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Comment Nvidia s’est-il fait un nom dans les domaines de la santé (1/2)

Dans la première partie de cet entretien, Kimberly Powell, vice-présidente et directrice de l’activité santé chez Nvidia, explique comment l’entreprise a bâti une empreinte notable dans ce secteur.

Nvidia, désormais valorisé plus de mille milliards de dollars, a su faire fructifier son segment Data Center. Dans son rapport financier, le géant des GPU dissimule plusieurs sous-catégories qui ne sont pas rapportées, contrairement aux segments Gaming, Automobile et visualisation professionnelle. L’une des branches suivies de près par le concepteur de puces et de logiciels n’est autre que le domaine de la santé.

De cas d’usage liés à l’imagerie médicale, Nvidia a su constituer une plateforme combinant matériel et logiciel adapté à la vision par ordinateur en s’entourant d’une large communauté universitaire. En filigrane, la vice-présidente Kimberly Powell dévoile quelques ingrédients de la recette du « gâteau » Nvidia, celle qui l’a rendu, de fait, incontournable comme acteur de l’intelligence artificielle. La partie 2 de cet entretien explique pourquoi, selon Mme Powell, l’IA générative et l’IA en général sont amenées à changer en profondeur les parcours de santé ainsi que la recherche. 

LeMagIT : Pouvez-vous vous présenter ?

Kimberly Powell : Je suis la vice-présidente et la directrice générale de l’activité Santé (Healthcare) chez Nvidia. Je travaille pour cette entreprise depuis 15 ans. Souvent, les gens ne le savent pas, mais nous avons des produits consacrés aux soins de santé. Je suis responsable de leur développement et de leur mise sur le marché.

LeMagIT : Comment ce secteur de la santé a-t-il évolué en 15 ans pour Nvidia ?

Kimberly Powell : Lors des cinq premières années de ce parcours, alors que nous transitions du traitement graphique au calcul accéléré, nous avons découvert que la majorité des applications ayant besoin de calcul accéléré se trouvaient dans le domaine de la santé. Certains des premiers cas d’usage concernaient l’imagerie médicale parce que ce secteur inventait de nouvelles technologies de capteurs, de nouveaux scanners, de nouvelles machines IRM, de nouveaux systèmes à ultrasons. Pour effectuer tous les calculs mathématiques afin de transformer les données des capteurs en données d’imagerie, il aurait fallu construire d’énormes supercalculateurs.

Sans accélérateurs, il n’est pas possible d’obtenir le débit nécessaire dans l’instrument pour traiter tous les échantillons d’ADN ou alors à un coût trop important.

Nous proposions nos cartes graphiques professionnelles ainsi que l’API CUDA pour permettre les traitements associés à ces nouveaux capteurs.

Dans un même temps, un autre domaine réclamait l’utilisation d’accélérateurs, celui des simulations de dynamique moléculaire. Si vous vous intéressez aux charges de travail de tous les supercalculateurs dans le monde, vous découvrez qu’environ 40 % d’entre elles concernent la simulation des sciences de la vie et la compréhension approfondie de la biologie. Cela consiste à essayer de reproduire le comportement des molécules à l’intérieur du corps humain.

« Si vous vous intéressez aux charges de travail de tous les supercalculateurs dans le monde, vous découvrez qu’environ 40 % d’entre elles concernent la simulation des sciences de la vie et la compréhension approfondie de la biologie ».
Kimberly PowellVice présidente & directrice générale, Healthcare, Nvidia

Et peu de temps après, le séquençage génomique s’est vraiment développé. En réalité, ce n’est pas si différent de l’imagerie médicale dans le sens où c’est un capteur qui est déployé pour analyser des parties différentes de l’anatomie humaine.

Le séquençage par nanopores est de plus en plus sophistiqué. Même les plateformes de séquençage les plus récentes utilisent l’imagerie pour comprendre quelles sont les bases extraites de l’ADN et comment les assembler à nouveau.

Voilà qu’arrive le début des années 2010. C’est à ce moment-là que l’on vit la renaissance de l’IA : les chercheurs redécouvrent les réseaux de neurones profonds pour les applications de vision par ordinateur.

À l’époque, j’étais très impliquée dans la communauté universitaire. J’avais deux casquettes : je m’occupais de la branche santé de Nvidia et je popularisais notre plateforme de calcul accéléré dans tout le monde universitaire.

De l’imagerie médicale à la computer vision

LeMagIT : Ce monde universitaire représente sans doute vos premiers clients dans le sens où ils expérimentent rapidement les nouveaux équipements sur le marché.

