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Procurement : Esker finalise sa gamme de gestion des achats avec un rachat

Le Lyonnais Esker a comblé un trou fonctionnel dans son offre de numérisation du service achat avec l’acquisition de Market Dojo, spécialiste du sourcing. Il confirme au MagIT ses ambitions internationales face à Ariba et Coupa, au-delà de son secteur d’origine.

Le Français Esker rachète le Britannique Market Dojo. Fondé en 1985 et côté à la bourse de Paris, Esker est historiquement un spécialiste de la dématérialisation des factures (smart OCR, etc.) et de l’automatisation des tâches administratives liées aux cycles Order to Cash (de la vente au client à l’encaissement) et Procure to Pay (de l’achat au fournisseur à son paiement). L’éditeur lyonnais a ensuite entamé une diversification, dans la continuité de son cœur de métier, vers la gestion globale des achats. C’est dans ce cadre qu’intervient l’acquisition de Market Dojo, spécialiste du sourcing.

Market Dojo, un spécialiste du sourcing

« Market Dojo permet de rationaliser et d’optimiser la sélection et la négociation avec des fournisseurs potentiels », explique le communiqué officiel d’Esker. Le Britannique apporte à sa gamme « des fonctionnalités comme la gestion des appels d’offres ou la sélection et l’onboarding des fournisseurs ».

Basée à Bristol, Market Dojo emploie une vingtaine de personnes et compte 160 clients, dont 60 % en dehors de Grande-Bretagne. Assez modestement implanté en France, Esker entend développer l’éditeur à l’international, et en priorité aux États-Unis – où le Lyonnais est déjà présent.

Même si le chiffre d’affaires de Market Dojo n’est que de 1,3 million £ (mais en croissance de 30 %), sa technologie SaaS apporte donc le sourcing à Esker, qui était jusqu’ici le plus gros trou dans sa raquette.

Infographie sur les domaines d'activité de Market Dojo
Ce que fait concrètement Market Dojo, racheté par Esker

Une convergence du service achat et de la comptabilité fournisseur

« Le “sourcing”, c’est chercher de nouveaux fournisseurs […] Le “procurement”, c’est plus la relation avec des fournisseurs existants, la passation de commande régulière, et derrière la gestion de la facturation fournisseur », distingue Emmanuel Olivier, Directeur général d’Esker.

« L’achat de Market Dojo ajoute une couverture fonctionnelle que nous n’avions pas dans notre suite de solutions. Nous avions du procurement, de l’achat, de la gestion de contrats, mais pas de sourcing », confirme-t-il au MagIT.

Plus largement, Esker parie sur une convergence de son marché historique avec celui d’acteurs comme Ariba, Coupa ou Ivalua. D’où cette diversification et ce rachat.

« Le “Procure to Pay” va devenir un seul marché [et non plus] une somme de solutions ponctuelles. »
Emmanuel OlivierDG, Esker

« Notre analyse, c’est que “procurement”, “sourcing” et “procure to pay” étaient des marchés liés, mais relativement séparés. Les acteurs traditionnels ne couvrent pas la totalité fonctionnelle du scope des achats », analyse Emmanuel Olivier. Pour lui, Ariba ou Coupa ne gèrent par exemple pas le suivi en facturation après la commande (ou pas complètement).

« Mais même si ce sont des marchés séparés, le marché du “procure to pay” va se transformer et converger », continue le dirigeant d’Esker. « Les clients veulent de plus en plus avoir un seul fournisseur et pas une collection de produits qu’ils doivent intégrer. C’était une vision théorique, mais elle devient de plus en plus une exigence », constate-t-il.

Esker sur les terres d’Ariba et de Coupa (et d’Ivalua)

La conséquence est double pour le Français.

D’une part, il a développé progressivement – et en interne – des fonctionnalités de gestion des achats, de gestion du procurement, de gestion de la contractualisation et de gestion de la relation fournisseur. « Et avec Market Dojo nous ajoutons, aujourd’hui, le sourcing », complète Emmanuel Olivier.

Photo d'Emmanuel OlivierEmmanuel Olivier, DG d’Esker

D’autre part, il entre en concurrence directe avec de nouveaux compétiteurs. « Notre but depuis 15 ans, c’est de digitaliser le back-office. Dans le back-office, il y a toute la “chaîne achat” (du sourcing jusqu’au paiement fournisseur), mais vous avez aussi la gestion des clients (tout ce qui est administration des ventes, prise de commande, recouvrement, encaissement, paiement au client, etc.). Esker fait les deux » remet en perspective Emmanuel Olivier. « Je vais peut-être vous paraître extraordinairement prétentieux [mais] notre ambition c’est de devenir à la fois Coupa, Ariba, Sidetrade, et HighRadius. Nous couvrons toutes ces fonctionnalités et nous sommes en concurrence avec ces acteurs de manière régulière. Il est évident que cela prendra du temps, car nous avons énormément de respect pour ces acteurs. Mais c’est notre ambition et notre vision ».

Bien que d’origines différentes, les domaines de tous ces éditeurs sont connectés (« ce qui se passe aux achats finit en comptabilité fournisseurs », résume en une phrase Emmanuel Olivier). Cette analyse d’une convergence semble donc logique. Elle est surtout partagée par les différents acteurs IT et par des analystes comme Gartner.

