Aliaksandr Marko - stock.adobe.c
ERP : « C’est l’IA qui fera la différence en faveur du cloud »
Un des visages les plus connus de SAP est désormais conseiller spécial pour Workday. Dans la troisième partie de son analyse du secteur, il aborde le plus gros atout concurrentiel du SaaS sur le long terme : le Machine Learning infusé dans l’ERP, qui s’améliore avec le temps et les mises à jour régulières.
Franck Cohen, une des figures emblématiques de SAP en Europe depuis 10 ans, avait pris sa retraite. Mais l’appel de l’ERP et de son ami Chano Fernandez – co-PDG de Workday – auront été les plus forts. Franck Cohen a replongé. L’occasion pour nous – et pour tous les DSI – de profiter de son analyse à la fois pointue et synthétique sur le domaine.
Dans la première partie de cet échange exclusif avec LeMagIT, il revenait sur les raisons profondes qui font que les éditeurs historiques, dont SAP, peuvent avoir du mal se cloudifer. Dans la deuxième partie, Franck Cohen déchiffrait la stratégie qui a mené SAP à faire HANA, et l’évolution du marché de l’ERP pour les très gros groupes (dont l’essor de l’ERP Cloud)
Dans cette troisième partie, il nous explique que le cloud a un atout majeur dans sa manche, qui devrait lui assurer la victoire : l’Intelligence Artificielle (IA) et le Machine Learning (ML).
LeMagIT : Chez Workday, quels sont exactement votre mission et vos objectifs ?
Franck Cohen : Mon objectif c’est d’aider Workday, en particulier sur la partie ERP finances qui est plus ma « tasse de thé ». Honnêtement, sur la partie RH, ils n’avaient pas besoin de moi. Ils sont déjà un leader incontesté. Sur la partie finances, il faut reconnaître qu’il y a encore un challenge.
Franck CohenWorkday
Je participe aux réflexions sur le go to market – c’est-à-dire la partie exécution sur le terrain (commercial, marketing, conseils) au niveau global – sur la stratégie d’entreprise, sur les prix, sur l’évolution des modèles ou sur l’évolution géographique.
J’essaye aussi d’aider sur la partie qui était mon dernier « dada » chez SAP : le Machine Learning. Je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire dans ce domaine.
Et puis j’essaye d’aider les équipes commerciales en Europe à travailler sur les bonnes approches, et concrètement sur des dossiers clients et des discussions avec eux. On ne se refait pas (sourire).
LeMagIT : Pour vous Workday a le potentiel de devenir un nouveau SAP, le futur leader incontesté de l’ERP ?
Franck Cohen : Je ne vais pas cracher dans la soupe. J’ai beaucoup aimé le temps que j’ai passé chez SAP. C’est une superbe entreprise, avec de très bons produits, une profondeur dans certaines industries, encore inégalée. Alors je ne vais pas vous dire l’inverse aujourd’hui. Je considère juste que, d’un point de vue technologique, les solutions comme Workday – ou Salesforce, c’est un peu la même chose – ont une supériorité en termes d’agilité, de potentiel, de capacités de développement, de coûts de développement. Et tout cela est lié à leur genèse.
Mais une fois encore, je pense qu’il est extrêmement compliqué – beaucoup plus qu’on ne l’imagine – de faire table rase du passé. C’est presque impossible.
L’avantage concurrentiel du cloud
LeMagIT : Pour vous, le « cloud native » est donc central dans cette histoire ?
Franck Cohen : Je voudrais vous expliquer pourquoi je pense que le cloud, les « vraies » solutions cloud ont l’avantage. Tout le monde parle du TCO, de la facilité d’utilisation, d’installation. Il n’y a plus d’upgrades qui coûtent des dizaines de millions aux entreprises. Tout cela est tout à fait vrai. Mais à mon avis, le plus important n’est pas là : c’est la vitesse d’innovation que procure le cloud qui est crucial.
Franck CohenWorkday
Je m’explique. Dans les ERP à l’ancienne, il n’y avait pas grand-chose qui changeait. Si vous aviez six ou sept ans de retard par rapport à la dernière version, ce n’était pas fondamentalement gênant. Cela n’allait pas beaucoup jouer sur votre compétitivité. Les processus étaient les mêmes, les enjeux et les bonnes pratiques aussi. Donc beaucoup de clients chez SAP et Oracle ont développé des personnalisations à outrance et sont restés jusqu’à 10 ans en arrière. Il y a même des clients qui ont gelé leur ERP à l’instant T dans le passé.
Ce n’est plus envisageable aujourd’hui parce qu’il y a l’Intelligence Artificielle.
L’IA permet de créer des avantages concurrentiels en utilisant de nouveaux algorithmes, qui apprennent et qui deviennent meilleurs au fil du temps. Tous les calculs que vous aviez dans un ERP et qui étaient des choses statiques deviennent dynamiques et s’améliorent au fil du temps.
Résultats, votre prévisionnel est meilleur. Votre stock de sécurité est meilleur. Votre calcul de prix devient meilleur. Mais si tout cela s’améliore au fil du temps avec de nouveaux algorithmes tous les trimestres – ce qui est le cas aujourd’hui pour Workday – rester sur une version qui a sept ans de retard devient totalement impossible. Il va y avoir un vrai gap.
Je vous donne un autre exemple. Quand j’étais chez SAP, nous avions fait un outil à base de Machine Learning qui fait de la réconciliation bancaire. Pour certaines entreprises, c’était 80 000 heures par an. Nous sommes arrivés à automatiser cela à 99 %.
Quand ce genre d’outils va se démocratiser, vous ne pourrez pas rester en retrait. L’IA est un « game changer » dans l’industrie. Elle va bouleverser complètement la façon dont les ERP sont conçus, développés et utilisés. Et la meilleure façon de pouvoir s’adapter au fur et à mesure de nouveaux algorithmes, c’est le cloud.
LeMagIT : Pour vous c’est donc l’IA qui va tirer le cloud ?
Franck CohenWorkday
Franck Cohen : C’est là, je pense qu’il y a une vraie différence. En particulier avec SAP puisque la majorité des systèmes SAP qui sont vendus aujourd’hui dans l’ERP pour les grandes entreprises sont encore « on premise ». Ils ne pourront pas faire des upgrades permanents pour bénéficier de tout cela. Cela va gêner leur capacité d’innover.
C’est ce qui, pour moi, va faire la différence entre des solutions cloud et les solutions on prem, qui pour moi sont aujourd’hui difficile à maintenir.
C’était déjà vrai pour le CRM, les RH et le procurement. La partie finance a été un peu en retrait. Mais je pense que c’est la prochaine fonction à passer au cloud. Et c’est maintenant que cela se passe.
Dans la quatrième partie de cet entretien, Franck Cohen expliquera comment le Machine Learning peut s’adapter aux situations d’exceptions, sans forcément avoir besoin d’un apprentissage sur un gros historique, grâce à des algorithmes de « nouvelle génération ».