Processeurs : pourquoi Intel voudrait racheter GlobalFoundries

La rumeur enfle. Intel s’est lancé dans l’escalade de ses moyens industriels. GlobalFoundries cherche des investisseurs américains. Tous deux veulent produire plus pour moderniser plus vite leurs usines.

La rumeur a été lancée il y a quelques jours par le Wall Street Journal : Intel serait sur le point de racheter son concurrent GlobalFoundries pour 30 milliards de dollars. Le premier n’a toujours pas confirmé. Le second – qui prévoit justement une introduction en bourse pour faire entrer des acteurs américains à son capital – prétend ne pas être au courant. Pour autant, plus les jours passent, plus la spéculation semble pleine de bon sens.

« D’un point de vue stratégique, un tel rachat serait logique pour Intel, qui souhaite muscler sa flotte industrielle », estime l’analyste Patrick Moorhead, du cabinet d’études Moor Insights & Strategy. « GlobalFoundries a des capacités de production très diversifiées ; de ses usines sortent des composants pour la 5G, pour les objets connectés, pour l’automobile. Ce sont des secteurs qui intéressent Intel, mais pour lesquels ses propres usines ne sont pas nécessairement optimisées. »

Depuis le début de 2021 et surtout depuis le retour de Pat Gelsinger à sa tête, Intel s’est lancé dans une accélération de ses capacités industrielles pour rattraper son retard face à ses concurrents asiatiques, principalement le Taiwanais TSMC. Celui-ci s’est rapidement enrichi ces dernières années en fabriquant les puces des téléphones mobiles – soit de très grandes quantités – et a ainsi pu plus rapidement investir dans la modernisation de ses chaînes de production de composants électroniques. Au point que les processeurs qui sortent aujourd’hui de ses usines bénéficient d’une miniaturisation record, qui les rend bien moins énergivores et plus rapides que les processeurs d’Intel.

« Le fait est que pour rentabiliser une usine dotée des procédés de fabrication plus modernes, vous devez produire un plus grand nombre de wafers [les disques de silicium sur lesquels sont gravées les puces, N.D.R.]. Donc c’est la seule solution pour combler votre retard et augmenter votre capacité de production », commente l’analyste Jim Handy du cabinet d’études Objective Analysis.

AMD et NVidia, qui vendent des composants similaires à ceux d’Intel pour les serveurs, font désormais fabriquer leurs puces chez TSMC. Tout comme Apple, qui a finalement trouvé plus avantageux de commander son propre processeur à TSMC plutôt qu’acheter ceux imaginés, conçus et fabriqués par Intel. C’est un cercle vertueux : plus les fabricants sont nombreux à demander à TSMC de leur produire des puces, plus TSCM leur propose des puces avancées. Intel, quant à lui, joue sur les deux tableaux à la fois : ses usines servent à fabriquer les puces qu’il dessine et qu’il vend lui-même.

Les analystes suggèrent qu’Intel pourrait se servir d’une plus grande capacité de production soit pour diversifier ses gammes – dans les objets connectés, par exemple – soit pour devenir, comme TSMC, un sous-traitant industriel pour le compte d’autres designers de puces.

« Sur le papier, Intel a la recette technique qui lui permettrait de graver des puces avec une finesse de l’ordre de 2 nanomètres et il lui manque juste la capacité industrielle de le faire. Pour autant, Intel a manifesté son intérêt de s’associer avec d’autres fournisseurs afin de produire des puces plus périphériques, mais très courantes. Il en va par exemple ainsi des composants qui contrôlent les interfaces USB et qui pourraient se contenter des finesses de gravure actuellement disponibles dans les usines d’Intel ou de GlobalFoundries. C’est exactement ce que fait TSMC qui produit une très grande variété de composants », estime Dan Newman, analyste au cabinet d’études Futurum Research.

GlobalFoundries, un numéro 4 en perte de vitesse

« La difficulté dans ce milieu est que, lorsque vous commencez à accuser un certain retard technologique, vous devenez le fournisseur de secours. Et ce n’est pas une place très rentable. »
Jim HandyAnalyste, cabinet d’études Objective Analysis

GlobalFoundries et Intel ont le même problème : leurs usines ne savent pour l’instant produire que des circuits gravés avec une finesse de 12 et 10 nanomètres, respectivement, alors que TSMC remplace déjà ses chaînes de gravure en 7 nm par d’autres en 5 nm.

