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L’ERP n’est pas encore si « cloud » que cela (Forrester)

Selon le cabinet d’analystes Forrester Research, moins de 50 % des nouveaux ERP déployés dans le monde le seraient dans le cloud. Et encore moins en France. Un chiffre qui tranche avec le marketing des éditeurs, mais qui s’explique par des ERP SaaS pas forcément tous très matures.

Les éditeurs d’ERP ne parlent plus que de cloud. Pour Oracle, SAP, Infor ou encore Workday (pour n’en citer que quelques-uns), le cloud aurait enfin décollé, notamment en France. Quant aux clients, ils se dirigeraient tous (ou presque) vers ces offres plus « flexibles », plus « simples », et « à la demande », trop heureux de laisser derrière eux leurs coûteuses infrastructures et la complexité des spécifiques qu’ils ont développés (que le cloud réduirait au passage drastiquement).

Pourtant, plusieurs associations d’entreprises et de DSI – à commencer par l’USF en France, son homologue allemande la DSAG, et plus encore le Cigref – ne semblent pas si séduites que cela à l’idée de confier totalement leurs socles applicatifs aux éditeurs et aux hébergeurs.

Alors ? Prise de pouvoir de l’ERP cloud ou continuité du règne du « sur site » ? Qui dit vrai ?

Pour le savoir, LeMagIT a posé la question à Liz Herbert, VP & Principal Analyst chez Forrester. Dans la première partie de cet entretien, l’analyste dresse un tableau tout en nuance des offres ERP – qui explique pourquoi il n’est, en fait, pas encore si cloud que cela (moins de 50 % des ventes actuellement seraient cloud).

Dans la deuxième partie, elle reviendra plus en détail sur les dynamiques des deux frères ennemis SAP et Oracle en France ; ainsi que sur la place qui reste aux éditeurs locaux (les « ERP du coin de la rue »), plus petits, mais qui auraient toujours une belle carte à jouer.

LeMagIT : Aujourd’hui, les éditeurs d’ERP parlent presque exclusivement de cloud et de SaaS. Mais est-ce la réalité du marché que vous voyez côté clients ?

Liz Herbert : À l’échelle mondiale, l’ERP cloud est en dessous des 50 % dans nos dernières données. Et ce chiffre ne concerne que les nouveaux achats d’ERP. Il ne comptabilise pas tout ce qui est déjà là, déjà déployé « sur site », que personne ne migre ou n’envisage de mettre à jour vers le cloud. Donc, même pour ces nouveaux achats, on est en dessous de 50 % de SaaS.

LeMagIT : C’est très intéressant parce que lorsque l’on échange avec Oracle en France, ou avec Infor en Europe, ils disent qu’ils vendent 100 % de cloud…

Liz Herbert : Et c’est vrai. Oracle ne vend plus que du cloud. Ils vendent rarement autre chose que du cloud, pas juste en France, mais partout dans le monde.

Mais il n’y a pas qu’Oracle sur le marché. Prenez SAP. Même s’il reste le numéro un mondial de l’ERP, SAP n’a pas cette même dynamique cloud. Ils vendent encore beaucoup de « sur site », même s’ils ont annoncé une stratégie pour aller plus fortement vers ce cloud. Mais ce n’est pas encore leur réalité d’aujourd’hui.

Au-delà de SAP, il y a de nombreux autres éditeurs – surtout si vous parlez des déploiements ERP de tailles moyennes (et de toute évidence, il y a beaucoup de ce type de déploiements en France). Les éditeurs dédiés au « midmarket » sont à différentes étapes de leurs transitions vers le cloud.

Prenons l’exemple de Sage. C’est un ERP très populaire en France – où ils ont d’ailleurs racheté une offre qui constitue toujours une brique importante de leur portefeuille [N.D.R. : Adonix devenu Sage X3]. Sage aussi va vers plus de cloud. Mais c’est un processus en cours. On peut citer Infor également, qui lui aussi est en route vers le cloud. Mais dans une récente communication financière, Infor indique qu’il ne fait « que », plus ou moins, 20 % dans le SaaS.

En gros, tous les éditeurs d’ERP parlent de SaaS et de cloud. Ils s’y dirigent tous. Mais il y a encore beaucoup de « sur site » un peu partout. C’est pour cela que ce ne peut pas être 100 % de cloud ; ce n’est même pas 100 % de cloud dans le monde pour les nouveaux contrats.

LeMagIT : Vous positionnez Infor comme un ERP pour les PME et les ETI (le Midmarket) ? Cela signifie-t-il que SAP et Oracle sont, encore et toujours, les deux seuls ERP adaptés au marché des grandes entreprises et des groupes internationaux ? Avec Workday peut-être ?

Liz Herbert : Oui, SAP et Oracle sont toujours les principaux ERP pour les très grandes entreprises. Workday cible aussi ces grands groupes, mais ce n’est pas un ERP à part entière dans certains secteurs. Dans l’ensemble, Workday continue de travailler pour s’étendre au-delà du SIRH (dans des domaines comme la gestion financière ou la gestion des achats et de l’approvisionnement).

Après, beaucoup d’autres ERP sont présents dans les grandes entreprises, mais pas au même niveau que SAP ou Oracle. On peut citer Infor et Microsoft par exemple. Il ne faut pas oublier que les très grandes entreprises ont rarement un seul ERP. Elles peuvent aussi s’appuyer sur des produits plus adaptés à des PME pour gérer une de leurs divisions en particulier ou une de leurs régions.

