OpenText rachète Micro Focus pour ressembler « à SAP ou Oracle »

OpenText va débourser 6 milliards $ pour le Britannique Micro Focus. Son président poursuit ainsi sa stratégie de croissance externe. Mais la taille du rachat et le flou autour des synergies possibles sont fortement sanctionnés par les marchés.

Le Canadien OpenText a conclu un accord pour racheter l’éditeur britannique Micro Focus pour 6 milliards de dollars.

La transaction devrait être bouclée au cours du premier trimestre de 2023, dans l’attente de l’approbation des autorités réglementaires. OpenText prévoit d’intégrer les logiciels de Micro Focus à ses activités d’ici le troisième trimestre de 2023.

Si l’opération se concrétise, OpenText doublera pratiquement sa taille. Pour son exercice 2022, qui s’est terminé en juillet, OpenText a déclaré des revenus de 3,5 milliards de dollars. Au cours de son exercice 2021, Micro Focus a enregistré des revenus de 2,9 milliards de dollars.

Il s’agit de la dernière opération en date dans la stratégie de croissance par acquisition du PDG Mark Barrenechea.

OpenText et Micro Focus : deux gros acheteurs

Au cours de la décennie passée, OpenText a en effet fondé son développement sur une forte croissance externe avec l’acquisition de sociétés comme Documentum, dans la gestion de contenu d’entreprise (ECM, cœur de métier historique d’OpenText) ou comme Carbonite, dans la cybersécurité.

Bien qu’étant à la tête d’une société cotée en bourse, M. Barrenechea a comparé cette stratégie de rachats à la feuille de route d’une société de capital-investissement.

De son côté, Micro Focus aussi a multiplié les acquisitions. La plus connue est sans doute celle de la division logicielle de HPE en 2016. Un an plus tard, il avait racheté le Français Cobol-IT.

Le Britannique s’est fait connaître en tant qu’expert du lift & shift d’applications COBOL des mainframes vers le cloud public. Il s’est aussi fait une place sur les marchés en Asie-Pacifique. Ses activités couvrent aujourd’hui aussi bien le cloud, que l’IT sur site, les outils de dev, la RPA, l’ITSM, l’analyse de données, l’observabilité et la supervision, la cybersécurité, ainsi que les services et l’assistance.

« Une fois l’acquisition réalisée, OpenText sera l’un des plus grands acteurs au monde du logiciel et du cloud. »
Mark BarrenecheaPDG d'OpenText

Lors d’une conférence téléphonique avec les investisseurs, M. Barrenechea a promis que la fusion de Micro Focus et d’OpenText offrirait de nouvelles opportunités, grâce à l’augmentation des commandes de logiciels et de services professionnels cloud jusqu’en 2025, ainsi qu’au renouvellement des contrats actuels.

Les synergies entre les deux entités ne sont cependant pas évidentes au premier abord. Le communiqué officiel reste d’ailleurs évasif sur la stratégie concrète d’OpenText et se contente d’évoquer la « transformation digitale » des entreprises (une expression assez large qui recouvre peu ou prou la totalité des outils IT).

« Une fois l’acquisition réalisée, OpenText sera l’un des plus grands acteurs au monde du logiciel et du cloud, avec une énorme base clients, une présence planétaire et un go-to-market complet », s’enthousiasme M. Barrenechea. « Les clients d’OpenText et de Micro Focus bénéficieront d’un partenaire capable de les aider encore plus efficacement à accélérer leurs transformations numériques, en libérant la pleine valeur de leurs actifs informationnels et de leurs systèmes centraux ».

« Land & Expand » et économies d’échelle

Bien qu’une grande partie des activités de Micro Focus soit éloignée des cœurs de métier d’OpenText que sont l’ECM et la gestion de l’information au sens large (échange de données, gestion des factures, CX, sécurité des terminaux, signature, etc.), ensemble, les deux éditeurs seront présents, à un titre ou à un autre, chez 98 des 100 plus grandes entreprises du monde et ont également de gros clients gouvernementaux, rappelle Predrag Jakovljevic, analyste chez Technology Evaluation Centers. « Une bonne base pour faire du “land and expand” ».

« À mon avis, l’acquisition vise principalement […] à tirer parti des économies d’échelle (ce dernier point pouvant faire partie de la préparation à une récession). »
Boris EvelsonForrester

« Les deux entreprises ont des modèles d’organisation relativement similaires », ajoute pour sa part Boris Evelson, VP and Principal Analyste chez Forrester dans un échange avec LeMagIT, « elles sont principalement actives dans l’acquisition de plates-formes bien adoptées par les clients, puis elles rationalisent, intègrent et pollinisent de manière croisée ».

« À mon avis, l’acquisition vise principalement à éliminer la concurrence, à accroître la part de marché et à tirer parti des économies d’échelle (ce dernier point pouvant faire partie de la préparation à une récession) », résume l’analyste.

Boris Evelson voit également certains chevauchements de produits comme dans l’analyse et le traitement du langage naturel (NLP) avec OpenText Magellan et Micro Focus IDO. « L’entreprise combinée pourrait vouloir intégrer et consolider les deux produits », entrevoit-il.

Une diversification vers la modernisation des applications de gestion

Contacté par LeMagIT, OpenText n’a pour l’instant pas donné de précisions sur les synergies concrètes (commerciale ou liées aux produits) qu’il espère créer avec son rachat.

Le véritable objectif est peut-être d’ailleurs à chercher du côté de la diversification et de la multiplication du catalogue, sans plus de rationalisation. Dans un entretien à Bloomberg, M. Barrenechea promet qu’avec Micro Focus, sa société « ressemblera beaucoup à Oracle ou à SAP ». Deux éditeurs dont la caractéristique commune est de proposer une offre pléthorique qui couvre quasiment tous les domaines de l’IT de gestion : données et applications.

Présentation d'OpenText sur les complémentarités avec Micro Focus
Présentation d'OpenText sur les complémentarités avec Micro Focus

Une nouvelle entité combinée d’OpenText et de Micro Focus pourrait aussi, en théorie, gérer la totalité de la modernisation des systèmes historiques vieillissants qui sont encore omniprésents dans les entreprises et dont certains sont difficiles à réorganiser dans des environnements de cloud public tels qu’AWS et Azure – continue Predrag Jakovljevic.

Le succès ou l’échec de la fusion dépendra de la manière dont les deux sociétés combineront leurs activités au cours des 18 prochains mois, conclut-il : « sur le papier, ils peuvent désormais tout faire, de COBOL et des mainframes au cloud et au low-code. Mais le diable se niche dans l’exécution ».

Le projet et la faible explication des synergies n’ont en tout cas pas convaincu les marchés. Depuis l’annonce du rachat de Micro Focus, l’action d’Open Text a dévissé de plus 17 %. Mais les marchés n’ont pas toujours raison.

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