Télécoms : Free lance une fibre à petit prix pour les petits pros

L’opérateur Free – ou plutôt sa société cousine Jaguar Network – part à la conquête des entreprises avec une offre à 50 €/mois. Plus que chambouler Orange, elle devra se faire une place sur un marché TPE déjà très fourni.

L’opĂ©rateur national Free fait son entrĂ©e dans le monde B2B avec une offre Fibre dĂ©diĂ©e aux entreprises et tarifĂ©e Ă  partir de 49,99 â‚¬ HT/mois. Un prix d’appel de 39,99 â‚¬ HT/mois est proposĂ© la première annĂ©e. Selon Xavier Niel, le patron de Free, cette offre est censĂ©e casser les prix sur un marchĂ© oĂą les entreprises sont supposĂ©es acheter trop cher leurs abonnements fixes Ă  Orange Pro et SFR Business.

« Notre stratĂ©gie est de toujours diviser les prix existants par deux. Nous avons regardĂ© les offres pros existantes, nous les avons Ă©valuĂ©es Ă  un peu plus de 100 â‚¬ par mois. Donc, nous avons travaillĂ© pendant trois ans Ă  concevoir une offre deux fois moins chère qui s’adresse Ă  toutes les entreprises. Nous avons conçu un second rĂ©seau, pour que le rĂ©seau des pros n’interfère pas avec celui des particuliers. Et nous avons créé une nouvelle box, parce que les besoins des professionnels ne sont pas les mĂŞmes que ceux du grand public Â», lance Xavier Niel dans un communiquĂ© vidĂ©o qui fait la part belle Ă  l’innovation autour de la Freebox dĂ©diĂ©e Ă  cette offre.

Un marchĂ© dĂ©jĂ  adressĂ© par 50 gros opĂ©rateurs alternatifs

L’information manquante dans ce communiquĂ© est qu’environ 50 gros opĂ©rateurs tĂ©lĂ©coms alternatifs adressent dĂ©jĂ  les entreprises françaises Ă  l’échelle nationale – ils sont environ 2 000 si l’on compte aussi les petits opĂ©rateurs locaux. Leurs offres et leurs accompagnements sont plus abordables que ceux d’Orange et SFR, lesquels ont la rĂ©putation de tailler leurs services pour les grands groupes et les administrations. Parmi ces opĂ©rateurs B2B alternatifs, ICOW Systems et Netalis Ă©mettent des rĂ©serves polies concernant l’offre de l’opĂ©rateur national :  

« Si les acteurs B2B, dont fait partie ICOW, prennent des parts de marchĂ© aux opĂ©rateurs historiques, c’est parce qu’ils se distinguent davantage par la qualitĂ© des services fournis que par un prix bas. Â»
David CoironPDG ICOW Systems

« Le prix peu Ă©levĂ© semble ĂŞtre le principal argument mis en avant par Free pour se faire une place sur le marchĂ© B2B. Autant cela lui a permis de gagner des parts significatives en B2C et de bousculer les acteurs en place, autant je ne suis pas sĂ»r que ce soit un argument aussi impactant sur le marchĂ© B2B. Si les acteurs B2B, dont fait partie ICOW, prennent des parts de marchĂ© aux opĂ©rateurs historiques, c’est parce qu’ils se distinguent davantage par la qualitĂ© des services fournis que par un prix bas Â», indique au MagIT David Coiron, le PDG d’ICOW Systems.

« Nous ne sommes pas surpris par cette offre que le marchĂ© attendait depuis longtemps Â», ajoute Nicolas Guillaume, le prĂ©sident de Netalis. « Mais la proximitĂ© d’un grand acteur reste Ă  dĂ©montrer face Ă  des acteurs rĂ©gionaux, capables de rĂ©agir avec une palette de services bien plus large. Â»

Ils pointent que, plus qu’un abonnement au tarif attrayant et un équipement pimpant, les entreprises ont surtout besoin qu’on les accompagne pour résoudre des problèmes qui n’existent pas dans le grand public. Il s’agit par exemple de gérer la qualité de service de chaque flux pour que les conversations téléphoniques des uns ne soient pas hachées par les téléchargements des autres. Elles ont aussi besoin que l’opérateur se mobilise pour résoudre une panne dans les plus brefs délais, car, en entreprise, une interruption de service n’est pas seulement incommodante, elle est aussi pénalisante pour le chiffre d’affaires.