LeMagIT : Y a-t-il de grandes différences de maturité entre les pays pour l’ERP cloud, et qu’en est-il du marché français en particulier ?

Liz Herbert : La France va plus lentement vers le cloud que le marché américain, que le Royaume-Uni ou que les pays nordiques. Mais une fois encore, même dans des pays comme les États-Unis où le SaaS est en train de décoller, ce serait une erreur de croire que tout ce qui y est déployé aujourd’hui l’est dans le cloud.

Donc c’est encore moins vrai en France où le SaaS est beaucoup moins mature que sur ces marchés.

LeMagIT : Et pour le marché des PME et des ETI ? Les éditeurs comme NetSuite sont 100 % cloud. Y a-t-il une dynamique plus importante pour l’ERP cloud sur ce segment, en France en particulier ?

Liz Herbert : En 2019, NetSuite a organisé SuiteWorld, leur événement phare, à Paris. C’est un signe. Et ils revendiquent une très bonne progression en France.

NetSuite est une solution cloud très mature ; ils existent depuis plus de 20 ans. Leurs capacités multilingues sont très solides. Et depuis qu’Oracle les a rachetés en 2016, ils ont aussi une présence beaucoup plus forte partout dans le monde, dont la France. Ils progressent bien. Mais le segment des PME et des ETI est un environnement super compétitif, dans le monde et en France.

En France, vous avez par exemple Infor, IFS – qui est très populaire en Europe – ou Microsoft (dont l’offre ERP est, elle aussi, en train d’aller vers le cloud). Il y a beaucoup, beaucoup de monde sur ce marché des PME et des ETI. J’ai déjà évoqué Sage.

Ce segment de marché des PME est beaucoup plus fragmenté en termes d’achats d’ERP. Et cela a un impact sur l’adoption du cloud.

LeMagIT : Ce que vous dites part du point de vue de « l’offre ». Qu’en est-il de la maturité du marché français pour l’ERP cloud (y compris pour le midmarket) du côté « acheteurs » ? Il y a une anecdote derrière cette question. L’année dernière, à Paris, le fondateur et Exécutive Vice-President de NetSuite (Evan Goldberg) a fixé des objectifs cloud élevés à son équipe française. Un responsable local a tenté de modérer son enthousiasme. Il était beaucoup plus prudent sur ce qu’il savait pouvoir réaliser sur le marché français. Il a clairement dit que de nombreuses PME françaises – en dehors des startups – voulaient garder leurs serveurs dans leurs quatre murs. Il a résumé la situation avec une plaisanterie en disant : « [les DSI des PME] sont assis sur leurs serveurs, et certains couchent même avec eux ». Vous confirmez cette volonté de garder la main sur l’IT, en local ?

Liz Herbert : Oui, mais c’est vrai partout. L’ERP n’est pas l’une des catégories qui ont le plus fortement évolué vers le cloud. Et encore une fois, même aux États-Unis où le cloud est très répandu, vous voyez encore une propension à déployer des systèmes ERP sur site dans certains cas.

Il y a aussi d’autres facteurs. Par exemple, avec SAP – en dépit de leur orientation cloud revendiquée – la version sur site (ou en cloud privé) de S/4HANA est plus flexible. Elle a plus de fonctionnalités. Pour moi, il y a aussi un solide compromis à faire du point de vue de la solution [en allant dans le cloud]. Bien qu’Oracle soit 100 % cloud aujourd’hui, ce n’est pas le cas de tous les grands éditeurs d’ERP.

LeMagIT : D’ailleurs est-ce un risque pour Oracle ? Comme vous le dites, les clients ne veulent pas tous nécessairement aller dans le cloud…

Liz Herbert : Je ne crois pas. Ce que fait Oracle est intéressant.

Tout d’abord, si vous regardez Salesforce ou Workday, ils ont des atouts uniques. Ils ont une seule version de leurs outils – ce qui aide les clients à partager les bonnes pratiques. Cela aide aussi ces éditeurs à accélérer et mieux diffuser l’innovation. Pour être clair, il y a des avantages à être cloud. C’est d’ailleurs pour cela que bon nombre des nouveaux éditeurs sont totalement cloud, comme Workday, Salesforce, Coupa ou ServiceNow. Et il existe plein d’autres exemples d’éditeurs de nouvelle génération qui sont « 100 % cloud ».

En ce qui concerne Oracle, ils ont fait des investissements pour commencer à proposer des choses comme le cloud privé. Si vous regardez un acteur comme Salesforce – qui a un succès fort respectable en France – il a fait en sorte que les entreprises françaises puissent hoster sa solution dans un datacenter d’un partenaire local.

Oracle, lui, va encore plus loin puisqu’il propose une option en cloud privé. C’est presque toujours le modèle SaaS – ce n’est pas du sur site – et c’est une option de plus qu’avant.

Il y a aussi des tendances plus larges qui émergent sur le marché du SaaS, comme le passage aux conteneurs qui ajoutent de la flexibilité aux déploiements.

Alors, être 100 % cloud est-il un risque pour Oracle ? Pas vraiment. De plus en plus, le monde du logiciel prend cette direction. Et au fil du temps, le cloud est de plus en plus accepté, même dans les pays où il est plus lent à s’imposer, comme la France.

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