Bouygues Telecom injecte l’IA générative et agentique dans sa relation client
Pour transformer la relation client en un centre de valeur, Bouygues Telecom embarque des assistants conversationnels dans son CRM Salesforce. Les premiers pilotes permettent de doubler l’efficacité. Mais l’opérateur ne mise pas sur un seul partenaire.
Bouygues Telecom fait face des injonctions en apparence contradictoires. Ses clients qualifiés sont toujours plus exigeants. Dans un même temps, il doit maîtriser ses coûts, standardiser ses opérations et augmenter le panier moyen de ses usagers.
En réponse, le groupe a engagé une transformation de sa relation client qui s’appuie sur l’intelligence artificielle générative.
Une double approche : autonomie client et collaborateur augmenté
Ce programme s’articule autour d’une double initiative. Premièrement, l’automatisation de la relation frontale. Deuxièmement, l’outillage de ses conseillers pour qu’ils gagnent en efficacité.
Pour faire aboutir cette démarche, l’opérateur français s’appuie sur son partenariat avec Salesforce. Bouygues Telecom est un utilisateur de longue date du CRM américain.
L’entreprise a signé, en mai dernier, un accord pour l’intégration d’Agentforce, la plateforme d’IA agentique proposée par l’éditeur dirigé par Marc Benioff. Ce n’est toutefois pas une relation exclusive.
À l’occasion d’une conférence de presse conjointe organisée le 3 novembre au technopole Bouygues Telecom de Meudon, Alain Angerame revendiquait une longue culture d’innovation au service de la relation client. Le directeur Relation Client & Expérience Collaborateur cite, par exemple, l’utilisation de manière industrielle des serveurs vocaux à base d’IA et des chatbots depuis 2017. Dès la fin 2022, l’arrivée des grands modèles de langage (LLM) était identifiée comme un changement de paradigme.
« Chez Bouygues Telecom, nous voulons créer une relation cliente d’exception. Pour cela, nous nous appuyons fortement sur l’innovation », assure le dirigeant.
Les promesses d’une entreprise agentique
Ainsi, Bouygues Telecom entend se doter d’agents conversationnels plus performants permettant au client d’être plus autonome (une autonomie synonyme de coûts moindres).
La première initiative s’est concentrée sur le consommateur. Pour tester la puissance des LLM, Bouygues Telecom a lancé un pilote en s’attaquant à « son deuxième Everest face nord », selon les termes de Simon Giraudy, responsable des outils de la relation client.
L’explication de facture est l’un des motifs de contact les plus fréquents et complexes avec l’assistance technique des box.
Résultat, l’agent « explicateur de facture » se serait montré « deux fois plus efficace » que les précédents chatbots. L’opérateur a par ailleurs observé une amélioration de la satisfaction client. Sur la base de ces indicateurs, le groupe a pris la décision de « passer à l’échelle ».
Pour outiller ses conseillers, Bouygues Telecom adopte la vision de Salesforce avec pour cap la concrétisation du concept de « conseiller augmenté ». L’approche promeut une vision où la technologie ne remplace pas l’humain, mais l’assiste pour le rendre plus pertinent et efficace.
Cette démarche est revisitée à l’ère de la GenAI et surtout de l’IA agentique. Ainsi, le conseiller augmenté de 2025 s’inscrit dans « l’entreprise agentique », décrite par Bruno Katz, le directeur général adjoint de Salesforce France.
Dans cette perspective, qui reste à concrétiser, les collaborateurs travaillent « main dans la main avec des agents IA ». Toutefois, ces agents ressemblent encore parfois fortement aux assistants IA des années précédentes, malgré un glissement sémantique.
L’enjeu, comme l’indique Simon Giraudy, est de trouver en permanence « le bon équilibre entre le digital et l’assistance humanisée ».
Bouygues Telecom fournit déjà à l’ensemble de ses conseillers une console client unique : B360+. La plateforme fédère plus de 10 000 collaborateurs, dont les 6 000 conseillers en centre de contact, 2 500 vendeurs en boutique et 3 500 techniciens sur le terrain.
L’opérateur intègre progressivement des fonctionnalités IA directement dans l’interface B360+. Ces outils, insiste l’entreprise, doivent répondre à des besoins opérationnels précis et améliorer de manière tangible la qualité, la fiabilité et l’efficacité au quotidien.
