Cet article fait partie de notre guide: Processeurs : les puces Intel, AMD et ARM de 2023

Semiconducteurs : les USA votent enfin le Chips Act

Les sénateurs américains se sont finalement mis d’accord pour subventionner à hauteur de 52 mds $ la relance d’une industrie locale de semiconducteurs. L’UE annonce quant à elle 42 mds €. Intel n’est pas certain que ce sera suffisant.

Après de longs mois de faux suspens, le Sénat américain vient finalement de voter le Chips Act, soit une subvention directe de 52 milliards de dollars d’argent public sur cinq ans pour muscler la production de semiconducteurs sur le sol des USA. 39 mds $ seront attribués à la construction ou à la rénovation d’usines. C’est-à-dire les projets de l’Américain Intel, mais aussi de son concurrent direct, le Taiwanais TSMC, qui a promis de venir étendre ses chaînes industrielles loin d’une menace d’invasion chinoise.

Les 13 mds $ restants seront consacrés à la R&D, ou plus exactement aux entreprises qui conçoivent des designs de puces et s’engagent à les faire fabriquer aux USA.

Les entreprises qui profiteront de cette subvention directe pourraient par ailleurs bénéficier d’une réduction d’impôts sur les cinq prochaines années. Le chiffre de 24 milliards de dollars de taxes non réclamées est évoqué, mais les sénateurs américains ne semblent pas encore être tombés d’accord.

Des Chips Act aux USA et en Europe pour redevenir le leader des puces

Selon le président Joe Biden, ces investissements doivent servir à éviter aux USA une nouvelle pénurie de composants électroniques, comme celle que le monde occidental a connue durant la pandémie avec le gel des circuits logistiques depuis l’Asie. Outre réduire la production d’équipements numériques, cette pénurie a aussi empêché les constructeurs automobiles de produire autant de véhicules que prévu.

En coulisses, la Semiconductor Industry Association (SIA), un puissant lobby américain piloté par Intel et AMD, a convaincu les sénateurs américains que le CHIPS Act allait servir à redonner aux USA le leadership mondial en matière de production de puces électroniques. De nos jours, 12 % des semiconducteurs sont fabriqués aux USA, contre 37 % dans les années 90. Pour autant, les sénateurs ne sont pas dupes : Intel a usé du même argumentaire pour obtenir des subventions de la part de l’Union européenne.

Présenté comme « le plan de l’Europe pour redevenir leader mondial des semiconducteurs », le Chips Act européen propose quant à lui d’investir 42 milliards d’euros d’argent public, d’ici à 2030, dans la fabrication d’usines (30 mds €) et la R&D (12 mds €). Selon Thierry Breton, le commissaire européen en charge de la politique industrielle, cet investissement doit permettre à l’Europe de produire 20 % des puces dans le monde, contre 10 % actuellement.

Aujourd’hui, les semiconducteurs sont essentiellement fabriqués à Taiwan, chez TSMC (53 % de la production), et en Corée, chez Samsung (16,3 % de la production).

Intel à la manœuvre

De son côté, Intel a surtout pour objectif de résoudre son problème industriel. En laissant filer la production des puces pour mobiles vers les usines asiatiques durant les années 2010, il les a laissées s’enrichir. Et se moderniser. Au point qu’elles produisent aujourd’hui pour ses concurrents AMD et Nvidia des processeurs avec des circuits plus denses et plus économes en énergie que ses propres Core et Xeon. Conséquence, depuis 2020, l’hégémonie d’Intel dans les processeurs pour serveurs et PC s’effrite. AMD vend à présent un quart des processeurs x86, toutes catégories confondues. Apple fait désormais fabriquer les processeurs de ses 7 millions de Mac trimestriels chez TSMC.

Pour rattraper son retard, Intel a besoin d’avoir des usines aussi modernes que celles de TSMC. Il lui faut 20 milliards de dollars pour construire deux fonderies de circuits sur un nouveau site, 10 milliards de dollars pour moderniser les fonderies sur un site existant, 5 milliards de dollars pour bâtir un site qui assemble les circuits en puces et encore 5 milliards de dollars pour la R&D.

Pat Gelsinger est allé demander ces fonds aux USA et en Europe, ce qui a conduit aux programmes Chips Act de part et d’autre de l’Atlantique. D’ici à 2027, sa stratégie consiste à construire dans l’Ohio et en Allemagne, à moderniser en Arizona et en Irlande, à assembler au Nouveau-Mexique et en Italie, ainsi qu’à développer dans l’Oregon et en France.

L’argent public ne doit servir qu’à faire sortir de terre les différentes chaînes de production. Pour les rentabiliser, Intel veut les louer en partie aux autres concepteurs de puces. C’est le propos de sa nouvelle filiale IFS (Intel Foundry Services). Parmi les premières prises de guerre, le Taiwanais Mediatek, qui dessine des puces intégrées pour smartphones, a annoncé cette semaine qu’il confierait une partie de sa production à IFS, dans le but de diversifier la provenance géographique de ses fournisseurs.

Des subventions éventuellement trop limitées

Mais les dés ne sont pas encore jetés. Intel espère obtenir du Chips Act américain un financement direct de 20 milliards de dollars, plus une économie d’impôts de 5 à 10 mds $. Mais AMD et Nvidia contestent déjà ces sommes ; ils sont susceptibles de faire fabriquer leurs puces dans les futures usines américaines de TSMC. En Europe, des initiatives, comme celle du redéploiement de STMicroelectronics, sont également susceptibles de capter une part du gâteau espéré par Intel.

Autre point de préoccupation, les nouvelles fonderies dépendent de l’achat des équipements de photolithographie qui servent à graver les circuits sur les wafers. Or, les plus modernes de ces équipements sont fabriqués par un seul fournisseur, le Hollandais ASML (ex-filiale de Philips), lequel a lui-même des capacités de production limitées.

Et des retards de livraison : en janvier de cette année, un feu dans ses usines a délayé de plusieurs mois la mise au point de ses appareils. Dont le nouveau TwinScan EXE:5200 qui doit permettre à Intel de graver ses puces avec une finesse de 1,8 nanomètre.

Pour parer aux défaillances d’ASML, Intel, TSMC et Samsung n’ont d’autres choix que d’investir régulièrement dans ses capacités de production. En fin de compte, les Chips Act américain et européen pourraient bien être encore trop justes pour les ambitions d’Intel.

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