Cet article fait partie de notre guide: Guide sur la souveraineté du cloud

Cloud : Iliad restructure Scaleway et Free Pro pour détrôner OVHcloud

Les datacenters des deux filiales sont mis sous la tutelle d’une nouvelle entité OpCore. Scaleway doit devenir le cloud public le plus puissant d’Europe et Free Pro le cloud privé le mieux sécurisé.

Iliad, le groupe français de télécoms de Xavier Niel, déploie de gros moyens pour restructurer sa flotte de datacenters autour de l’IA. Derrière les caractéristiques techniques se dessine une nouvelle stratégie pour ravir sa première place d’hyperscaler européen à OVHcloud.

« Pour peser sur le marché de l’IA, il faut de la puissance de calcul. Pour avoir de la puissance de calcul, il faut des supercalculateurs. Et pour avoir des supercalculateurs, il faut investir. Investir massivement. Iliad l’a fait. Résultat : nous disposons aujourd’hui de la plus grande puissance de calcul cloud dédiée à l’IA déployée à ce jour en Europe. Et ce n’est que le début », a déclaré fin septembre Xavier Niel dans un communiqué.

L’investissement en question serait de 200 millions d’euros. Il ne concernerait pas seulement l’installation d’un cluster de calcul chez Scaleway, mais adresserait des travaux plus larges.

« Cela fait plusieurs années déjà̀ qu’on travaille au développement d’un cloud européen avec notre filiale Scaleway. En la dotant d’un supercalculateur, nous voulons – et nous pouvons – créer un champion européen de l’IA. C’est une question de souveraineté́ : pour protéger nos données, on a besoin de plateformes implantées sur notre territoire », a ajouté Xavier Niel.

OpCore, la nouvelle structure qui chapeaute tous les datacenters d’Iliad

Si l’intelligence artificielle a le mérite de braquer les projecteurs sur une démonstration de puissance, en coulisses, c’est bel et bien autour du cloud et de la souveraineté que se réorganise Iliad. Ainsi, depuis cet été, son parc de datacenters a été regroupé sous une nouvelle entité baptisée OpCore. Ce parc, qui pourrait regrouper une douzaine de data centers, est principalement composé de quatre bâtiments parisiens exploités par la filiale Scaleway, qui commercialise du cloud public, et de trois autres détenus à Marseille et à Lyon par la filiale Free Pro, qui est mi-opérateur télécom B2B, mi-opérateur de cloud privé.

OpCore, dirigé par Arnaud de Bermingham (l’architecte historique de Scaleway), se voue à la fourniture d’infrastructures immobilières et énergétiques de pointe. Ce montage permet aux filiales Scaleway et Free Pro de se concentrer sur l’enrichissement de leurs services cloud respectifs.

« Pour parvenir à investir à la hauteur de nos ambitions, nous avons décidé de mutualiser toutes les infrastructures data center du groupe. »
Denis PlanatDirecteur général, Free pro

« Pour proposer des services en cloud de pointe, vous devez reposer sur des infrastructures de pointe. Mais, concernant les datacenters, leur capacité à accueillir de la puissance et de la connectivité, tout en optimisant l’énergie, nécessite beaucoup, beaucoup d’investissements. Donc, pour parvenir à investir à la hauteur de nos ambitions, nous avons décidé de mutualiser toutes les infrastructures data center du groupe », résume Denis Planat, le Directeur général de Free Pro, lors d’un entretien avec LeMagIT.

« L’offre d’un cloud européen surpuissant se structure dans le groupe », ajoute Laurent Cheyssial, le Directeur technique & Innovation de Free Pro. « Certes, les premières annonces concernent l’IA chez Scaleway parce que, en tant que cloud public, ils sont les plus à même de fournir une large gamme d’offres packagées, tout de suite utilisables. Nous travaillons aussi à accueillir dans les datacenters historiques de FreePro des infrastructures de supercalcul qui, elles, seront dédiées à des clients. »

« Mais il faut comprendre que les services de haute qualité que nous pourrons fournir sur l’IA seront les mêmes pour tous les autres types d’application », ajoute-t-il.

Denis Planat précise : « nos clients ont un historique informatique. Ils sont des applications qu’ils mettent en cloud public, chez Scaleway ou ses concurrents, et d’autres qu’ils veulent conserver sur des machines privées. Chez Free Pro, nous n’allons plus proposer de leur louer des mètres carrés dans nos datacenters pour simplement entreposer ces machines. Cela, c’est le métier d’OpCore à présent. Nous leur proposons en revanche des services d’exploitation, qui vont des gestes techniques de proximité, à une protection globale contre les cyberattaques, en passant par une configuration, une supervision et une maintenance des systèmes. »

Iliad veut ainsi se donner les moyens de rivaliser avec OVHcloud sur les deux pans de son activité. Avec une offre d’instances plus puissantes sur le marché du cloud public, où OVHcloud a gagné ses galons d’hyperscaler européen selon le classement d’IDC. Et avec des services sur mesure, à taille humaine, tout autant souverains sur le marché du cloud privé, où OVHcloud multiplie les certifications, de SecNumCloud pour telles salles informatiques à SAP HANA pour tel cluster sur mesure.  