Synthèse intelligente et vision à 360 degrés du parcours client
L’une des premières applications embarquées dans le CRM a été la synthèse automatique des dossiers clients. Auparavant, pour comprendre le contexte d’un appel, un conseiller devait se lancer dans une investigation chronophage. Il devait cliquer entre différents écrans, parcourir des « demandes », des « notes » et des « actions » pour tenter de reconstituer manuellement le parcours d’un client. Désormais, l’IA analyse l’historique complet des interactions sur tous les canaux et génère un résumé unique, cohérent et concis. Le conseiller dispose d’une vue d’ensemble instantanée. Elle doit lui permettre de comprendre immédiatement la situation et d’adapter son discours, sans faire répéter le client.
Autre cas d’usage implémenté : l’assistant de rédaction de SMS et de courriels. Compte tenu du volume – « plus de 10 à 15 000 communications chaque jour » –, la qualité et l’homogénéité des écrits sont un enjeu majeur.
L’outil d’IA corrige l’orthographe, la syntaxe et met le texte en conformité avec la charte de l’entreprise. Ce projet a servi de « cas d’apprentissage ». Il a permis de se familiariser avec la technologie. De sécuriser « de petites victoires », avant de s’attaquer à des chantiers plus complexes, explique Simon Giraudy.
Parmi ceux-là figure Iris, un « agent » conversationnel interne. Plutôt un assistant IA connecté aux bases de connaissances du groupe. Chez un opérateur, l’information est dense, composée de centaines d’articles, de tableaux complexes et de procédures.
Iris, assistant du quotidien pour chercher l’information
Jusqu’à présent, les conseillers devaient explorer la base via une recherche par mots-clés. Ils déchiffraient manuellement des grilles tarifaires, intimidantes au premier abord. Surtout pour des conseillers débutants.
Avec Iris, ils obtiennent une réponse directe, précise et contextualisée en 10 secondes, en moyenne. Le temps de réponse est bien sûr un paramètre important, mais pas le principal.
Le prérequis non négociable avant le déploiement de l’assistance à la recherche était la fiabilité des données fournies aux utilisateurs. Sur ce volet, l’entreprise annonce un taux de précision de 95 %, validé par des équipes pilotes (un taux qui n’est pas valable pour l’intégralité des catégories composant la base de connaissances).
Il a toutefois été nécessaire au préalable de procéder à un nettoyage de la base de connaissances. Il s’agissait d’en améliorer la qualité et de la rendre plus consommable par un LLM.
Le choix du modèle de langage varie selon les cas d’usage. Bouygues Telecom mentionne spécifiquement les modèles GPT‑4o mini et GPT-5 d’OpenAI.
Iris est clé dans l’atteinte de l’objectif fixé par Alain Angerame. « Le plus important lorsqu’un client appelle un centre de contact, c’est d’avoir la bonne réponse du premier coup. » L’ambition de tout gestionnaire d’un centre d’appels est en effet de réduire au maximum la réitération d’appels – et donc les coûts.
Une conduite du changement axée sur la co-construction et l’adoption
Pour déployer ces outils, Bouygues Telecom dit rompre avec les pratiques habituelles. Plutôt que d’avancer « de PoC en PoC », l’entreprise a choisi de « se lancer dans le grand bain » en engageant une véritable « transformation ».
Cette approche repose sur la co-construction des fonctionnalités avec les équipes opérationnelles. Une rupture somme toute relative. En impliquant directement les conseillers, l’opérateur s’efforce de garantir la pertinence des solutions et de faciliter leur adoption.
Les équipes « outils » sont intégrées au sein d’une direction opérationnelle. Cela éliminerait la friction classique entre DSI et métiers, tout en assurant un alignement entre le développement et les besoins du terrain, détaille Alain Angerame.
Par ailleurs, le principal indicateur de performance suivi au lancement n’est pas le gain de productivité. Il s’agit du taux d’utilisation par les collaborateurs. L’outil doit d’abord entrer dans les habitudes.
Les conseillers sont ainsi appelés à utiliser systématiquement Iris et non à se reposer sur leur propre connaissance. Une manière de nourrir le système d’IA en multipliant les interactions, mais aussi de standardiser les modes de travail parmi les conseillers.
