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Covid-19 : le confinement rebat les cartes de la gestion de projet

Depuis plusieurs semaines, les entreprises essayent de maintenir coûte que coûte leur activité avec un recours massif au télétravail. Les outils de collaboration et de gestion de projet obsolètes cèdent la place aux solutions 100 % cloud.

Jamais les entreprises n’avaient demandé à autant de leurs collaborateurs de travailler à distance. Pour travailler, les employés confinés se sont tournés soit vers des solutions de collaboration mise à disposition par les entreprises – via leur VPN – soit vers des solutions cloud.

Dès la fin du mois de mars, Microsoft annonçait par exemple que l’usage de ses services cloud avait bondi du fait du confinement. Le service de visioconférence Zoom passait de 10 à 200 millions d’utilisateurs. Et même le vétéran WebEx a vu son trafic multiplié par 3 à 4 sur la zone Asie alors que l’épidémie du Corona Virus prenait de l’ampleur en Chine.

Quand confinement rime avec Shadow-IT

Pour Arnaud Rayrole, directeur général du cabinet de conseil Lecko, il ne faut plus parler de télétravail, mais de travail distribué.

« La première difficulté que rencontrent nos clients dans le pilotage de leurs activités est de travailler dans une organisation distribuée. C’est très différent que de travailler dans une organisation classique avec seulement quelques collaborateurs en télétravail. Ceux-ci doivent pouvoir travailler à distance de manière durable, dans une organisation comparable à celle des entreprises qui n’ont pas de bureaux physiques », analyse-t-il.

« Recréer les méthodes de collaboration du passé sur des outils modernes n'a pas de sens. »
Arnaud RayroleLecko

Les managers « à l’ancienne » seraient déstabilisés de ne plus voir leurs collaborateurs physiquement présents pendant les heures de bureau et ceux-ci ne peuvent plus fluidifier l’activité avec des échanges informels.
« La situation exceptionnelle que nous connaissons a fait que, dans les premiers jours, les collaborateurs ont été un peu laissés à eux-mêmes. Par la force des choses, les équipes ont dû s’autosaisir de nouveaux outils et de nouvelles méthodes pour travailler ensemble ». Le succès éclair de Zoom s’explique par ce phénomène – y compris parfois dans les entreprises qui disposaient de licences Office 365 leur permettant d’utiliser Skype Entreprise.

Ce choix illustre aussi le fait que les solutions gratuites et cloud sont souvent plus simples à mettre en œuvre que les solutions proposées par la DSI. « Beaucoup de grandes entreprises sont relativement mal équipées en termes de Digital Workplace, avec des solutions peu accessibles de l’extérieur », ajoute Arnaud Rayrole.
« Les collaborateurs sont placés dans l’incapacité de communiquer, ce qui pousse leurs managers à se tourner vers le Shadow-IT pour collaborer à minima avec leurs équipes. C’est l’amplification d’un phénomène qui existe depuis plusieurs années. Et plus une entreprise est en retard dans son équipement, plus ce phénomène est développé ».

Arnaud Rayrole estime par ailleurs que si on se focalise aujourd’hui beaucoup sur les services de nouvelle génération – comme Zoom, Microsoft Teams ou Slack – l’entreprise doit fournir un triptyque composé d’une digital workplace efficiente, d’une messagerie d’équipe pour assurer la productivité au quotidien et enfin un RSE (Réseau Social d’Entreprise) pour maintenir la cohésion à l’échelle de la société.

« Nous le mesurons aujourd’hui chez nos clients, le réseau social d’entreprise est aujourd’hui énormément utilisé par les collaborateurs depuis chez eux. Les gens ont besoin de lien, ils ont besoin d’informations de la part de leur management. Seul le RSE permet aux collaborateurs de participer à des communautés de plusieurs centaines de personnes et de socialiser à l’échelle de l’organisation, ce qui n’est pas possible sur des outils plus orientés sur le travail en équipe comme Slack ou Teams ».

