Nicolas Sekkaki, SAP France : "SAP a une vision, mais a souffert de problèmes d'exécution"

Garder le plan, changer le pilote. Transfuge d'IBM, Nicolas Sekkaki, nouveau directeur général de la filiale hexagonale de SAP, suit la ligne définie par Hasso Plattner, le co-fondateur toujours aux manettes. Et promet qu'à la faveur de quelques annonces l'éditeur est en passe d'inverser l'image qu'il a laissée ces derniers mois, une image d'immobilisme. Nicolas Sekkaki reconnaît toutefois que la société a souffert de difficultés internes, notamment dans la digestion de BO.

photo nicolas sekkakiVenu d'IBM Global Services pour remplacer Pascal Rialland à la tête de la filiale française, Nicolas Sekkaki, le nouveau directeur général de SAP France, a rejoint un premier éditeur européen en plein doute : errements sur le nouveau contrat de maintenance qui a distendu les relations avec les utilisateurs, recul des ventes de licences, doutes sur la capacité de SAP à innover, malaise social au sein de l'entreprise et, pour finir, départ express du Pdg, Leo Apotheker, remplacé au pied levé par le duo Jim Snabe-Bill McDermott.

Malgré ce contexte assez chaotique, c'est un Nicolas Sekkaki enthousiaste - "des étoiles pleins les yeux", dit-il - que nous avons rencontré. Il faut dire qu'après une année 2009 assez sombre - SAP France avait abandonné 10 % de son chiffre d'affaires à 468 M€ -, la filiale va mieux en ce début d'année. A 107 M€, le chiffre d'affaires progresse de 7 % sur un an. Mieux que la moyenne de l'éditeur dans le monde (+ 5 %). Même les ventes de licences sont reparties au vert (+ 1 %) pour la filiale hexagonale, montrant un début de dégel chez les donneurs d'ordre. Mais si Nicolas Sekkaki affiche sa confiance, c'est surtout, selon lui, en raison des produits que se prépare à dévoiler SAP. Explications à quelques jours de Sapphire, la grand messe annuelle de l'éditeur où ces annonces sont très attendues.

LeMagIT : Quelle interprétation faites-vous des derniers mois qu'a vécu SAP, une période pour le moins troublée ?

Nicolas Sekkaki : SAP est en pleine mutation. Depuis deux ans, la société est sortie de sa zone de croissance naturelle. Et on voit de fortes synergies apparaître entre les données et les ERP. C'est ce qui a présidé au rachat de BO, la première grande acquisition de l'histoire de SAP. Il faut maintenant que l'entreprise apprenne à réaliser les grandes intégrations qui résulte de ce type de rachats. Nous avons certes mis en place une organisation commerciale plus efficace - avec des commerciaux centrés sur des comptes et d'autres spécialisés sur des solutions -, mais l'intégration de BO n'est pas terminée. Il reste tout un potentiel à développer. Une acquisition ne doit pas se limiter à une juxtaposition de deux modèles, ou à une uniformisation, l'objectif doit être de développer des synergies. La base clients de BO renferme par exemple de nombreux interlocuteurs au sein des lignes métier, il ne faut pas perdre cette richesse de vue. En France, les ventes issues des produits hérités de BO représentent aujourd'hui 40 % du total. Notre objectif est d'atteindre plutôt 45 à 50 %.

LeMagIT : Suite au départ de Leo Apotheker, les analystes ont aussi largement évoqué l'hypothèse d'un rachat de SAP par un plus gros poisson...

N.S. : Sincèrement, cette hypothèse ne tient pas debout. SAP est en passe de sortir sur le marché des développements fantastiques en terme d'innovation. Au sein des labos, j'ai vu des choses éminemment "cool", très conviviales. Avec deux éléments très structurants pour l'avenir de SAP. Le cloud d'abord, avec une refonte du socle technologique de ByDesign. Et ça, c'est en train de sortir. In-Memory ensuite (stockage des données en mémoire vive, NDLR), qui est un vrai schéma de rupture, avec des performances multipliées par un facteur 10. Bien sûr, entre la vision et la capacité à mettre en œuvre, s'écoulent plusieurs années. Le marché ne percevra la puissance de ces innovations que quand nous en ferons la démonstration. Le prochain Sapphire (la semaine prochaine, NDLR) devrait donc changer la perception que le marché a de SAP. Bref, quand je considère ces éléments, je vois une entreprise qui sait ce qu'elle va devenir, même si elle a connu des problèmes d'exécution, notamment dans l'intégration de BO. Ceci dit, je pense que si SAP n'avait pas racheté BO, il aurait alors peut être pu devenir une proie.

LeMagIT : ByDesign est tout même associé à une histoire chaotique. SAP n'a-t-il pas commis des erreurs sur ce projet ?

N.S. : Des erreurs, non. Mais nous avons rencontré un problème. Placer un ERP sur le Cloud est loin d'être trivial, en termes techniques - avec des sujets autour de la sécurité, des infrastructures, des accès - et commerciaux, car c'est un changement de modèle économique. L'offre ByDesign est sortie, les premiers clients en sont satisfaits. Mais notre structure de coûts n'était pas la bonne : nous ne pouvions pas avoir des milliers de clients, car nous n'aurions pas pu suivre. Avec le changement de plate-forme technologique, nous allons maintenant pouvoir ouvrir les vannes : vous verrez qu'il y aura deux histoires pour ByDesign. Une avant et une après ce que nous allons annoncer dans quelques jours. Même si les vrais objectifs commerciaux autour de cette offre se situent plutôt à partir de 2011.

LeMagIT : Le phénomène du Cloud ne va-t-il pas cannibaliser une partie de votre marché traditionnel ?

N.S. : L''ERP couvrant les fonctions transverses ne partira pas dans le Cloud. Au contraire, ce dernier peut servir à développer des fonctions complémentaires. Mais pas seulement. Il peut aussi être exploité par des filiales de grands groupes à l'étranger, qui peuvent commencer par employer ByDesign par exemple, avant de migrer vers nos autres offres pour accompagner la croissance de leur activité.

LeMagIT : Quels sont vos objectifs pour la filiale en 2010 ?

N.S. : Au niveau mondial, l'objectif de la société se situe entre 4 et 8 % de croissance. Mon objectif pour la France figure dans la partie haute de cette fourchette, soit bien plus que la croissance prévue par Syntec Informatique pour le logiciel (2 %, NDLR). Sur les ventes de licences, la cible est même de croître de quelque 10 % sur l'année. Pour y parvenir, il me faudra actionner l'ensemble du porte-feuille d'offres et signer quelques contrats majeurs. Ces gros "deals" existent sur les autres marchés ; et la France n'est pas différente. A moyen terme, des opportunités existent. Parmi nos vecteurs de croissance, figurent également les secteurs que nous avons identifiés comme stratégiques : la distribution, le secteur public et la finance. Sur ce dernier, nous avons enfin cracké le code pour pénétrer sur ce marché qui nous résistait dans l'Hexagone. Au premier trimestre, notre chiffre d'affaires y a cru de 152 %. Suite à la crise, tous les établissements français ont engagé des réflexions sur leurs systèmes d'information. Des signatures de contrats vont suivre dans la consolidation financière, mais aussi dans la GRC ou l'ERP. A ces segments, s'ajoute l'enjeu que nous avons sur les PME-PMI, où nous souffrons d'un déficit d'image.

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