Au-delà de Salesforce, vers une IA plus proactive et vocale
L’ambition est de doter progressivement l’agent Iris de « super pouvoirs ». Au-delà du fait de fournir de l’information, il sera capable d’exécuter des actions à la demande du conseiller, automatisant ainsi des pans entiers de processus.
En outre, la migration prochaine de l’infrastructure des centres de contact vers Genesys Cloud (en lieu et place d’une version on-premise) permettra d’analyser les conversations en temps réel. L’IA pourra ainsi « écouter » l’échange et pousser proactivement des suggestions au conseiller, par exemple si des mots-clés comme « résilier » ou « changement de propriétaire » sont détectés.
Les projets en matière d’agentique ne se cantonnent pas non plus à l’écosystème Salesforce. Lors de la conférence IMA du 6 novembre sur les agents, Simon Giraudy témoignait ainsi de l’utilisation de la solution Dialogue d’Illuin Technology sur le domaine des serveurs vocaux interactifs.
L’application repose sur une architecture agnostique vis-à-vis des modèles de langage sous-jacents. Une caractéristique considérée comme un atout pour ne pas être « enfermé » dans une technologie et s’adapter au rythme effréné du marché de l’IA.
La solution conçue par Bouygues Telecom (en combinant Dialogue, Genesys Cloud, uh!live et Voxygen) est partie d’un prototype basé sur un LLM OpenAI, avant de basculer sur Gemini (Google) pour la mise en production.
Un service vocal conciliant automatisation et satisfaction
L’agent conversationnel vocal déployé a démontré des capacités fonctionnelles avancées. Il est capable de comprendre et de traiter plusieurs requêtes distinctes au sein d’une même conversation. Lors d’une démonstration, celui-ci a pu identifier une question sur la facture, une demande d’information pour un voyage et un signalement de problème de wifi.
En ce sens, l’agent se connecte directement aux systèmes d’information de Bouygues Telecom pour fournir des réponses précises et personnalisées.
Pour optimiser les temps de réponse – un paramètre critique sur un service vocal –, il est impératif de privilégier une architecture performante, prévient Robert Vesoul, CEO d’Illuin. Cela se traduit par l’utilisation de techniques de Retrieval-Augmented Generation (RAG) « assez simplifiées » et de connexions directes via des API aux systèmes d’information.
Les architectures plus complexes sont à réserver au canal « chat », qui tolère une latence plus élevée. Simon Giraudy fait état d’une déviation des appels vers l’agent vocal plus de deux fois supérieure à celle mesurée avec la solution précédente de SVI. Et ce, tout en bonifiant la satisfaction client. Les résultats ont été obtenus sur des flux de production réels et à grande échelle depuis juillet 2025.
Là encore, le projet a suivi un calendrier accéléré : préétudes en février/mars, deux mois de réalisation intensive, et une mise en production dès le début du mois de juillet. Cette approche est présentée comme un moyen de concrétiser rapidement la valeur et d’ajuster la solution en se basant sur des données réelles.
Les prochaines évolutions s’orientent déjà vers une spécialisation accrue. Il est envisagé de le segmenter en « sous-agents » experts, dédiés à des tâches spécifiques comme l’explication détaillée, la proposition d’offres commerciales (upselling) ou encore la gestion des demandes de remise.
La création de valeur comme boussole
La performance des projets d’IA n’est pas mesurée sous le seul prisme de la réduction des coûts. La vision de Bouygues Telecom est celle d’une création de valeur globale, en particulier grâce à la montée en gamme et à la vente croisée.
L’interface des conseillers est décomposée en différents onglets pour les guider dans les interactions avec les clients. Et ainsi pousser les bons produits, potentiellement via un moteur de recommandation.
Les initiatives menées par l’opérateur sont évaluées sur la base de différents critères. D’abord, il s’agit de baisser le taux de rappel de 25 % en assurant une résolution au premier contact. Ensuite, la fourniture d’une réponse rapide et fiable doit favoriser la fidélisation des clients. Enfin, en automatisant les tâches simples, les conseillers peuvent réinvestir les gains de temps dans d’autres actions.
Ainsi, Bouygues Telecom s’oriente vers une « redéfinition des rôles » et non une suppression de postes. La productivité est réinvestie dans la résolution de problèmes complexes et, surtout, dans la création de valeur par la vente et la fidélisation, des conversations pour lesquelles les conseillers n’avaient pas la bande passante afin de les mener, auparavant.