« Cette offre devrait certainement permettre Ă  Free de se faire une place sur le segment des artisans/commerçants, professions libĂ©rales et TPE. Mais je pense que ce sera plus difficile sur les sociĂ©tĂ©s de taille importante et ayant des infrastructures rĂ©seau plus Ă©voluĂ©es Â», ajoute David Coiron en faisant rĂ©fĂ©rence Ă  une offre d’entrĂ©e de gamme.

Une connexion FTTH grand public difficile à dépanner rapidement

Outre un prix attractif, l’offre Free Pro comprend une Freebox spĂ©ciale, qui fonctionne avec une ligne FTTH domestique. Capable d’atteindre des dĂ©bits de 7 Gbit/s en rĂ©ception et 1 Gbit/s en Ă©mission, elle dispose surtout d’un stockage interne de 1 To utilisable comme un NAS, d’un modem 4G externe qui prend le relais en cas de dĂ©faillance sur la connexion fibre et d’une carte d’autodiagnostic qui remonte automatiquement les incidents au service support de Free. Il est Ă  noter que la SIM du modem 4G de secours ne fonctionnera Ă  pleine vitesse que jusqu’à 100 Go de donnĂ©es tĂ©lĂ©chargĂ©es. Au-delĂ , son accès sera ralenti jusqu’à la fin du mois.

Rappelons qu’une fibre FTTH est mutualisĂ©e : les dĂ©bits annoncĂ©s sont un maximum non garanti qui dĂ©pend de l’activitĂ© des autres clients de l’opĂ©rateur alentour. « Il n’y a que ce type de fibre qui permette des offres Ă  moins de 100 â‚¬/mois. Pour bĂ©nĂ©ficier d’un dĂ©bit garanti, il faut passer Ă  une fibre FTTO, qui raccorde directement et exclusivement une entreprise au point de prĂ©sence de l’opĂ©rateur Â», indique Nicolas Guillaume, en rappelant que l’avantage supplĂ©mentaire d’une fibre FTTO est que son dĂ©bit montant est Ă©gal Ă  son dĂ©bit descendant.

L’inconvĂ©nient d’une fibre FTTO est en revanche qu’elle suppose des frais et des dĂ©lais de raccordement plus importants. Chez les opĂ©rateurs B2B alternatifs, cet inconvĂ©nient est compensĂ© par un engagement de l’opĂ©rateur Ă  rĂ©parer toute panne en moins de quatre heures, ou Ă  reverser des indemnitĂ©s Ă  son client tant qu’il n’y parvient pas.

Il y a un an, Nicolas AubĂ©, le prĂ©sident de Celeste, qui ambitionne toujours de devenir le numĂ©ro 3 des opĂ©rateurs tĂ©lĂ©coms B2B derrière Orange et SFR, dĂ©clarait Ă  ce sujet au MagIT :

« La fibre FTTH adresse des entreprises de moins de dix personnes, c’est-Ă -dire des TPE, des commerçants, des professions libĂ©rales. Ce n’est clairement pas notre marchĂ©. Celeste adresse des professionnels qui, en cas de panne, veulent avoir la garantie d’un redĂ©marrage de service en moins de quatre heures. Or, c’est impossible Ă  atteindre sur un rĂ©seau FTTH. Â»

Bouygues Telecom, qui tarde toujours Ă  faire son entrĂ©e dans le monde des entreprises, avait lui aussi annoncĂ© que ses offres B2B, quand elles seraient disponibles, seraient basĂ©es sur de la fibre FTTO.

Concernant le support, Free assure avoir mis en place un call center dĂ©diĂ©, en France. Joignables via l’ouverture d’un ticket sur le portail dĂ©diĂ©, les conseillers sont censĂ©s apporter une première rĂ©ponse Ă©crite en moins de 8 heures 7 jours sur 7, hors jours fĂ©riĂ©s et de 8h00 Ă  20h00. Ils interviendront Ă©ventuellement sur site dès le lendemain, s’il s’agit d’un jour ouvrĂ©, entre 8h00 Ă  18h00.

