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Convergence annoncée entre Procurement et Procure-to-Pay

Emmanuel Olivier, le directeur général de l’éditeur lyonnais Esker, entrevoit la convergence de trois marchés – Procurement, Sourcing et P2P – et en évalue les conséquences pour des acteurs comme Ariba, Ivalua, Coupa. Et donc, Esker.

Cet article est extrait d'un de nos magazines. Téléchargez gratuitement ce numéro de : Applications & Données: Comprendre le métavers : les opportunités pour votre entreprise

Fondé à Lyon en 1985, Esker est un des acteurs les plus solides de l’écosystème IT français. Coté en bourse, et partenaire privilégié de Cegid (un autre Lyonnais), Esker est un spécialiste historique de la dématérialisation des factures (smart OCR, etc.) et de l’automatisation des tâches administratives liées aux cycles Order to Cash (de la vente au client à l’encaissement) et Procure-to-Pay (de l’achat au fournisseur à son paiement).

Oui, mais voilà, ce marché est en pleine évolution. « Procurement », « Sourcing » et « Procure-to-Pay » convergent. Et des acteurs comme Ariba, Coupa, Ivalua et Esker sont aujourd’hui en face à face.

Cette évolution est à la fois un défi et une opportunité unique pour Esker, qui redouble d’ambition – même si ses plus gros compétiteurs sont américains ou allemands, avec des moyens très importants.

Emmanuel Olivier, le Directeur général d’Esker s’est entretenu avec LeMagIT sur cette convergence, sur les demandes réelles du marché, sur la stratégie d’Esker (dont le rachat récent de Maket Dojo dans le sourcing), sur la spécificité d’être un éditeur français quand on cherche à croître, et enfin sur un marché en devenir, mais très prometteur : la supply chain finance.

Convergence de marchés

LeMagIT : Esker s’intéresse au sourcing. Pourquoi aller vers ce marché qui est un domaine de prédilection d’acteurs comme Ariba ou Coupa ?

Emmanuel Olivier : Esker est un éditeur spécialiste du « Order to Cash » et du « Procure-to-Pay ». […] Le « sourcing » (ou « source to pay ») est une extension du « Procure-to-Pay ».

Photo d'Emmanuel OlivierEmmanuel Olivier, DG d’Esker

Ce qu’on appelle « sourcing », c’est chercher de nouveaux fournisseurs et faire des appels d’offres. Le « procurement » est plus la relation avec des fournisseurs existants, la passation de commande régulière, et derrière la gestion de la facturation fournisseur.

Nous avions du procurement, de l’achat, de la gestion de contrats, mais pas de sourcing.

Notre analyse, c’est qu’historiquement, « procurement », « sourcing » et « Procure-to-Pay » étaient des marchés liés, mais relativement séparés. Les acteurs traditionnels ne couvrent pas la totalité, fonctionnellement, du scope des achats.

Par exemple, Ariba gère le sourcing et la relation initiale avec les fournisseurs – et un petit peu la contractualisation – mais pas le suivi en facturation.

« Je vais vous paraître extraordinairement prétentieux, mais […] notre ambition c’est de devenir à la fois Coupa, Ariba, Sidetrade, et HighRadius. »
Emmanuel OlivierDirecteur général d’Esker

Coupa se positionne un tout petit peu différemment. Ariba est très concentré sur les achats directs (c’est-à-dire sur tout ce qui rentre dans un processus industriel comme les matières premières, les produits semi-finis, etc.). Et c’est d’ailleurs pour cela qu’il a été racheté par SAP, dont la base clients est aussi très industrielle. Coupa, lui, est plus orienté vers les achats indirects, mais il ne gère pas la facturation non plus. Ils ont certes racheté une société aux États-Unis qui fait de la facturation fournisseur [N.D.R. : InvocieSmash, en 2015, un éditeur australien qui a développé une solution pour les États-Unis], mais leurs capacités restent limitées. Encore plus pour ce qu’ils peuvent faire en Europe. Plusieurs de nos clients ont essayé d’implémenter Coupa pour la gestion des factures fournisseurs, et honnêtement, cela ne marche pas.

Mais même si ce sont des marchés séparés, notre vision, c’est que le marché du « Procure-to-Pay » va se transformer et converger. Les clients veulent de plus en plus avoir un seul fournisseur et pas une collection de produits qu’ils doivent intégrer. C’était une vision théorique, elle devient de plus en plus une exigence.

Donc nous avons progressivement développé des fonctionnalités de gestion des achats, de gestion du procurement, de gestion de la contractualisation, de gestion de la relation fournisseur. Et avec Market Dojo nous ajoutons, aujourd’hui, le sourcing.

Esker : le Ariba français de demain ?

LeMagIT : En ajoutant toutes ces briques à votre offre, le but d’Esker est-il officiellement de devenir un Coupa lyonnais et/ou un Ariba français ?

Emmanuel Olivier : Je vais vous paraître extraordinairement prétentieux, mais c’est encore plus que cela. Notre but depuis 15 ans chez Esker, c’est de digitaliser le back-office. Dans le back-office, vous avez toute la « chaîne achat » (du sourcing jusqu’au paiement fournisseur), mais vous avez aussi la gestion des clients (tout ce qui est administration des ventes, prise de commande, recouvrement, encaissement, paiement au client, etc.).

