Le temps est venu pour SAP de passer à la concrétisation des promesses (USF)

Pour l’association des utilisateurs francophones de SAP, Gérald Karsenti a amené une nouvelle culture, plus proche des clients, chez SAP France. Son successeur, qu’elle accueille positivement, aura pour mission de tenir ces promesses d’évolution (cloud souverain, écoutes des besoins, etc.).

Après la nomination à la tête de SAP France d’Olivier Nollent, un ancien de Salesforce, le président de l’USF, Gianmaria Perancin s’est entretenu avec LeMagIT.

Il accueille cette promotion positivement, puisqu’elle s’inscrit dans la continuité de la présidence de Gérald Karsenti (qui a, en quelque sorte choisi et « adoubé » Olivier Nollent). Mais l’USF ne donne pas pour autant un blanc sein au nouveau patron de la filiale française. Bien au contraire.

Pour Gianmaria Perancin, après le temps des paroles (par exemple sur la prise en compte de sensibilités clouds très éparses ou sur les pratiques commerciales de SAP) vient le temps de l’action concrète. Olivier Nollent devra donc tenir – sur le terrain et si possible dans les offres – les promesses de son prédécesseur pour pérenniser la confiance qu’il a réussi à créer avec l’écosystème français de SAP.

La promesse Karsenti

LeMagIT : Aviez-vous anticipé le départ de Gérald Karsenti ? Sa décision vous a-t-elle surpris ?

Gianmaria Perancin : Oui, parce que Gérald est certainement une personnalité importante dans l’écosystème industriel français.

« Gérald [Karsenti] a apporté sa vision de la vente des solutions et des services SAP. Avant lui, ce n’était pas forcément cette philosophie. »
Gianmaria PerancinPrésident de l'USF

À titre personnel, si Gérald et SAP ont pris cette décision, j’imagine que c’est parce que les deux parties ont considéré qu’elles étaient arrivées au bout d’un chemin en commun. Mais, ça ne doit pas choquer en tant que tel : ce sont des choses qui arrivent dans le monde professionnel. À un moment, on décide, ensemble, de tourner une page et donc on le fait d’un commun accord.

LeMagIT : Mais cela n’a pas l’air de vous avoir surpris plus que cela…

Gianmaria Perancin : Non, parce que je pensais bien que, tôt ou tard, cela arriverait. On voyait bien que Gérald avait des aspirations en dehors de l’édition logicielle : ses publications sur la diversité, son enseignement sur le leadership et ses cours à HEC, son émission sur Radio Classique avec Franck Ferrand, etc.

Donc non, je ne peux pas dire que cela m’ait étonné ni choqué. D’autant plus que je suis persuadé que son départ n’a pas été provoqué par quelque chose qui se serait mal passé. Cela a dû se faire en bonne intelligence.

LeMagIT : Comment l’USF accueille-t-elle la nomination d’Olivier Nollent ?

Gianmaria Perancin : Nous connaissons Olivier depuis plusieurs mois maintenant, depuis son arrivée chez SAP en mars dernier. Nous nous sommes vus tous les deux en mai, en présence de Gérald, puis Olivier est venu échanger avec toute l’USF Force en juin. Il nous y avait montré une écoute et une attention qui nous avaient fait bonne impression. Et en juillet, nous avions apprécié sa nomination en tant que Directeur général, justement parce qu’il nous avait donné des signes positifs.

Photo de Gianmaria PerancinGianmaria Perancin, président de l’USF

Il veut bien discuter, échanger, et entendre la voix de l’écosystème SAP. J’espère maintenant qu’il donnera à ses forces de vente cette même ligne directrice, une ligne d’écoute pour chercher les besoins des clients et y répondre en vendant des choses qui leur servent rapidement et qui ramènent vraiment de la valeur. Quand j’ai discuté avec Olivier, j’ai en tout cas eu le sentiment que cette demande faisait écho en lui.

LeMagIT : De ce que vous dîtes, il semble être dans la droite ligne de « l’ère Karsenti » ?

Gianmaria Perancin : Oui, pour l’USF ce changement s’inscrit dans une forme de continuité, ou en tout cas il en a tout l’air. Mais il y a un point notable de différence à prendre en compte. Quand il est arrivé, Gérald a apporté sa vision. Il a changé la manière d’aborder la vente des solutions et des services SAP. Avant lui, ce n’était pas forcément cette philosophie… Mais maintenant, il faut absolument passer à l’étape suivante.

« L’étape d’après »

LeMagIT : Quelle étape ?

Gianmaria Perancin L’étape d’après, c’est qu’une fois qu’on a dit qu’il y avait une autre manière de vendre… Il faut le faire. Je pense que c’est justement ce qu’Olivier va tenter d’insuffler à ses forces de vente.

LeMagIT : Sous-entendez-vous qu’aujourd’hui, malgré le discours de Gérard Karsenti qui était très proche des clients, et que vous aimiez bien, ce n’est toujours pas le cas ? Les commerciaux de SAP continuent à pousser des choses dont les clients n’ont pas forcément besoin ?

