Nutanix : « Les entreprises virtualiseront encore leurs applications pendant dix ans »

Le no 2 historique de la virtualisation adapte sa solution à une technologie concurrente, la containerisation, alors que les entreprises cherchent plutôt une alternative à VMware. Son PDG s’efforce dans cette interview de lever toute ambiguïté.

L’éditeur Nutanix fait actuellement face à deux enjeux. Le premier est de parvenir à placer sa plateforme de virtualisation comme solution de remplacement à VMware, dans un contexte où les entreprises sont pressées de quitter le leader de ce secteur depuis qu’il a fortement augmenté ses tarifs. Le second est de transformer sa solution, afin qu’elle gère aussi bien les applications au format container qu’elle le fait déjà pour celles au format machine virtuelle (VM).

Parce qu’il est bien plus léger qu’une machine virtuelle et qu’il relègue toutes les considérations d’infrastructure (adresses IP, identifiants matériels…) à l’orchestrateur qui l’exécute, le format container est devenu le standard pour des applications subitement capables de s’exécuter telles quelles n’importe où. Sur site, en cloud, par-dessus n’importe quel environnement. Il faut juste que l’orchestrateur Open source Kubernetes soit présent pour les prendre en charge.

On parle d’applications cloud-native. Les containers permettent pour la première fois aux entreprises de simplement délester leurs datacenters vers un cloud, puis de changer de fournisseur de cloud au gré des conditions commerciales, voire de réintégrer en un clin d’œil leurs applications dans un datacenter privé. La dépendance à l’informatique sous-jacente est si inexistante que les développeurs peuvent désormais eux-mêmes déployer des applications, sans avoir besoin de passer par la DSI pour la préparation des serveurs et la configuration des baies de disques.  

Remplacer VMware dans un contexte de ringardisation de la virtualisation

La ringardisation de la virtualisation au profit de la containerisation est ce qui a incité Dell à se séparer, en 2021, de VMware, le no 1 des systèmes de gestion des machines virtuelles. Déprécié, VMware – dont le système vSphere continuait pourtant à faire fonctionner la plupart des datacenters privés dans le monde – s’est fait avaler fin 2023 par l’entreprise Broadcom. La plupart des observateurs parlent d’un acte vautour. Constatant la difficulté des entreprises à passer au format container et leur captivité de fait aux logiciels de VMware pour au moins encore une décennie, Broadcom a significativement fait grimper leurs prix.

Historiquement, Nutanix est le numéro 2 de la virtualisation. Et c’est pourquoi il est tout autant tenu aujourd’hui d’incarner une solution de secours pour les clients de VMware que d’éviter à tout prix d’être ringardisé à son tour par la containerisation.

Sur ce second point, l’éditeur a lancé récemment Cloud Native AOS, soit la déclinaison pour les containers de sa solution de virtualisation. Le produit est débarrassé de son noyau historique, l’hyperviseur AHV, au profit de Kubernetes, mais il conserve toutes les fonctions de haut niveau qui ont fait son succès. Une interface simple pour gérer les ressources et des automatismes pour les déployer.  

Interview du PDG Rajiv Ramaswami

De fait, le message est ambigu : Nutanix travaille-t-il à se débarrasser de la virtualisation, comme Red Hat le fait depuis le départ, ou peut-il proposer une virtualisation de pointe afin de répondre à la demande des entreprises, qui, jusque-là, lui préféraient VMware ? LeMagIT a profité du passage à Paris de Rajiv Ramaswami, le PDG de Nutanix (en photo en haut de cet article), pour lui poser la question et faire un point sur la situation de l’éditeur. Interview.

LeMagIT : Vous venez de lancer Cloud Native AOS, soit votre solution d’hyperconvergence avec des containers à la place des machines virtuelles. Allez-vous suivre le chemin de Red Hat qui exécute les VM par-dessus Kubernetes ?

Rajiv Ramaswami : La raison d’être d’un AOS qui gère les containers exactement comme des VM, y compris quand il n’y a pas de virtualisation sous Kubernetes, est que nous nous attendons à ce qu’il n’y ait plus que des applications au format container dans un avenir proche. Bientôt, la machine virtuelle ne sera plus que le format des anciennes applications que les entreprises maintiennent en production.