« Nous pensons tous que le “Procure to Pay” va devenir un seul marché [et non plus] une somme de solutions ponctuelles », confirme le Directeur général. « La conséquence – et ça arrive déjà un peu – c’est que l’on va entrer en concurrence les uns avec les autres. On va voir comment ça se passe ».

Esker, l’ambitieux

Sinon « prétentieux », l’objectif paraît en tout cas « ambitieux ». Ariba sous pavillon SAP a de gros moyens. Coupa a dépassé les 540 millions $ de revenus en 2021. Et le « Coupa français », Ivalua pourrait envisager une IPO aux États-Unis (« je ne serais pas surpris qu’ils s’interrogent sur une cotation sur le marché américain », confie Emmanuel Olivier).

« Nous essayons de devenir un éditeur mondial depuis la France et en restant cotés en France. »
Emmanuel OlivierEsker

Pas de quoi décourager le Lyonnais pour autant. « Oui, ce sont de grosses sociétés […] C’est plus gros que nous, bien entendu, mais nous ne sommes pas non plus en train de parler de milliards », relativise Emmanuel Olivier. « Quand SAP a racheté Ariba, l’ordre de grandeur était aussi de 400 à 500 millions de CA. Ils ont certainement grossi depuis, mais pas tant que cela non plus, parce que le produit Ariba a assez peu évolué depuis ».

Esker, lui, a dépassé les 100 millions de CA en 2020 (112 millions), dont les deux tiers à l’international, et avec une croissance à deux chiffres. « Cela dit, c’est vrai ; si vous additionnez tout [N.D.R. : Coupa, Ariba, Ivalua], on obtient une somme qui est peu en rapport avec notre taille actuelle », concède le Directeur général. « Mais notre ambition est bien de continuer à croître de manière extrêmement dynamique, aux alentours de 18 % à 20 % par an. Nous avons réalisé 134 millions € l’année dernière, en croissance de 20 %. Je rappellerais juste qu’il y a dix ans nous n’étions qu’à une trentaine de millions de CA. Donc on progresse bien ! ».

« Nous essayons de devenir un éditeur mondial depuis la France et en restant cotés en France », conclut-il sur ce sujet.

Faire croître une pépite technologique

Avec son million de CA, Market Dojo peut passer pour une petite prise au regard des ambitions mondiales affichées. Mais la stratégie d’Esker est assumée et ressemble à la philosophie, dans un autre domaine, d’un ServiceNow (qui rachète de petites sociétés technologiques pour les intégrer) plutôt qu’à celle d’un Coupa (qui a « fait beaucoup d’acquisitions pour croître », dixit Emmanuel Olivier qui rappelle qu’Esker a développé lui-même la quasi-totalité de son offre).

« [Notre philosophie], c’est de trouver une pépite technique, avec une phase de développement commercial un peu ralentie pour différentes raisons (financières ou culturelles), de prendre un produit qui a du potentiel et de lui faire bénéficier de l’infrastructure opérationnelle d’Esker dans le monde entier pour accélérer la croissance de cette solution », résume Emmanuel Olivier. « Esker l’a déjà fait par le passé sur le cycle “Order to Cash” avec une société américaine, TermSync [N.D.R. : en 2015] ».

Faire croître la solution de sourcing des achats de Market Dojo ne devrait par ailleurs pas poser de problèmes technologiques ni de localisation.

Techniquement, le Britannique est déjà 100 % cloud. « Vous prenez un abonnement pour un mois, ou le temps qu’il vous faut pour faire vos appels d’offres (ou même pour un appel d’offres ponctuel). Que vous soyez à Dubaï, aux États-Unis ou en Afrique du Sud, cela fonctionne », assure le directeur général.

Quant à la localisation, la problématique d’adaptation concernerait uniquement les appels d’offres du secteur public de chaque pays… Or Esker ne cible pas les secteurs publics.

Et demain la supply chain finance ?

Avec Market Dojo, Esker considère en tout cas qu’il a complété son offre de manière horizontale. Le défi à présent est de l’enrichir en vertical, brique par brique.

« Aujourd’hui, nous allons travailler sur la profondeur fonctionnelle de ce que l’on fait. Parce qu’on fait beaucoup de choses. »
Emmanuel OlivierEsker

« Par exemple, en face de Coupa ou d’Ivalua, sur des problématiques de pure gestion des achats, nous sommes évidemment plus modestes parce que c’est leurs spécialités. Ils font cela depuis toujours et nous, nous sommes un nouvel entrant », constate le directeur général. « Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, il va falloir que nous travaillions sur la profondeur fonctionnelle de ce que l’on fait. Parce qu’on fait beaucoup de choses ! », promet-il.

Esker ne s’interdit pas pour autant d’aller explorer de nouveaux territoires. « Quand on parle de “procure to pay” et de “order to cash”, on parle dans les deux cas de paiement. Et donc de finance. Et là, il y a des choses à faire. Nous faisons déjà du paiement dans nos solutions, mais on peut imaginer des développements autour de la “supply chain finance”. Par exemple », confie Emmanuel Olivier au MagIT. SAP vient justement d’investir dans la supply chain finance pour Ariba.

« Est-ce qu’on fera cela – ou d’autres choses – par acquisitions, par développement interne, ou par des partenariats ? Ou avec un peu des trois ? On verra bien. Tout est possible ». À part, visiblement, un statu quo face à un marché de la gestion des achats en pleine évolution.

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