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Dix ans d’IA chez CNP Assurances : de l’expérimentation à l’industrialisation

Fort d’une décennie d’existence, le Datalab de CNP Assurances s’est construit comme une « IA Factory ». Son responsable revendique une philosophie anti-hype et tournée vers la mise en production.

Le nom « Datalab » est hérité de ses débuts au sein de CNP Assurances, il y a 10 ans. Mais, malgré son nom, le département IA de l’assureur est orienté non sur l’expérimentation, mais sur le delivery de solutions d’intelligence artificielle.

Dans les faits, le Datalab tient donc plutôt de l’IA Factory, confirme son responsable au MagIT, Romain Méridoux. Et en une décennie d’existence, celui-ci a traversé nombre d’évolutions technologiques, des balbutiements du Big Data à l’avènement de l’IA générative.

Sur l’IA, « anti-hype » et priorité au « pragmatisme »

De cette expérience, le Datalab a tiré une philosophie « anti-hype » fondée sur le « pragmatisme ». Pour son patron, son succès tient à des principes fondateurs clairs, dont « une culture de la performance » et « une organisation pensée pour l’efficacité. »

Mis sur pied par Romain Méridoux, alors son seul membre, le Datalab compte désormais entre 20 et 25 collaborateurs à temps plein (externes compris). Il est rattaché depuis ses origines à la direction financière de CNP Assurances.

Dès sa création, le Datalab a fait le choix de se concentrer spécifiquement sur l’intelligence artificielle, un domaine alors émergent qui le distinguait des initiatives « data plus traditionnelles. » Les fonctions axées purement Data, dont la gouvernance, sont assurées par un Data Office et son CDO.

En 2025, le Datalab conserve donc son nom, tout comme son orientation tournée sur le delivery. Cette focalisation sur le « delivery » est un facteur clé de la pérennité et de la croissance de la structure, juge Romain Méridoux. Elle constitue aussi, selon lui, un critère d’attractivité dans un secteur très concurrentiel.

Le premier data scientist, recruté il y a dix ans, fait toujours partie de l’équipe. Il a été attiré, comme les autres, par « de beaux environnements », la garantie que les modèles « vont en prod » et l’accès à « de belles machines ».

Experts IA associés à des traducteurs business

Le Datalab ne se compose pas seulement de Data Scientists. Son « efficacité », il la fonde sur une organisation articulée autour de deux profils principaux. Les Data Scientists, mais aussi des chefs de projet ou project managers, présentés comme des « business translators ». Leur rôle est de faire le lien avec les directions métiers, de comprendre leurs besoins et de les accompagner sur tout le cycle de vie du projet.

Ce mode de fonctionnement aurait prouvé son efficacité pour transformer les besoins business en solutions d’IA concrètes, estime son instigateur. Une efficacité qui repose non seulement sur cette organisation interne, mais aussi sur des partenariats clés avec les métiers et la DSI.

L’industrialisation des projets d’IA n’est possible qu’à travers une collaboration bien définie entre le Datalab, les métiers et la Direction des Systèmes d’Information (DSI), assure Romain Méridoux.

Un partenariat proactif et financé

Ainsi, le Datalab opère comme un centre de services interne, avec une double dynamique : il répond aux commandes des métiers tout en étant proactif, c’est-à-dire en proposant des démonstrateurs ou de nouvelles solutions.

La priorisation des projets s’appuie sur un mécanisme simple : une contribution financière est demandée aux clients internes. Cette approche doit garantir le sérieux de la demande et l’engagement du métier à mener le projet jusqu’à son intégration finale.

« Une direction engage des ressources lorsqu’elle est réellement prête à porter le projet à terme. C’est un mode de sélection très efficace », souligne le responsable du Datalab.

La structure IA joue par ailleurs un rôle de facilitateur pour les métiers. Pour simplifier l’adoption, les chefs de projet assurent intégralement les tâches administratives et techniques : « les relations avec l’IT, la partie projet, les budgets, les plannings, la comitologie ». Les équipes métiers peuvent ainsi se concentrer sur leurs besoins fonctionnels et l’appropriation de l’outil IA.

La synergie avec la DSI : co-construire la maturité industrielle

Le partenariat avec la DSI s’est établi « très vite » et s’est « toujours révélé très productif ».

Il est qualifié aujourd’hui de pilier de la construction d’un modèle industriel. Pour fluidifier les mises en production, la DSI fournit des « guidelines » de code très strictes.

Ce cadre partagé permet au Datalab de livrer un code directement intégrable, évitant à la DSI de devoir « récupérer 1000 lignes de code à refactoriser ». Les responsabilités sont ensuite clairement partagées, pour assurer efficacité et rapidité.

Outre le respect des guidelines de code et du support fonctionnel sur le code, le Datalab assume l’ownership de la plateforme d’exposition des services IA. Il assure également la maintenance évolutive des modèles d’IA. La DSI, quant à elle, prend en charge le développement et la maintenance de la plateforme, en plus de l’intégration des modèles dans le SI.

Plus globalement, elle est responsable de la gestion et du support technique de l’infrastructure (dev, prod, serveurs de secours), de l’API-sation du SI et des composants développés par le Datalab pour leur intégration dans les applications métiers.

Une synergie forte existe également avec l’équipe DSI en charge de la RPA (Robotic Process Automation), car les bots développés utilisent fréquemment les API d’IA fournies par le Datalab pour automatiser les processus.

Une trajectoire technologique pragmatique

Loin de suivre les modes, le Datalab se veut guidé par des choix technologiques pragmatiques, pilotés par les besoins réels de l’entreprise et une vision à long terme.