Gianmaria Perancin : C’est en tout cas ce que remonte encore l’écosystème.

Un commercial essaye de vendre, il tente de faire du up-selling pour vendre davantage. C’est normal. Ce n’est pas un jugement. C’est le monde du commerce.

« Ce sont les Must Have et les Should Have de la méthode MoSCoW qui s’imposent aujourd’hui, plutôt que les Could Have. »
Gianmaria PerancinPrésident de l'USF

Mais on ne peut plus tenter de nous vendre une solution en nous disant que cela va nous servir « certainement plus tard » (mais on ne sait pas bien quand), pour quelque chose que l’on ne verrait pas encore (et qu’on ne sent pas même pas venir).

D’autant plus que les budgets généraux des DSI subissent de plus en plus des réductions. Or si vous n’avez pas la même ressource financière à investir ou à dépenser, il est évident qu’il faut cibler davantage. C’est-à-dire cibler là où vous en avez vraiment besoin.

Nous ne pouvons plus nous permettre d’acheter quelque chose dont on aura, peut-être, besoin un jour… lointain. Il faut désormais être sûr que l’on en aura besoin. Ce sont les « Must Have » et les « Should Have » de la méthode MoSCoW, plutôt que les « Could Have », qui s’imposent aujourd’hui.

LeMagIT : Vous dites que les budgets sont en réduction. Olivier Nollent dit que ce sera peut-être le cas, mais il n’anticipe pas pour autant de ralentissement pour SAP France. Pour lui, beaucoup d’entreprises ont beaucoup attendu et sont arrivées à un point où elles sont obligées d’investir pour se transformer. Et donc que SAP va forcément vendre (s’il écoute les besoins exprimés). Vos adhérents vont être obligés d’acheter ?

Gianmaria Perancin : Vous avez parfaitement exprimé deux choses. D’un côté, des budgets qui diminuent. De l’autre, des sociétés qui doivent se transformer, sinon elles mourront.

Cela signifie tout simplement qu’il faut focaliser les budgets là-dessus ! Il faut donc acheter ce qu’il nous faut pour faciliter ou concrétiser notre transformation. Et donc que tout le reste passe à la trappe (y compris les produits « dont on pourrait avoir besoin… éventuellement… un jour… lointain » !).

Sur ce point, à nous aussi de travailler avec SAP pour faire en sorte qu’il puisse tenir les promesses de transformation de S/4, du cloud, de Rise, etc.

Cloud public et « culture Salesforce »

LeMagIT : L’USF n’est pas opposé au cloud, mais vous militez pour que certaines conditions soient respectées : notamment une tarification plus claire, la possibilité de migrer les données si besoin, et des options souveraines pour les organisations qui le souhaitent.

Olivier Nollent vient de Salesforce où « cloud = cloud public + hyperscaler américain ». Pourtant, en arrivant chez SAP, il semble avoir fait sienne une philosophie ouverte à différents types de cloud (public, privé, hybride, multicloud, souverain) et même au « sur site ».

Cela vous rassure-t-il et comment expliquez-vous cette évolution ?

Gianmaria Perancin : Peut-être a-t-il entendu le message de l’USF et qu’il se l’est approprié ! (Rire) Plus sérieusement, nos études montrent que le pur cloud peut même avoir des désavantages. Nous avions déjà évoqué la souveraineté des données, mais même d’un point de vue financier, certes le cloud réduit les CAPEX, mais sur la durée, si on fait la somme des OPEX payés pendant dix ans, on se rend compte que parfois on aurait mieux fait d’investir dans un data center.

« SAP ne peut pas faire abstraction des sensibilités [cloud] de chaque législation, de chaque pays, de chaque secteur, et de chaque entreprise. »
Gianmaria PerancinPrésident de l'USF

Dans tous les cas, et bien au-delà de la France, je pense que SAP ne peut pas faire abstraction des sensibilités de chaque législation, de chaque pays, de chaque secteur, et de chaque entreprise.

Et je pense aussi que si SAP veut gagner la confiance de ses clients sur le cloud, la seule manière, c’est de leur répondre et de les rassurer par rapport aux contraintes. Donc le discours d’Olivier est logique. Et je trouve que c’est bien qu’il dise cela.

LeMagIT : Mais allez-vous dire la même chose que sur les pratiques commerciales, en résumé : « C’est bien de le dire, mais c’est mieux de le faire » ?

Gianmaria Perancin : Absolument ! Il faut voir comment cela se concrétise.

En revanche, il y a une chose que je n’oublie pas. Olivier Nollent est responsable d’une entité, la France, qui ne peut vendre que ce que SAP SE décide de produire. D’où le besoin d’échanger aussi systématiquement avec la direction Europe du Nord et avec Christian Klein (SAP SE), pour faire comprendre que certaines choses en France pourraient ne pas marcher comme on l’espère au siège du groupe SAP.

LeMagIT : Lors de notre précédent échange, pour la nomination d’Olivier Nollent au poste de DG, vous aviez aussi évoqué le fait qu’il pourrait apporter des éléments de la culture de Salesforce. Auxquels pensiez-vous ?

