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Projets d’IA : l’année 2025 s’annonce difficile
Impatience envers la Gen AI, hécatombes des projets, retard dans « l’agentique », retour en force du prédictif. Forrester Research dessine des perspectives très prudentes – mais tout de même optimistes – pour l’IA en 2025 et appelle les entreprises à adopter une vision et des stratégies moins impatientes.
L’intelligence artificielle est riche de promesses. Mais le chemin vers le succès n’est pas un long fleuve tranquille. C’est en substance le résumé des prévisions du cabinet d’analystes Forrester dans deux rapports – un pour les « Tech Leaders », et un sur l’IA en 2025.
Certes les budgets IT vont encore augmenter l’année prochaine. Certes l’IA est devenue un sujet jusque dans les conseils d’administration. Certes l’économie se digitalise. Mais la pression augmente aussi sur l’IT, les attentes dans l’IA avec elle (ROI, etc.), et les premières désillusions pourraient prendre la forme d’un retour de bâton.
Transformations numériques : 80 % d’échec
« Seul un dirigeant sur cinq chargés de la transformation numérique réussira », prédit sévèrement Forrester dans son rapport sur les « Tech Leaders »
« De nombreuses entreprises s’engagent dans des transformations à grande échelle, mais les résultats sont lents », explique le cabinet d’analystes. « Les programmes [d’IA], souvent complexes, nécessitent une coordination entre dirigeants, opérationnels, RH et IT. De nombreux responsables auront du mal à obtenir l’adhésion de toutes ces équipes ».
Résultat, la plupart des projets risquent d’échouer en 2025. « Les transformations s’enlisent, les entreprises souffrent et les dirigeants se retirent », lance Forrester.
Une vision trop « court-termiste » des développements
Le cabinet d’analystes anticipe également une forme d’impatience dans le milieu du développement. « 70 % des entreprises technologiques ne se préoccuperont plus des carrières des juniors », regrette l’organisme. L’arrivée de l’IA dans le développement aurait déjà créé « une scission de la main-d’œuvre » en deux catégories :
- les développeurs hautement spécialisés et recherchés qui exigent des hauts salariales
- les développeurs en début de carrière qui n’ont pas l’expérience nécessaire.
Ces derniers auraient moins d’opportunités de construire leur carrière. En 2023, le nombre de recrutements pour des postes de niveau débutant aurait ainsi diminué de 50 %. Or les spécialistes d’aujourd’hui ont, un jour, été juniors.
« Sur le long terme, cette situation aboutit à l’échec. Les entreprises perdront le vivier de talents indispensable à la mise en place d’une organisation performante », avertissent les experts.
La solution serait de se concentrer davantage sur le long terme, de continuer à former des compétences et à anticiper les carrières « plutôt que de compter sur le marché pour se procurer des talents, facilement disponibles », mais non pérennes.
Vers des désillusions dans l’IA générative
L’IA générative n’est pas magique. Pour générer une vraie transformation, elle doit s’accompagner d’un changement en profondeur de l’organisation du travail et des worflows. Mais cela prend du temps. Et là encore, l’impatience risque de se manifester en 2025.
« Les dirigeants informatiques, qui sont souvent responsables du succès de l’IA, avaleront une pilule amère lorsque des initiatives d’IA, mal préparées et surestimées, ne donneront pas les résultats escomptés », prédit Forrester.
Une bonne option serait alors de revenir aux « fruits facilement accessibles », comme disent les Anglo-saxons.
« Ceux qui réussiront se rendront compte qu’ils doivent d’abord donner aux employés des outils qui leur facilitent la vie… et dès aujourd’hui. […] Par exemple, GitHub Copilot pour la génération de code [ou] Copilot pour Microsoft 365 afin d’aider les responsables des ventes, du marketing et des ressources humaines ».
Cela laissera du temps pour mieux « s’aligner avec les DAF et les DRH afin de modifier le modèle de financement pour faire des applications Gen AI une priorité de l’entreprise ».
Patience est mère de toutes les IA vertueuses
Dans une seconde slave de prévisions, exclusivement sur l’IA, Forrester persiste et continue d’avertir sur cette impatience.