Pour l’illustrer, Romain Méridoux prend l’exemple du Machine Learning lors de l’émergence du Big Data, c’est-à-dire du traitement de « grosses volumétries de données ». Les volumétries de CNP Assurances, bien qu’importantes, ne justifiaient pas les infrastructures complexes et coûteuses de type Hadoop. Ce choix a permis de concentrer les ressources sur le développement de compétences à forte valeur ajoutée.

« De nombreux acteurs du marché ont, à l’époque, investi dans des plateformes Hadoop, avant de constater que ces solutions n’étaient pas toujours adaptées à leurs besoins. Beaucoup réévaluent aujourd’hui ces choix. »

Adoption précoce des GPU et la souveraineté comme socle

Dès 2018, avec l’arrivée du Deep Learning pour des cas d’usage comme la lecture automatique de documents (OCR), le Datalab a identifié le potentiel des GPU. Des infrastructures dédiées ont été créées très tôt en partenariat avec la DSI.

Cette compétence interne est aujourd’hui considérée comme un atout stratégique majeur en termes de souveraineté et de maîtrise des dépendances technologiques.

Elle permet à CNP Assurances d’opérer des modèles de langage (LLM) et de vision (VLM) « on premise » sur des GPU de pointe (A100, H200) pour traiter ses données les plus confidentielles en toute sécurité.

API-fication systématique pour déployer à l’échelle

La quasi-totalité des modèles développés par le Datalab, y compris les modèles les plus complexes de Deep Learning, sont exposés via des API. Cette architecture facilite leur intégration dans le SI en partie fragmenté de CNP Assurances, qui compte plus de 200 partenaires.

La plateforme d’IA, supervisée par un outil de monitoring visuel développé en interne, enregistre plus de 25 millions d’appels à ses différents services.

Le Datalab a pu déployer une grande diversité d’applications « à fort impact ». Cet impact est mesuré au travers d’un portefeuille de solutions d’IA industrialisées couvrant plus de 200 cas d’usage comme le scoring et ciblage client, la lecture automatique de documents (LAD) et traitement intelligent des mails pour automatiser les actes de gestion et fluidifier les parcours client, le KYC ou encore les campagnes marketing personnalisées avec de la génération d’argumentaires sur mesure par l’IA générative.

Diwise : la filiale qui valorise l’expertise IA

Pour valoriser son savoir-faire en IA, CNP Assurances a créé en 2018 Diwise, une structure destinée à commercialiser les services du Datalab à des clients externes.

L’objectif principal de la filiale est « d’accompagner les partenaires » de CNP Assurances (qui opère essentiellement en B2B2C) en leur proposant cette expertise comme un « élément différenciant » dans les appels d’offres.

Diwise est opérée par les mêmes équipes du Datalab et de la DSI, mais sur des serveurs distincts pour garantir la séparation des environnements.

Composer avec la vague de l’IA générative

Face à l’émergence de l’IA générative, le Datalab a maintenu ses principes fondateurs. La GenAI est abordée « avec la même prudence et le même pragmatisme » pour se concentrer « sur la valeur réelle plutôt que sur les effets d’annonce. »

Pour Romain Méridoux, il s’agit encore et toujours de prendre du recul face aux « effets de buzz. L’exemple du “GPT Secured” est emblématique. Contrairement à de nombreux acteurs, qui se sont “précipités” pour développer un ChatGPT, le Datalab a choisi de temporiser.

« Nous ne l’avons pas fait à ce moment-là, car nous ne disposions pas d’indicateurs clairs de ROI. La réflexion reste ouverte et peut évoluer avec les usages et la maturité des solutions qui apparaissent.. » Cette stratégie était motivée aussi par la sortie anticipée de modèles open source. Sur la base de cette prévision, le Datalab a préparé l’internalisation de la GenAI, en commandant les GPU nécessaires.

Cette politique se justifie également par sa stratégie d’achat (le « Buy »). En termes de développement, le « Make », le Datalab se concentre sur le « très spécifique CNP Assurances ».

Pour ce qui est du « générique », il est laissé aux géants de la tech (GAFAM) et à l’écosystème open source. L’enjeu est double : intégrer cette nouvelle technologie pour gérer la dette technique (par exemple en modernisant des modèles de traitement de texte existants) et répondre à de nouveaux cas d’usage à forte valeur ajoutée.

Le Datalab entend changer d’échelle. Après avoir développé de nombreux microservices d’IA, il se tourne désormais vers la création de « produits d’IA complexes » et intégrés, avec une expérience « clé en main ».

Deux projets illustrent cette nouvelle ambition. « L’usine à score », une plateforme de scoring client avec une interface pour les conseillers, qui permet de filtrer les prospects et qui génère des argumentaires de vente. Et « la Doc Intelligence », un espace collaboratif basé sur l’IA générative.

Le « pilotage par la valeur » comme nouveau paradigme

En parallèle, la direction générale pousse à une généralisation des déploiements et à une concentration sur les projets qui présentent le plus fort ROI. Cette question, moins centrale qu’auparavant, car les déploiements étaient rapides et peu coûteux, revient sur le devant de la scène.

Le changement est motivé par des produits d’assurance plus complexes, dans une période de plus grande rigueur budgétaire. Mais aussi par « des exigences et des attentes plus fortes de la part des assurés et des collaborateurs ».

Cette évolution s’accompagne d’une prise de conscience : l’IA n’est pas une solution magique. « Elle n’est pas une réponse universelle à tous les défis d’un grand assureur. Elle est un levier parmi d’autres pour moderniser, transformer et ouvrir de nouvelles perspectives », prévient Romain Méridoux.

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