Kimberly Powell : Tout à fait. Par exemple, ici en France, l’écosystème universitaire est riche et désireux de tester les nouvelles technologies. Avec les universités, nous menions et nous menons actuellement des programmes dans le domaine des sciences médicales, des sciences de la vie. Et le milieu de la science computationnelle s’est réveillé et a compris qu’il y avait besoin d’une plateforme de calcul telle que celle de Nvidia pour entraîner ces réseaux de neurones profonds. J’ai donc travaillé là-dessus pendant un certain temps. Et puis Nvidia a vraiment fait ce que je présenterais comme son troisième grand saut technologique, devenu le paradigme qui a rendu possible le développement de cette nouvelle génération d’IA.

Entre 2012 et 2020, la vision par ordinateur s’est immiscée dans nos vies de consommateurs. C’est un problème que l’IA peut résoudre presque aussi bien qu’un humain.

La computer vision peut être appliquée dans pratiquement tous les domaines d’activité.

À ce moment-là, nous nous sommes vraiment concentrés sur l’imagerie parce que nous avions une longue histoire dans ce domaine et que nous ne voulions pas nous en éloigner. À propos de l’imagerie, si vous pensez à la manière de communiquer d’un être humain, cela devient évident quand je le dis, mais peut-être pas aussi évident si vous n’y pensez pas. Nous communiquons par les mots et par notre système de vision. Dans le domaine de la santé, l’ensemble du parcours du patient, du dépistage des populations jusqu’au diagnostic d’une personne présentant des symptômes, en passant par le choix du traitement et le suivi post-traitement, est réalisé grâce à l’imagerie.

Alors, comment ne pas imaginer d’appliquer la vision par ordinateur à l’ensemble du parcours du patient ? Nous avons donc collaboré avec la communauté universitaire une fois de plus. Ce que nous avons fait à ce moment-là, c’est que nous avons déterminé qu’il fallait construire des plateformes informatiques spécifiques pour le domaine de la santé.

Pourquoi ? Parce que (encore aujourd’hui) la plupart des applications de computer vision que nous expérimentons en tant que consommateurs sont en 2D, mais l’anatomie humaine est en 3D et pour la comprendre, vous avez besoin de cette vision en trois dimensions.

Ensemble, nous avons construit un framework open source appelé MONAI, qui est maintenant devenu la norme pour l’imagerie médicale et biomédicale. Beaucoup de laboratoires utilisent MONAI maintenant. Nous avons construit toute la chaîne d’outils, du début à la fin, qui standardise la manière de concevoir une IA pour l’imagerie. Cette plateforme est multimodale : elle s’adapte à la tomodensitométrie (la réalisation de scanners, N.D.L.R.), à l’imagerie médicale, à l’analyse pathologique, à l’imagerie cellulaire ou encore à la vidéo chirurgicale.

Par exemple, des progrès considérables ont été réalisés par des partenaires, ici, en France (à l’institut de chirurgie guidée par l’image (IHU) de Strasbourg et à l’Institut Pasteur), qui utilisent cette technologie pour trouver des applications innovantes.

De notre côté, chez Nvidia, nous avons bâti notre propre plateforme de calcul pour la santé. Elle s’appelle Nvidia Clara, en l’honneur de Clara Barton, la fondatrice de la Croix-Rouge américaine. Il s’agit d’une plateforme destinée à aider l’ensemble du secteur de la santé.

Le « gâteau » Nvidia

LeMagIT : quelle(s) différence(s) y a-t-il entre Nvidia Clara et une plateforme de calcul standard ?

Kimberly Powell : Les gens considèrent Nvidia comme un spécialiste des GPU. Pour que des percées comme l’IA se produisent, il ne faut pas seulement s’intéresser au GPU, mais à l’ensemble du système informatique. C’est ce qui nous a permis de nous attaquer à ces énormes problèmes que nous sommes capables de résoudre maintenant, comme l’IA.

« L'existence de GPT et des autres n'a été possible que parce que nous avons construit toute cette pile ».
Kimberly PowellVice présidente & directrice générale, Healthcare, Nvidia

C’est un gâteau à étages. Il est préparé en superposant les puces, les systèmes, les centres de données, les logiciels. Et ce qui nous rend différents, c’est que nous avons rendu cela possible pour le paradigme de l’IA en général. L’existence de GPT et des autres n’a été possible que parce que nous avons construit toute cette pile. Mais maintenant, nous devons ajouter une couche supplémentaire, celle spécifique à un domaine. Comment je parle l’imagerie 3D, comment je parle la génomique, comment je parle la chimie, la biologie ? Et c’est ce que fait Nvidia Clara, c’est cette couche de traduction des types de données qui rend possible l’émergence de nouvelles applications, car les données sont différentes ; les modèles d’IA doivent être différents. La manière dont ces modèles exploitent l’ensemble du système informatique doit également être prise en compte. C’est cette superposition qui constitue la grande évolution de Nvidia, qu’il s’agisse de la conception d’une puce ou d’une plateforme IT spécifique à une industrie.

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