Esker fait les deux. Donc notre ambition c’est de devenir à la fois Coupa, Ariba, Sidetrade, et HighRadius. Nous couvrons toutes ces fonctionnalités et nous sommes en concurrence avec tous ces acteurs de manière régulière. Il est évident que cela prendra du temps, car nous avons énormément de respect pour eux. Mais c’est notre ambition et notre vision.

LeMagIT : Vous citiez Coupa et Ariba en concurrents, et le Français Sidetrade. Quid d’un autre Français, Ivalua ? Comment les positionnez-vous par rapport à vous ?

Emmanuel Olivier : Premièrement, Ivalua est une société qui a de grandes qualités et un avenir extrêmement intéressant. Pour tout dire, nous avons une très bonne opinion d’eux.

« Ivalua vient du service achat ; nous, de la digitalisation de la chaîne fournisseur. Nos origines sont différentes, très connectées, mais aujourd’hui, nous partageons la même vision. »
Emmanuel OlivierDirecteur général d’Esker

Ensuite, je les positionnerais comme un Coupa français – la taille mise à part. Ils essayent de faire ce que fait Coupa à partir de la France… et d’ailleurs de plus en plus à partir des États-Unis. Je ne serais pas surpris qu’ils s’interrogent sur une cotation sur le marché américain.

Pour moi, ils font partie de ces éditeurs qui essayent de digitaliser les achats avec un focus achat extrêmement marqué.

C’est intéressant parce que nos histoires sont très différentes. Si je simplifie à l’extrême, eux viennent du service achat (de la digitalisation et de l’informatisation des achats) ; nous, de la digitalisation de la chaîne fournisseur (de la comptabilité fournisseur). Nous avons deux origines différentes, évidemment très connectées – parce que ce qui se passe aux achats finit en comptabilité fournisseurs – mais aujourd’hui, nous partageons la même vision. Coupa ou Gartner aussi d’ailleurs.

On pense tous que globalement, le Procure-to-Pay va progressivement devenir un seul marché, alors qu’aujourd’hui, c’est une somme de solutions ponctuelles. La conséquence – et ça arrive déjà un peu – c’est que l’on va entrer en concurrence les uns avec les autres. On va voir comment ça se passe.

LeMagIT : Si on vous suit bien, si vous voulez être à la fois Ariba, Coupa, etc. cela veut-il dire que votre chiffre d’affaires pourrait être multiplié par deux ou trois ? Ce sont des sociétés qui font de gros CA.

Emmanuel Olivier : Oui, ce sont de grosses sociétés, mais Coupa c’est entre 600 et 700 millions de dollars de chiffre d’affaires par an. C’est plus gros que nous, bien entendu, mais on n’est pas non plus en train de parler de milliards. Et quand SAP a racheté Ariba, l’ordre de grandeur c’était 400 à 500 millions de CA aussi. Ils ont certainement dû grossir, mais pas tant que cela non plus, parce que le produit Ariba a assez peu évolué depuis son rachat par SAP.

Cela dit, vous avez raison : si vous additionnez tout, on obtient une somme qui est peu en rapport avec notre taille actuelle. Mais oui, notre ambition c’est de continuer à croître de manière extrêmement dynamique, aux alentours de 18 % à 20 % par an. Nous avons réalisé 134 millions € l’année dernière, en croissance de 20 %. Je rappellerais juste qu’il y a dix ans nous n’étions qu’à une trentaine de millions de CA. Donc on progresse bien !

Du potentiel de la Supply Chain Finance

LeMagIT : Si l’on regarde vers l’avenir, avez-vous d’autres cibles en vue pour compléter votre offre ? Ou dit autrement, voyez-vous encore des trous fonctionnels à combler en priorité ?

Emmanuel Olivier : Il y a deux choses à dire sur ce sujet. D’abord, un trou « béant », comme celui que l’on pouvait avoir sur le sourcing : il n’y en a plus. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, il va falloir que nous travaillions sur la profondeur fonctionnelle de ce que l’on fait. Parce qu’on fait beaucoup de choses !

« Notre ambition c’est de continuer à croître de manière extrêmement dynamique, aux alentours de 18 % à 20 % par an. »
Emmanuel OlivierDirecteur général d’Esker

Par exemple, en face de Coupa ou d’Ivalua, sur des problématiques de pure gestion des achats, nous sommes évidemment plus modestes parce que c’est leur spécialité, qu’ils font ça depuis toujours, et que nous, nous sommes un nouvel entrant.

En revanche, il est tout à fait possible qu’on étende notre champ fonctionnel sur d’autres domaines.

Quand on parle de « Procure-to-Pay » et de « Order to Cash », dans les deux cas, on parle de paiement et donc de finance. Là, il y a des choses à faire. Nous faisons déjà du paiement dans nos solutions, mais on peut imaginer des développements autour de ce qu’on appelle la « supply chain finance », par exemple.

Est-ce qu’on fera cela – ou d’autres choses – par acquisitions, par développement interne, ou par des partenariats ? Ou avec un peu des trois ? On verra bien. Tout est possible.

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