Vers une adoption éclair des méthodes agiles par tous

Toujours pour le responsable de Lecko, les entreprises ne doivent pas chercher à transposer les méthodes d’organisation et de travail habituel dans ce contexte distribué. Elles doivent changer la façon de travailler, notamment en s’inspirant des méthodes de travail agiles – comme se structurer autour du flux de Kanban.

« Il faut interroger les utilisateurs de nouveaux outils pour leur demander comment ils l'utilisent et s'inspirer de leurs usages pour aller vers de nouvelles méthodes de collaboration. »
Arnaud RayroleLecko

« Pour schématiser, une gestion de projet classique se matérialise au niveau des outils par la mise en œuvre d’une gestion documentaire collaborative et d’un planning partagé. La version agile s’appuiera sur une gestion d’équipe de type Teams ou Slack, avec un flux de Kanban de type Trello ou Microsoft Planner. Ce sont deux univers différents, et donc deux familles d’outils différentes ».

Néanmoins, pour l’expert, ce serait une erreur de croire que l’outil va guider l’usage. « Ce n’est pas parce que vous utilisez Teams, Yammer ou Trello pour porter votre flux de Kanban que votre équipe va être efficace. Depuis des années de nouveaux outils apparaissent dans les environnements de travail, mais les équipes ne prenaient pas le temps de réfléchir à la manière dont il fallait repenser l’activité elle-même ».

Arnaud Rayrole donne l’exemple type de l’animation des réunions : un événement du quotidien en entreprise dont personne ne remet en cause le format, bien que l’efficacité soit parfois très discutable. « Faire perdurer ces pratiques à distance sur Zoom ne sera pas plus efficace. Des outils comme Klaxoon ou Yello permettent par exemple d’ajouter un tableau blanc virtuel où chacun peut poser ses Post-It, interagir en mode asynchrone et prendre la parole lorsque l’animateur lui donne ».

Si le surcroît de trafic annoncé par Microsoft sur ses services cloud semble indiquer que les entreprises qui ont fait le choix d’Office 365 ont vu les usages de Teams exploser, Arnaud Rayrole estime que la plateforme ne répond qu’à 80 % des besoins. Et que les offres best-of-breed sont pertinentes dès lors que les utilisateurs se heurtent aux limites des outils Microsoft.

Mentimeter
Mentimeter, un outil de feedback pour animer différemment les réunions

Alex Gon, fondateur de DC Consultants a la même analyse. « Les entreprises ont utilisé en priorité les outils dont elles disposaient déjà. Beaucoup avaient déjà Office 365 et donc Teams, et c’est une chance pour elles aujourd’hui », commence-t-il. Pour le Coach Agile, les suites de Microsoft ou de Google sont intéressantes en tant que points d’entrée uniques à divers services en ligne (OneDrive et SharePoint côté Microsoft, Google Drive côté Google).
Mais Alex Gon souligne que pour aller au-delà du simple partage de fichiers, les entreprises doivent s’intéresser à une solution de partage du savoir – à l’image de Confluence d’Atlassian, éditeur bien connu dans l’agilité avec Jira et son offre plus grand public Trello.

« Cette plateforme de Knowledge Management est facile à utiliser et accessible de partout. Si l’entreprise est ouverte au cloud, le déploiement se réalise en quelques clics, et partager des informations est ensuite aussi rapide qu’avec Teams ». Cette solution SaaS cultive effectivement une grande simplicité de mise en œuvre avec de nombreux modèles à déployer pour des tâches qui vont bien au-delà du développement agile.
Confluence peut être utilisé par une équipe marketing, des concepteurs produits et même jouer le rôle d’intranet pour les petites structures. Et des intégrations entre Confluence et Teams ou Slack existent, sans oublier l’écosystème d’Atlassian et sa marketplace d’extensions.

D’autres outils peuvent se montrer utiles lorsque le manager veut organiser une réunion en visioconférence avec son équipe, ou pour animer des ateliers de travail ou des sessions de formation. Des solutions de tableaux blancs partagés facilitent les échanges dans des salles virtuelles via des solutions telles que Miro ou encore celle du Français iObeya.