En option, l’opĂ©rateur propose un service de support plus classique pour 20 â‚¬ HT/mois supplĂ©mentaires. Cette fois-ci, un conseiller joint le client en panne par tĂ©lĂ©phone dans les deux heures après la dĂ©claration de l’incident. Free ne prĂ©cise pas dans quelle mesure un dĂ©pannage peut se dĂ©clencher tout seul suite Ă  une alerte envoyĂ©e par l’autodiagnostic de la Freebox Pro. En B2B, en effet, ces services d’autodiagnostic proposĂ©s par des fournisseurs comme HPE ou Pure Storage sont censĂ©s Ă©viter aux clients d’avoir Ă  ouvrir des tickets.

Signalons par ailleurs que Free propose Ă  ses clients de prendre une Freebox de secours, Ă  brancher au cas oĂą la première tomberait en panne. Cet exemplaire supplĂ©mentaire de l’appareil est facturĂ© 20 â‚¬ HT/mois.

Des fonctions de base

Parmi les fonctions intĂ©grĂ©es, la Freebox Pro offre un accès VPN pour connecter les collaborateurs distants au rĂ©seau interne, un second Wifi dĂ©diĂ© aux visiteurs (Free parle « d’invitĂ©s Â», comme dans les offres grand public), ou encore un firewall pour filtrer les malwares en provenance de l’extĂ©rieur. Citons aussi un chiffrement AES du stockage, pour compliquer la tâche d’un cambrioleur qui partirait avec la Freebox dans le but d’analyser son contenu.

Ce chiffrement n’évite en revanche pas les attaques par cryptolocking des ransomwares. Le Freebox pro n’intègre a priori pas non plus de système de régulation du trafic pour attribuer des priorités à certains flux. Il n’y a pas non plus d’option de SD-WAN pour relier, par exemple, une succursale à un siège en passant par une ligne spécialisée, tout en connectant les employés au cloud via une connexion Internet classique.

Il est Ă  noter qu’en version de base, la Freebox ne gère que deux lignes tĂ©lĂ©phoniques VoIP, dont une qui peut servir pour le fax. Chaque ligne supplĂ©mentaire est facturĂ©e en option Ă  9,99 â‚¬ HT/mois. Les fax et les messageries des lignes tĂ©lĂ©phoniques sont consultables depuis la console graphique de la Freebox Pro.

Au-delĂ  du prix d’appel Ă  50 â‚¬ HT/mois, les entreprises compareront donc le tarif de Free Pro en tenant compte des caractĂ©ristiques que les opĂ©rateurs alternatifs proposent par dĂ©faut. Une petite agence de dix personnes avec un standard et un fax, qui ne peut se permettre de subir des interruptions de service trop longues, paiera ainsi plutĂ´t l’abonnement Free Pro un peu moins de 200 â‚¬ HT/mois.

D’autres options sont disponibles Ă  l’achat au moment de la souscription : un deuxième disque dur interne pour rĂ©pliquer le premier (40 â‚¬ HT), ou alors deux SSD (200 â‚¬ HT), un kit 1U pour installer la Freebox dans une Ă©tagère rack (59 â‚¬ HT) et jusqu’à trois rĂ©pĂ©teurs Wifi pour Ă©tendre la couverture sans-fil sur un site (40 â‚¬ HT chacun).

Un accès en cloud révèle que Jaguar Network est à la tête de Free Pro

Concernant la fonction NAS, le contenu du stockage est automatiquement sauvegardĂ© en cloud dans la limite de 200 Go. Au-delĂ , l’espace en ligne sera facturĂ© 2 â‚¬/mois supplĂ©mentaires par tranche de 100 Go.

On pourrait penser que le cloud en question cacherait un service de stockage en ligne de Scaleway, la filiale cloud public d’Iliad, la maison mère de Free. Cependant, dans la brochure commerciale de l’offre, il apparaĂ®t que la marque Free Pro est en rĂ©alitĂ© une activitĂ© qui ne dĂ©pend pas de Free directement, ni de Scaleway, mais de Jaguar Network. Le patron de la marque Free Pro est d’ailleurs Kevin Polizzi, le PDG historique de Jaguar Network.