« La plupart des entreprises qui se focalisent sur le ROI de l’IA réduiront prématurément leurs initiatives », regrette Forrester.
L’IA générative peut être exploitée de deux manières : embarquée dans les outils (comme avec Copilot) ou via des projets maisons. Ce sont ces projets qui risquent de pâtir sévèrement en 2025.
Forrester
« Les dirigeants réalisent que le ROI sera plus long que prévu. Ils anticipent des retombés plus étalées dans le temps ». Dans une autre enquête de Forrester (Q2 AI Pulse Survey, 2024), 49 % des décideurs américains ont ainsi déclaré qu’ils attendaient un retour sur investissement de l’IA générative dans un délai d’un à trois ans, et 44 % dans un délai de trois à cinq ans.
« L’impatience à l’égard du ROI de l’IA pourrait inciter les entreprises à réduire prématurément leurs investissements, ce qui serait un inconvénient à long terme », insiste Forrester.
Le cabinet invite au contraire à établir une stratégie solide, alignée sur les besoins du business, à choisir des cas d’usage différenciés (en exploitant les données et l’expertise propres à l’entreprise), et à créer « une feuille de route qui équilibre le ROI à court terme et à plus long terme pour créer un volant d’inertie permettant de réinvestir les premiers succès dans de futurs projets d’IA ».
L’agent : dans deux ans, mais pas avant
Dans ce même rapport sur l’IA, Forrester modère les discours des fournisseurs qui annoncent l’arrivée imminente des « agents » – des bots plus avancés capables de réaliser des suites de tâches complexes.
« L’IA agentiques a été l’une des principales technologies émergentes de 2024 », concède-t-il, « mais ces architectures (NDR : plusieurs LLMs, RAG, etc.) ne sont pas encore prêtes – il faudra encore deux ans avant qu’elles aient une chance de répondre aux espoirs [aujourd’hui] démesurés d’automatisation ».
Résultat, pour Forrester, 75 % des entreprises qui se sont lancées seules dans ces projets échoueront. En attendant, la solution est de ne pas tenter l’aventure seule, mais en partenariat avec des prestataires et des éditeurs – invite le cabinet d’analystes.
Le retour en force du prédictif
Toutes ces attentes, impatiences, voire déceptions – fussent-elles petites – sur la Gen AI devraient redistribuer les budgets alloués à l’intelligence artificielle avec un retour en force du prédictif (maintenance proactive, personnalisation client, optimisation de la chaîne d’approvisionnement, prévision de la demande, etc.)
Aujourd’hui, la répartition des cas d’usage entre IA prédictive (36 %) et IA générative (35 %) est à peu près équitable. « Cependant, comme les entreprises rencontrent des obstacles transitoires dans l’application de la Gen AI, les efforts vont redoubler dans l’IA prédictive », avance Forrester.
Reste que les deux (Gen AI et IA prédictive) ne sont pas incompatibles. Bien au contraire. Forrester invite à envisager les synergies entre les deux (le cabinet constate d’ailleurs que le nombre de ce type de projet hybride progresse).
Optimisme pragmatique sur l’IA
Ces prévisions peuvent paraître pessimistes. Forrester s’en défend. « L’enthousiasme pour l’IA reste fort, mais il est modéré par le pragmatisme des mises en œuvre », explique-t-il, comme un appel aux DSI à se préparer, dès aujourd’hui, à ces défis et à la mise en place d’une stratégie de long terme (estimation de l’impact sur les activités et du ROI, sélection des bons cas d’usage, plans de nettoyage et de gestion des données, alignement sur un modèle d’exploitation, formation des talents, expérimentation de nouvelles architectures d’application, partenariats internes et externes, et équilibre entre les risques et les bénéfices).
« Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Au cours de l’année à venir, vous devrez mettre les mains dans le cambouis pour élaborer une stratégie efficace et un plan de mise en œuvre », prévient Forrester pour qui, en 2025, le succès dépendra de trois facteurs clefs : « un leadership fort, un ajustement stratégique et un recalibrage des données et des initiatives d’IA à la mesure des attentes envers cette technologie ».