion seront totalement éteints en 2028. Quant aux points de présence à l’international, ils ont déjà tous été retirés entre 2023 et 2024.

Un autre chantier est celui de la modernisation des applications qui ont déjà été migrées. « En fait, le cœur de nos plateformes de diffusion et de transcodage repose sur un vieux framework Symfony (PHP), qui représente 350 000 lignes de code. En vingt ans, il est devenu un gros plat de spaghettis que nous voulons entièrement réécrire en microservices qui feront individuellement très peu de choses, mais les feront bien mieux », explique David Ramblewski.

Pour réécrire ce cœur en microservices, Dailymotion s’appuie sur une IA spécialisée dans la modernisation du code. Surprise, il ne s’agit pas du tout d’AWS Transform Custom, que l’hyperscaler a dévoilé lors de son événement re:Invent 2025, mais du produit externe Cursor AI.

« Cursor AI, avec l’appui d’autres LLM, analyse notre existant, produit du code, le teste, le documente, propose des scénarios de migration vers l’architecture la plus idéale possible. Ce n’est pas magique, ça ne fonctionne pas tout seul, nous avons toujours besoin des ingénieurs pour vérifier que nous allons dans la bonne direction. Mais cet outil nous donne un ordre de grandeur ; nous savons que cette migration nous prendra dix-huit mois, contre quatre ou cinq ans si nous reprogrammions tout à la main », commente David Ramblewski.

« Et donc, non, Cursor AI n’est pas un outil AWS. Dorénavant, nous testons toujours ce que propose AWS quand nous devons nous équiper, mais nous nous laissons la liberté de regarder ce qui se fait ailleurs. Nous sommes très transparents là-dessus avec AWS. Nous les considérons comme un partenaire de confiance, mais il est hors de question que nous soyons verrouillés sur leurs solutions. Nous chercherons toujours à nous équiper du meilleur outil, où qu’il se trouve », conclut le directeur technologique de Dailymotion.  

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