Jaguar Networks est un opĂ©rateur de datacenters en colocations et d’infrastructures rĂ©seau et tĂ©lĂ©coms pour les entreprises, rachetĂ© par Iliad il y a deux ans. Bizarrement, le technicien Jaguar et le technophile Scaleway n’ont jamais vraiment collaborĂ©, le premier proposant des services cloud concurrents du second et le second commercialisant lui-mĂŞme de l’espace en co-location dans ses propres datacenters, comme le premier. Dans sa confĂ©rence de presse, Xavier Niel n’a pas expliquĂ© la subtilitĂ© de ce montage entre ses filiales.

Paradoxalement, Jaguar Network avait beaucoup communiqué il y a plus d’un an sur son savoir-faire en matière de SD-WAN, c’est-à-dire une box capable de se connecter aux réseaux urbains de différents opérateurs pour maintenir coûte que coûte les communications. Dans son offre Free Pro, la Freebox ne communique qu’avec les réseaux de Free.

En coulisses, la bataille se joue sur l’accès aux réseaux

Le choix de Jaguar Network trouve sans doute sa justification dans le savoir-faire des infrastructures rĂ©seau urbaines. Free se targue dans son communiquĂ© de presse d’avoir dĂ©jĂ  installĂ© pour le grand public 20 millions de prises raccordables Ă  la fibre FTTH de dernière gĂ©nĂ©ration. C’est d’ailleurs cette fibre-lĂ  que l’opĂ©rateur Netalis utilise depuis 2018 pour proposer une offre d’entrĂ©e de gamme de 10 Gbit/s FTTH similaire Ă  celle de Free Pro, la Freebox pro en moins. Jaguar Networks a les compĂ©tences pour greffer sur ces fibres des Ă©quipements dĂ©diĂ©s Ă  ses clients entreprises.

Pour autant, la force de Free de disposer de son propre rĂ©seau de fibre sur le territoire – et donc de mieux maĂ®triser que les opĂ©rateurs alternatifs les tarifs qu’il pratique â€“ est relative. En effet, depuis ces dernières annĂ©es, les opĂ©rateurs alternatifs ont fait en sorte de rĂ©duire leur dĂ©pendance aux rĂ©seaux terrestres des quatre opĂ©rateurs nationaux.

« L’offre Free Pro s’insère sur un marchĂ© de mieux en mieux fourni en infrastructures fibre. Â»
Nicolas GuillaumePrésident de Netalis

« L’offre Free Pro s’insère sur un marchĂ© de mieux en mieux fourni en infrastructures fibre. Les infrastructures rĂ©gionales que dĂ©tiennent certains opĂ©rateurs tĂ©lĂ©coms alternatifs (Netalis, Fullsave, Eurafibre, ASC...) liĂ©es Ă  celles, nationales, disponibles chez des opĂ©rateurs d’infrastructure (TDF, Kosc/Altitude, Axione/Cityfast, etc.) permettent aux opĂ©rateurs B2B de rester compĂ©titifs et innovants Â», indique Nicolas Guillaume.

En fin de compte, ce qui inquiĂ©terait le plus les opĂ©rateurs alternatifs, c’est l’accès aux rĂ©seaux mobiles. Jusque-lĂ , ils doublent tous leurs boxes fibre d’abonnements 4G, qu’ils achètent Ă  l’opĂ©rateur virtuel Euro-Information Telecom (alias EIT, propriĂ©taire des marques NRJ Mobile, CIC Mobile, Auchan Telecom, Credit Mutuel Mobile…). Celui-ci avait le mĂ©rite de revendre au prix de gros des accès aux rĂ©seaux Orange, SFR et Bouygues. Problème, en juin 2020, Bouygues Telecom rachetait EIT, obligeant tacitement tous les opĂ©rateurs B2B alternatifs Ă  dĂ©sormais nĂ©gocier l’achat de lignes mobiles avec chacun des trois opĂ©rateurs nationaux.

De son cĂ´tĂ©, Free n’a pas encore communiquĂ© sur des packages intĂ©grant des abonnements mobiles pour les salariĂ©s d’une entreprise cliente de l’offre Free Pro. Il punit mĂŞme l’utilisation sur un tĂ©lĂ©phone de la carte SIM fournie pour le routeur 4G de secours : les contrevenants devront payer 5 â‚¬ par Go consommĂ©s. Cependant, ce sujet est celui qui est le plus susceptible d’évoluer, d’autant plus que Free mise beaucoup sur la 5G.  

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