« La difficulté dans ce milieu est que, lorsque vous commencez à accuser un certain retard technologique, vous devenez le fournisseur de secours. Et ce n’est pas une place très rentable », lance Jim Handy.

Augmenter sa capacité de production est donc aussi l’obsession actuelle de GlobalFoundries. Le fondeur profite d’une pénurie actuelle de composants électroniques qui pénalise, entre autres, les constructeurs automobiles américains, pour chercher des investisseurs aux États-Unis, privés comme publics. Il s’agit de réunir les fonds nécessaires à l’extension de sa principale usine, située à Malta, dans l’État de New York. Sous deux ans, GlobalFoundries prévoit qu’un investissement d’un milliard de dollars lui permettrait ainsi de produire 150 000 wafers supplémentaires en plus chaque année. Les bénéfices additionnels d’une telle activité serviraient à financer à leur tour la modernisation des chaînes de fabrication.

GlobalFoundries est le quatrième plus important fabricant de puces au monde. Ses usines produisent 5 % des composants électroniques mis sur le marché, derrière TSMC (55 % de la production), Samsung (17 % de la production) et le taiwanais UMC (7 % de la production). Initialement branche industrielle d’AMD, qui considérait alors plus économiquement intéressant de se concentrer sur le seul design, GlobalFoundries a été racheté en 2008 par le fonds souverain de l’État d’Abu Dhabi, puis s’est étendu en 2014 en avalant les puissantes usines de semi-conducteurs d’IBM.

« Le fait que GlobalFoundries ait pour actionnaire majoritaire l’État d’Abu Dhabi risque cependant d’être bloquant pour obtenir des financements publics aux USA. L’administration Biden ne voit pas nécessairement d’un bon œil que des puissances étrangères viennent résoudre ses problèmes internes de pénurie de composants », observe Dan Newman.

Selon lui, le rachat de GlobalFoundries par Intel résoudrait tous les problèmes. À commencer par le fait de pouvoir injecter dans leurs usines communes une partie des 52 milliards de dollars que le gouvernement américain prévoit de dépenser pour développer l’industrie nationale des semi-conducteurs, au titre d’un nouveau décret concernant l’innovation et la compétitivité des USA.

Intel ou l’extension tous azimuts

De son côté, Intel a annoncé ces dernières semaines qu’il construirait deux nouvelles usines américaines au cours des deux prochaines années pour un montant de 20 milliards de dollars. Il investira aussi 3,5 milliards de dollars dans la modernisation son usine du Nouveau-Mexique. Pat Gelsinger tâche simultanément de convaincre les gouvernements de l’UE de lui accorder 8 milliards d’euros pour qu’il construise une autre usine en Europe, au prétexte qu’il serait dommage pour la souveraineté de l’UE qu’elle achète ses futurs composants à l’étranger, sous-entendu en Asie.

Jusqu’à présent, Intel, qui reste encore le leader des processeurs pour serveurs et PC, tirait a priori un avantage commercial d’avoir à la fois la main sur le design et sur la fabrication de ses puces. Il était censé pouvoir accorder l’un et l’autre de manière optimale, plus que ses concurrents qui maîtrisent uniquement le design (AMD, NVidia, Apple...) ou uniquement la fabrication (TSMC).

Pour autant, AMD et NVidia élargissent leur catalogue pour mieux séduire les fabricants de serveurs. Le premier a déjà racheté le fabricant de FPGA Xilinx pour 35 milliards de dollars, ce qui va lui permettre de proposer aux fabricants de serveurs à la fois ses processeurs historiques, concurrents directs de ceux d’Intel, et des accélérateurs spécifiques.

Nvidia, historiquement numéro 1 des accélérateurs GPU pour le supercalcul et l’affichage, a de son côté racheté le fabricant de contrôleurs réseau et stockage Mellanox pour 6,9 Md$. Ces composants étant très répandus, ils permettent à Nividia de devenir plus prioritaire sur les chaînes de montage de TSMC. Surtout, Nvidia devrait bientôt parvenir à boucler le rachat d’ARM. ARM est le designer principal de tous les processeurs qui équipent les appareils mobiles : c’est à lui que Samsung et Apple reversent des royalties pour décliner ses circuits dans leurs propres processeurs. Les processeurs ARM sont de plus l’étoile montante des datacenters : ils sont moins chers à fabriquer que les processeurs d’Intel et se présentent à l’heure actuelle comme la technologie la plus susceptible de les détrôner.

 

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