Gianmaria Perancin : Salesforce est un éditeur qui vend beaucoup… Il doit y avoir bien une raison  ! Laquelle ? Je me pose par là la question de savoir quelles bonnes pratiques de Salesforce Olivier va pouvoir amener avec lui dans le monde SAP : une meilleure présentation des contenus ? Une autre capacité contractuelle ? Une nouvelle préparation des commerciaux avec un autre état d’esprit ?

LeMagIT : Quelle est la sensibilité des utilisateurs SAP vis-à-vis du cloud public ? Y a-t-il une sorte de frilosité – dans la continuité de vos conditions – ou y’a-t-il de grandes différences entre industries, voire entre entreprises ?

« L’USF n’a pas de position en tant que telle sur le cloud. Notre mission est d’écouter l’écosystème : s’il bouge vers le cloud public, il faut l’accompagner. En revanche, s’il y a des doutes il faut également les entendre. »
Gianmaria PerancinPrésident de l'USF

Gianmaria Perancin : On aurait pu parler de frilosité jusqu’en fin d’année dernière. Mais depuis, des signaux faibles nous font dire que certaines entreprises commencent à franchir le pas du cloud public [N.D.R. : comme Renault ou Schneider Electric] principalement parce qu’elles ont un enjeu de transformation.

Reste que c’est un dilemme. Être chez un hyperscaler et répondre aux exigences du RGPD, cela ne nous apparaît pas si évident que cela. J’en ai discuté avec Olivier qui m’a dit qu’il allait travailler pour nous apporter des réponses. Et nous, à l’USF, on étudiera ces réponses avec nos aides juridiques habituelles.

En tout cas c’est une thématique qui intéresse beaucoup le service public, et donc nous allons certainement nous approprier ce sujet pour le creuser.

L’USF n’a pas de position en tant que telle sur le cloud. Notre mission est d’écouter l’écosystème : s’il bouge vers le cloud public, il faut comprendre pourquoi, et l’accompagner. Si en revanche il y a des doutes, des questions, des craintes, il faut également les entendre, les comprendre et les porter aux éditeurs et aux acteurs concernés pour qu’ils y répondent.

S/4 : la troisième voie

LeMagIT : Même question sur S/4. Vous disiez qu’il fallait prouver la valeur avant de migrer. Aujourd’hui SAP arrive-t-il à la prouver, ou est-ce encore un travail en cours ?

Gianmaria Perancin : Ce que je peux vous dire c’est que l’on voit de nouvelles approches de S/4. Il y avait les démarches Brownfield et Greenfield. Et on en a vu apparaître une autre très intéressante que je pourrais peut-être appeler « Brown 4 Green ».

L’ERP n’est pas une île, il est connecté au reste du SI. Les autres systèmes ont besoin d’évoluer parce que les processus changent. Et à mesure qu’ils changent, l’ECC historique peut ne plus suivre. Donc, dans ce cas, il peut y avoir un intérêt fort pour migrer vers S/4. C’est une transformation en plusieurs étapes. La démarche n’est plus « je migre ou pas », mais « je me donne une roadmap » qui fait que S/4 peut devenir plus intéressant si l’on s’inscrit sur le long terme.

LeMagIT : Quel message souhaitez-vous faire publiquement passer à Olivier Nollent et que demandez-vous aujourd’hui à SAP France ?

Gianmaria Perancin : Tout d’abord, nous lui disons « félicitations » !

« Ce que l’on peut demander à Olivier [Nollent], c’est de mettre plein gaz sur le changement de posture des commerciaux pour qu’ils soient véritablement à l’écoute des besoins. »
Gianmaria PerancinPrésident de l'USF

Ensuite, ce que l’on peut lui demander, c’est de mettre plein gaz sur le changement de posture des commerciaux pour qu’ils soient véritablement à l’écoute des besoins.

Et aussi de continuer à travailler pour que notre communauté se sente rassurée. Olivier aura ses contraintes de chiffre d’affaires, mais nous espérons qu’il les atteindra en construisant surtout de la valeur pour nous.

LeMagIT : La communauté des utilisateurs SAP a-t-elle encore besoin d’être rassurée ? La confiance n’est pas encore totalement revenue après l’épisode des départs surprises de Frédéric Chauviré (ex-DG France) et de Stéphanie Perchet (ex-COO) ?

Gianmaria Perancin : Les signaux aujourd’hui sont positifs. Mais dans une relation professionnelle, vous avez besoin de gages pour voir si vous pouvez faire confiance. Oui, il y a de la confiance des deux côtés. Mais il faut l’alimenter au jour le jour.

Si vous me posez la question de savoir si l’USF est inquiet, la réponse à date est non. Le chemin que nous avons fait avec Olivier depuis 10 mois est prometteur. Maintenant, il faut juste voir comment les choses avancent concrètement. Par exemple voir comment nous aurons la possibilité de lui remonter l’information, quand des adhérents auront des problèmes avec des commerciaux qui seraient trop insistants sur des produits ou services dont ils n’ont pas besoin.

(Propos relus et validés par Gianmaria Perancin)

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