Selon les informations que LeMagIT a pu obtenir, l’objectif d’Iliad serait de réaliser d’ici à la fin de l’année un chiffre d’affaires de 500 à 600 millions d’euros via les activités de Scaleway et Free Pro. Cela correspond au chiffre d’affaires qu’OVHcloud a réalisé sur les neuf premiers mois de l’année 2023 (667 M€, en progression de 13 %). Pour sa part, le groupe Iliad avait réalisé un CA de 8,4 milliards d’euros en 2022 (alors avec une progression de 6,9 % par rapport à l’année précédente), essentiellement via l’opérateur Free qui compte, en France, 7,2 millions d’abonnés en fibre et 14,4 millions d’abonnés en mobile.

Scaleway : l’IA pour prétendre au titre de cloud public européen le plus puissant

Photo d'un serveur DGX.
Le cluster Nabuchodonosor contient 127 exemplaires de ce serveur DGX doté de huit GPU H100.

Côté Scaleway, la nouvelle infrastructure dédiée à l’IA est baptisée Nabuchodonosor. C’est un cluster DGX SuperPOD de Nvidia, ici composé de 127 serveurs DGX qui totalisent 1 016 cartes GPU H100 SXM (8 cartes par serveur). Ces cartes peuvent fonctionner de concert, d’une part grâce au bus NVLink qui les interconnecte au sein des serveurs et, d’autre part, via un réseau Infiniband offrant un débit de 400 Gbit/s par lien entre deux serveurs.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, la page des tarifs de Scaleway n’indique pas encore précisément comment l’offre Nabuchodonosor sera déclinée. On trouve néanmoins la possibilité de souscrire déjà à des machines virtuelles comportant un ou deux GPU H100, mais il semble s’agir plutôt dans ce cas de serveurs classiques avec des cartes GPU montées sur un bus PCIe.

Comparativement, le concurrent OVHcloud, qui avait lui aussi annoncé un peu plus tôt s’équiper de GPU pour entraîner des modèles d’IA, accuse un retard momentané. S’il dispose déjà d’offres à base de GPU V100 et A100, de générations précédentes, ses configurations à base de H100 devraient mettre encore quelques semaines à arriver. Pas de DGX SuperPOD à son programme, mais des serveurs bel et bien équipés des huit mêmes GPU H100 SXM dont les entreprises pourront réserver intégralement la puissance. Et aussi, d’ici à novembre, des serveurs plus classiques avec une ou deux cartes H100 en PCIe.

D’ici là, l’installation d’un supercalculateur DGX SuperPOD de Nvidia dans les data centers de Scaleway va de pair avec une série de services clés en main proposés aux entreprises pour entraîner des modèles à la demande. Mais aussi avec l’ouverture d’un laboratoire de recherche à Paris afin d’accompagner les projets. Ainsi que l’organisation d’une conférence annuelle qui ambitionne de constituer le plus grand rendez-vous européen de l’IA en Europe.

Free Pro : capter beaucoup d’entreprises par le biais des télécoms

De son côté, Free Pro s’attache en ce moment à doubler la surface exploitable dans son data center historique de Marseille. Gilles Elzière, en charge des datacenters chez Free Pro, supervise dans le bâtiment la construction de quatre nouvelles salles qui totaliseront 2 000 mètres carrés de surface.

Deux d’entre elles seront conçues pour recevoir le cas échéant des baies de serveurs bardées de GPU. Selon les estimations de différents acteurs du datacenter, une telle baie pèserait 3 tonnes par mètre carré au lieu d’une seule tonne pour une baie de serveurs classiques. Elle pourrait aussi consommer dix fois plus d’électricité.

« Oui, oui, nous pourrons accueillir de telles configurations pour l’IA. Mais dans l’immédiat, mon travail est surtout de construire du modulaire pour multiplier par deux la quantité de machines de tous types que nous hébergerons pour nos clients », dit Gilles Elzière, un peu agacé par l’engouement publicitaire autour de l’IA, alors que Free Pro entend surtout développer ses activités de cloud privé. 

Dans la galaxie Iliad, Free Pro a un statut un peu particulier, à la fois pendant B2B du très populaire opérateur Free et version plus intimiste de l’hébergeur de cloud Scaleway.