« Dans la phase d'urgence, plusieurs de nos clients se sont tournés vers Trello pour basculer en télétravail sans attendre que leur entreprise n'ait eu le temps de leur mettre des solutions à disposition. »
Alex GonDC Consultants

« L’interface d’iObeya a récemment été modernisée. Cela me permet d’animer des séances d’idéation dans le cadre de la méthode Lean Startup, où chacun accroche ses Post-It et où l’animateur donne la parole à chacun », explicite Alex Gon qui cite un autre service Mentimeter, pour générer de l’interaction dans une salle virtuelle et obtenir des feedbacks lors d’une formation. « Il faut animer différemment les sessions, mais l’outil est très efficace ».

Qui seront les gagnants de la crise ?

Pour la gestion de projet, les services tels que Trello, Monday.com ou Wrike sont apparus pour de nombreux managers comme une alternative possible lorsque tous les membres de leur équipe ne disposaient pas d’accès VPN. « Dans la phase d’urgence, j’ai vu plusieurs de mes clients s’intéresser à Trello notamment pour l’utiliser en monde “hack” et travailler à distance dès les premiers jours sans attendre que leur entreprise n’ait eu le temps de leur mettre des solutions à disposition pour des raisons de sécurité notamment », avance Alex Gon.

Outil très accessible, même pour le grand public, Trello n’est pas limité en nombre de membres et peut héberger jusqu’à dix tableaux d’équipe en version gratuite. C’est donc assez naturellement que les collaborateurs se sont tournés vers ce service. Dans le contexte d’une grande entreprise amenée à gérer de multiples projets dans le cadre de gros programmes, Jira sera plus adapté, à la nuance près qu’Atlassian propose aussi une version « light » de Jira baptisée Jira Core, une version a priori suffisante pour gérer le travail d’équipes de commerciaux, par exemple.

Dans ce riche paysage des solutions de collaboration dans le cloud, Monday.com joue une partition un peu différente : celle de la solution « one-stop shopping » intégrant toutes les fonctions de gestion de projet et de collaboration sur une même plateforme.

« Par rapport aux solutions de gestion de projet best of breed, le positionnement de Monday est d’offrir une solution polyvalente, capable de s’adapter aux entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d’activité [avec] un espace de travail beaucoup plus complet que par le passé », argumente Jeanne Ndiaye, ingénieur d’affaires chez Synolia en charge de l’offre Monday.com. Synolia est partenaire Monday.com pour la France depuis 2 ans et compterait aujourd’hui plus de 500 clients sur les 1 500 entreprises qui utilisent Monday.com en France (dont le Groupe Bertrand ou Danone).

« Difficile de dire si cette crise sonnera la fin du sur site. Mais elle donne un sacré coup de fouet aux solutions cloud. »
Alex GonDC Consultants

La Web Agency dit avoir été très sollicitée par les entreprises utilisatrices de Monday.com afin de provisionner rapidement de nouveaux comptes pour faire face au confinement. À l’occasion de la crise, de nouveaux templates ont été mis en ligne par l’éditeur pour faciliter la généralisation rapide du télétravail dans les équipes. Des modèles qui sont venus compléter une bibliothèque où l’on trouvait déjà des tâches dans de multiples activités comme le marketing, RH, finance, etc.

Le confinement, le coup de grâce pour la collaboration « sur site »

Le confinement marque-t-il l’avènement définitif de ces offres de collaboration et de gestion de projet SaaS ? Pour Alex Gon, l’heure est désormais à l’ouverture. « Les solutions de collaboration se doivent aujourd’hui d’être accessibles de partout. Les solutions cloud sont certainement celles qui permettent de le faire le plus facilement.

Les solutions qui requièrent des VPN restent plus complexes et onéreuses à déployer, et l’entreprise doit disposer des moyens de sécurité nécessaires à la mise en œuvre d’une solution intranet. Difficile de dire que cette crise sonnera la fin du on-premise. Mais celle-ci donne un sacré coup de fouet aux solutions cloud, c’est certain ».

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