« Je pense que les entreprises maintiendront encore longtemps des VM en production, disons pour au moins dix ans. Et c’est pourquoi il faut continuer de savoir les exécuter. »
Rajiv RamaswamiPDG, Nutanix

Sur un marché où toutes les nouvelles applications seront cloud-native, nous nous devions de proposer un système de gestion et d’automatisation des ressources, de calcul comme de stockage, qui soit cloud-native. Et, par la même, qui fonctionne partout où fonctionnent ces applications : au-dessus de n’importe quel Kubernetes, sur site ou en cloud, par-dessus une couche de virtualisation ou directement sur les serveurs physiques.

Cela dit, je pense que les entreprises maintiendront encore longtemps des VM en production, disons pour au moins dix ans. Et c’est pourquoi il faut continuer de savoir les exécuter. Nous avons un socle solide et fiable pour exécuter des machines virtuelles.

Red Hat, eux, ils n’en ont pas. C’est pourquoi ils utilisent le logiciel Open source KubeVirt pour permettre à leur solution d’exécuter des VM par-dessus Kubernetes. Nous n’avons pas besoin de faire ça. Entendons-nous bien : KubeVirt peut fonctionner sur notre plateforme, mais le sujet est de savoir quelle technologie est capable d’exécuter les applications critiques qui tournent encore sur VMware. Et nous pensons que KubeVirt n’est absolument pas prêt pour ça.

LeMagIT : À date, quel bilan tirez-vous des projets de migration de VMware vers Nutanix ?

Rajiv Ramaswami : Il est trop tôt pour tirer un bilan. Les entreprises vont mettre cinq, voire dix ans, à quitter VMware et nous n’en sommes qu’aux premières années. Mais nous avons déjà des succès. Des grands comptes ont déjà migré jusqu’à 24 000 VM sur Nutanix.

LeMagIT : En attendant, vous avez de plus en plus de concurrents sur ce créneau : Proxmox, HPE qui a lancé Morpheus, Dell qui se positionne avec des solutions partenaires…  

Rajiv Ramaswami : Non, HPE, Proxmox ou Dell ne sont pas des concurrents. Dell n’a rien. HPE, je pense que leur solution Morpheus n’est pas encore au point. Proxmox, nous ne le voyons pas dans les entreprises. Nous avons bâti un écosystème depuis dix ans, nous avons plus de 1 200 certifications pour des cas d’usage. Ces gens ne sont tout simplement pas compétitifs.

Non, les vrais concurrents, ce sont Microsoft Azure Local, Microsoft Hyper-V et Red Hat. Mais ils font des choses différentes de nous. Azure Local, si je comprends bien, se destine principalement à équiper les succursales, c’est une niche. Red Hat, comme nous l’avons dit, propose de faire de la virtualisation par-dessus OpenShift, avec KubeVirt, mais cela complique beaucoup la migration depuis VMware. Quant à Hyper-V, il existe depuis très longtemps, mais cette longévité ne lui a paradoxalement pas permis d’avoir un taux d’adoption important.

Donc, définitivement, je pense que Nutanix est véritablement la destination la plus mature pour les entreprises qui doivent migrer leurs machines virtuelles.

LeMagIT : En Europe, VMware communique sur l’opportunité de bâtir des clouds souverains sur sa solution. Comment vous positionnez-vous par rapport à ce sujet ?

« Le sujet des clouds souverains est encore jeune. En revanche celui des clouds privés est largement éprouvé et il est en train de connaître un très fort regain d’intérêt en amont des projets d’IA. »
Rajiv RamaswamiPDG, Nutanix

Rajiv Ramaswami : Nous en sommes au même point que VMware. Notre plateforme a toutes les fonctions nécessaires et des gens veulent s’en servir pour bâtir des clouds privés ou souverains.

En France, OVHcloud a déjà une offre de cloud local, privé, basé sur notre solution et je sors tout juste d’une réunion avec Capgemini pour qu’ils puissent proposer quelque chose de similaire.

Après, je dirais que le sujet des clouds souverains est encore jeune. En revanche celui des clouds privés est largement éprouvé et il est en train de connaître un très fort regain d’intérêt en amont des projets d’IA.

LeMagIT : Travaillez-vous à devenir une plateforme de cloud privé pour l’IA ?

Rajiv Ramaswami : Assez, oui. Vous savez, nous avons déjà un outil d’administration pour l’hébergement de LLM : Nutanix Enterprise AI, alias NAI. Il s’installe par-dessus n’importe quel Kubernetes, sert à déployer localement des LLM (d’Hugging Face ou de Nvidia), expose des API sécurisées sur lesquels peuvent se brancher des développeurs et leurs applications. Il gère les coûts, y compris les tokens que vous refacturez, surveille l’utilisation des ressources, filtre les accès, etc. Cet outil est complémentaire de notre plateforme de cloud privé.