À l’époque où elle s’appelait encore Jaguar Network, cette filiale proposait à un peu plus de 1 000 entreprises de les connecter à la fibre (Gendarmerie nationale, région PACA…) et d’héberger pour elles les serveurs applicatifs ou les baies de stockage qu’elles ne voulaient pas installer dans leurs locaux (Gaumont, Alcatel Submarine Networks…). Pour cette seconde activité, Jaguar Network avait racheté à SFR son datacenter de Marseille.

Photo du siège de Free Pro à Marseille.
Le nouveau siège de Free Pro à Marseille.

En se rebaptisant Free Pro, la filiale a pris une envergure nationale, avec une offre opérateur beaucoup plus agressive. Ses clients bénéficient à présent d’une FreeBox Pro standardisée, qui peut faire office de SD-WAN, qui gère plusieurs postes de voix sur IP, qui bascule automatiquement en 5G quand la connexion terrestre ne répond plus, qui gère un service de stockage sur site et sauvegarde automatiquement son contenu dans les data centers de Marseille ou Lyon.

Initialement, le marché des opérateurs alternatifs estimait que l’offre très formatée de Free Pro n’était taillée que pour satisfaire les maigres besoins des TPE.

Mais contre toute attente, sa stratégie se serait révélée étonnamment payante. Là, en séduisant les PME à taille humaine, où la notoriété de l’opérateur national Free joue à plein. Là, en étant le seul opérateur capable de connecter d’un coup les 1 200 magasins d’une chaîne de distribution. « Qui plus est avec des solutions simples, quasiment au même prix que les connexions Free grand public », ajoute Denis Planat, qui se félicite d’avoir fait grimper aujourd’hui le nombre de ses clients à 45 000.

Pour Free Pro, l’enjeu de construire un cloud privé à toute épreuve

L’activité d’opérateur télécom B2B serait donc un franc succès et il resterait maintenant à développer autant celle des services informatiques, l’autre mission initiale de Jaguar Network.  

Une première étape a consisté à ajouter à son catalogue d’offres des services de cybersécurité. Le rachat du Français iTrust, en avril dernier, a permis à Free Pro de proposer aux entreprises une surveillance complète de leurs sites, avec des alertes en cas de cyberattaque, doublées en option de toute une gamme d’interventions d’urgence. C’est cette stratégie qui doit doucement conduire au cloud privé.

« La seconde étape est d’être certifié SecNumCloud. Je vous annonce donc officiellement que nous avons lancé la démarche pour pouvoir candidater. La soutenance a eu lieu fin septembre », lance Denis Planat.

Photo de Denis Planat, DG de Free Pro.
Denis Planat, DG de Free Pro.

« L’une de nos forces est d’être déjà hébergeur de santé (HDS), d’être déjà certifié ISO 27001 depuis des années et de ne pas économiser nos efforts pour démontrer que nous nous engageons perpétuellement dans des démarches vertueuses », ajoute-t-il, en sachant pertinemment que le processus de candidature SecNumCloud pourrait durer plus d’un an.

Pour l’heure, les services cloud ayant obtenu la certification SecNumCloud sont les offres IaaS privées des Français Cloud Temple (nouvel entrant), OutScale, OVHcloud et Worldline (ex-filiale d’Atos), ainsi que les offres collaboratives en SaaS du Français Oodrive. Dans ce panel, OVHcloud est le seul à exploiter ses IaaS privées dans ses propres datacenters. Un avantage sur lequel compte bien rivaliser Iliad. Tous les autres font héberger leurs serveurs dans des datacenters construits en France par Equinix (américain), Digital Reality (américain), ou encore TeleHouse (japonais).

Reste que les entreprises pourraient ne pas très bien comprendre pourquoi le cloud privé d’Iliad serait à aller chercher chez l’opérateur B2B Free Pro, plutôt que chez le fournisseur de cloud public Scaleway. D’autant que le concurrent OVHcloud n’utilise qu’une seule marque pour les deux types de clouds.

« D’une part, cela ne change rien techniquement. Sur les projets hybrides, avec une partie en cloud public et une autre en cloud privé, nous travaillons main dans la main avec Scaleway », rétorque Denis Planat.

En pratique, LeMagIT croit comprendre que la différence se fera surtout pour les entreprises sur les certifications plus nombreuses dont Free Pro pourrait se prévaloir en tant que cloud privé, alors que Scaleway est nécessairement plus limité en tant que cloud public.

« D’autre part, oui, je vous l’accorde, il peut y avoir un problème de lisibilité. Un problème qui tient au fait que Scaleway appartient depuis vingt ans à Iliad, alors que Jaguar Network n’a été intégré au groupe qu’il y a quatre ans. Nous avons pleinement conscience du risque que notre message puisse être brouillé. Mais je vous garantis que nous nous attachons à lever toute ambiguïté. Scaleway et Free Pro seront associés dans tous les événements, dans toutes les communications, dans toutes les opérations », conclut Denis Planat.

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