Mais en ce moment, nous travaillons à proposer une plateforme clés en main qui doit permettre d’exécuter la pile AI Enterprise de Nvidia. C’est-à-dire qu’AOS est certifié pour les technologies Nvidia. Mais ce qui est nouveau pour nous est de faire valider que Cloud Native AOS est capable d’exécuter les applications d’IA qui s’exécutent en containers grâce au framework AI Enterprise de Nvidia.

Nvidia certifie au fur et à mesure sa suite sur des solutions Kubernetes, de stockage. Nous sommes dans tous ces programmes. Cela dit, vous pouvez déjà exécuter par-dessus AOS un autre Kubernetes précédemment validé par Nvidia.

J’insiste sur le fait qu’il s’agit de certifier notre plateforme pour faire de l’inférence avec la suite AI Enterprise de Nvidia. L’entraînement des modèles d’IA, en revanche, n’est pas notre marché.

LeMagIT : votre solution de virtualisation supporte déjà les GPU de Nvidia. Mais seulement eux. Est-ce à dire que seule la suite AI de Nvidia sera supportée sur AOS ?

Rajiv Ramaswami : C’est vrai. Pour l’instant en tout cas. Nvidia est de loin le numéro 1 dans son domaine. En IA, d’autres plateformes applicatives arrivent, notamment dans l’Open source. Mais la solution AI Enterprise de Nvidia est la plateforme de facto pour bâtir des applications d’IA. C’est eux qui ont fait tout le travail, c’est leur plateforme que tout le monde veut utiliser.

LeMagIT : En parlant de support, il est désormais possible d’utiliser votre plateforme AOS avec les baies externes PowerFlex de Dell et, bientôt, FlashArray de Pure Storage. Y en aura-t-il d’autres ?

Rajiv Ramaswami : Nous l’espérons. Mais ce sont des projets qui prennent du temps. Il faut déjà que nous nous mettions d’accord avec un fournisseur de stockage pour que ce soit possible. Cela implique des investissements en développements conjoints, que nous travaillions ensemble, que nous testions ensemble la solution.

« Il s’agit d’un enjeu récent : celui de faciliter la migration des entreprises depuis VMware. Historiquement, ce n’était pas notre modèle. »
Rajiv RamaswamiPDG, Nutanix

Il ne suffit pas de claquer des doigts, chaque solution de stockage est différente. Et nous ne pouvons pas nous contenter du travail qui a été fait avec Dell et Pure Storage pour simplement décliner notre compatibilité à d’autres baies de stockage.

Il faut comprendre qu’il s’agit d’un enjeu récent : celui de faciliter la migration des entreprises depuis VMware. Historiquement, ce n’était pas notre modèle. Nous allions voir les entreprises et nous leur proposions de passer à l’hyperconvergence, c’est-à-dire remplacer leurs baies de stockage par notre solution. C’était un projet en soi que nous défendons toujours parce qu’il nous paraît le plus efficace.

Mais soudainement est arrivée la… situation actuelle de VMware. Situation dans laquelle les entreprises sont accaparées par la volonté de quitter VMware. Elles ne veulent pas tout chambouler en même temps. Elles ont des serveurs, elles sont des baies de stockage qu’elles veulent réutiliser pour minimiser les coûts de cette migration. Aux USA, l’entreprise Moody’s, par exemple, venait juste d’acheter des grandes quantités de baies PowerFlex lorsqu’elle a compris qu’elle devait quitter VMware. Ce sont des baies qu’elle doit garder cinq ans.

De fait, ces entreprises nous demandent juste que nous remplacions l’hyperviseur de vSphere par une solution Nutanix. C’est inédit, parce que, auparavant, vous ne remplaciez pas juste l’hyperviseur. Les clients venaient nous voir pour changer complètement la solution.

LeMagIT : Concrètement, cela coûte combien de fois moins cher de passer à Nutanix plutôt que rester chez VMware ?

Rajiv Ramaswami : Ça dépend, c’est très variable d’un client à l’autre. Disons que si vous passez à l’hyperconvergence, vous économisez 30 à 40 % sur le coût de possession. Moins si vous conservez vos baies de stockage. Globalement, si nous n’étions pas moins chers que VMware, personne ne migrerait vers Nutanix. Donc nous sommes systématiquement moins chers.

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