Formations, DSI, Data Governance : les freins à l’adoption de l’IA en entreprise

Maintenant que les entreprises ont adopté les bonnes plateformes et que les processus MLOps sont en place, elles doivent encore lever de puissants freins organisationnels pour mener en production leurs modèles d’IA et enfin maîtriser la gouvernance des données, selon une étude de Quantmetry.

Avec son baromètre 2021 des directions Data publié le 8 décembre dernier, Quantmetry a livré une étude qualitative réalisée auprès de 47 responsables des projets de traitement de données dans de grandes et moyennes entreprises françaises. Près de la moitié des sondés tiennent un poste de Chief Data Officer, et 21 % d’entre eux sont des « Data Science Leads », des directeurs des projets de data science.

Premier constat, 86 % des sociétés interrogées sont passées à un modèle d’organisation hybride, contre 67 % en 2020. Dans ce paradigme, chaque BU métier conserve ses équipes locales responsables de traitements de données, mais elles se réfèrent à une entité transverse, nommée ici le « Data Office ».

Dans ces grands groupes – une majorité d’assurances et de banques –, les organisations en silos périclitent (2 % en 2021 contre 6 % en 2019) et le modèle centralisé a connu une forte baisse d’intérêt (12 % d’adoption en 2021 contre 36 % en 2019). En cause, un éloignement des directions centrales avec les besoins métiers et le manque d’agilité pour la réalisation des cas d’usage.

À l’inverse, le modèle hybride rassemble les avantages des deux autres structures (passage à l’échelle, plus grande réactivité face au cas d’usage, standardisation, mutualisation des ressources) au prix d’une plus grande complexité d’orchestration et d’un besoin de « réalignements récurrents ». Quantmetry indique que la mise en place de cette approche ne nécessite pas un changement brutal et peut se faire au départ avec les entités les plus matures avant de diffuser plus largement dans l’entreprise.

Industrialisation de l’IA : la première enclenchée

Ce serait d’ailleurs la clé pour industrialiser les projets de data science, même si du fait de sa jeunesse, le modèle organisationnel n’a pas encore fait totalement ses preuves.

Oui, 89 % des répondants affirment que leur entreprise a lancé au moins un cas d’usage en production, contre 79 % en 2020 et 33 % en 2019. Mais 35 % des cas d’usage passent en production en moyenne. La raison ? Seulement 27 % des projets d’IA ont atteint ce stade convoité, contre 67 % des projets BI en 2021.

Les témoignages recueillis par Quantmetry indiquent pourtant que l’industrialisation des projets d’IA est en bonne voie. Certains CDO affirment que leurs équipes ont mis en place les pipelines CI/CD nécessaires, tandis que d’autres sont en train de les mettre en place. Au total, 78 % des entreprises déclarent avoir accéléré leur industrialisation de l’IA. Outre une organisation hybride, les adoptions de « meilleures plateformes data » hébergées dans le cloud et du MLOps sont considérées comme les vecteurs les plus importants de cette accélération.

Un besoin « critique » de recruter des data engineers

« Les profils de Data Engineers, essentiels pour l’industrialisation des cas d’usage BI et IA, restent en forte tension sur le marché. »
Baromètre 2021Étude Quantmetry

Mais trois freins majeurs peuvent expliquer le taux d’échec. L’un d’entre eux n’est autre que le manque de data engineer. Le besoin serait critique, selon l’enquête. Les entreprises interrogées disposeraient de suffisamment de profils de data scientists, de statisticiens, d’architectes dans les équipes techniques. En revanche, le besoin de recruter des profils d’encadrants formés à la data science serait important.

« Les profils de Data Engineers, essentiels pour l’industrialisation des cas d’usage BI et IA, restent en forte tension sur le marché. […] Pour compenser le besoin de recrutement, les organisations data forment leurs équipes data et IT sur ces compétences clés », notent les auteurs du rapport.

La DSI, le « maillon faible »

Encore faut-il que l’organisation comprenne la nécessité de ces projets. Pas moins de 67 % des répondants pensent que le Comex de leur entreprise est « correctement (36 %) ou très bien (31 %) » acculturé aux enjeux de la donnée. Seuls 12 % des répondants considèrent que les métiers ont un très bon niveau, tandis que 9 % d’entre eux estiment que les membres de la DSI ont atteint ce même niveau de « data culture ». Pire, 43 % des sondés jugent mauvais le niveau d’acculturation de la DSI, devant le Comex (33 %) et les métiers (32 %). Or un Comex peu cultivé à la donnée « devient un frein puissant aux initiatives », selon Quantmetry.

Pas de vision à long terme, trop d’exigences sur le ROI, objectifs non pertinents, baisse des budgets liés à la data science sont les quelques griefs exprimés par les personnes interrogées au regard des directions les moins cultivées. Or les taux de déploiements les plus élevés se constatent chez les organisations où cet effort d’apprentissage et de compréhension des enjeux stratégiques a été mené à bien, toujours selon les auteurs de l’étude.

 Mais ce sont plutôt les notes moyennes du niveau d’acculturation des dirigeants, des métiers et de la DSI qu’il faut observer pour appréhender le raisonnement du cabinet de conseil en IA. Le Comex obtient 6 sur 10, les métiers 5,5 sur 10 et les membres de la DSI 4,7 sur 10.

« Si l’acculturation des métiers reste à un niveau moyen, c’est bien la DSI qui est jugée comme étant le “maillon faible”. »
Baromètre 2021Étude Quantmetry

« Si l’acculturation des métiers reste à un niveau moyen, c’est bien la DSI qui est jugée comme étant le “maillon faible”, avec près de la moitié des sondés qui jugent son niveau d’acculturation insuffisant », écrivent les auteurs de l’étude.

Dans l’ensemble, les métiers, eux, ont compris les enjeux, mais n’appliqueraient pas les bonnes pratiques au quotidien (problème de saisie, fichiers non partagés, etc.).

Plus graves, les différends entre les équipes de data science et les membres de la DSI seraient davantage liés à des enjeux stratégiques.

« Les sondés notent dans l’ensemble une meilleure collaboration opérationnelle avec la DSI », constate le cabinet de conseil en IA. Pour cela, la DSI et les équipes de data science sont capables de partager leurs talents et leurs missions. Mais « encore trop souvent, ces départements agissent plus en concurrence qu’en partenariat. Ils suivent des trajectoires asynchrones, priorisent les investissements différemment et se disputent des enveloppes budgétaires communes », poursuit-il.

La gouvernance des données, le nerf de la guerre

Quand bien même les organisations arrivent à mettre en ordre de marche leur Comex, les métiers et la DSI, la gouvernance des données est le sujet qui fâche : 52 % des répondants sont insuffisamment satisfaits de la « data governance » en place, 45 % la jugent correcte et seulement 3 % des personnes la considèrent très bonne. C’est pourtant une priorité élevée ou très élevée pour 60 % des entreprises.

« Même si la gouvernance n’est pas un sujet nouveau, beaucoup de directions data se sentent bloquées. »
Baromètre 2021Étude Quantmetry

« Même si la gouvernance n’est pas un sujet nouveau, beaucoup de directions data se sentent bloquées », constatent les auteurs de l’étude. « Seuls 17 % estiment avoir un framework (organisation, principes de gestion, processus) et une feuille de route opérants. Et 20 % n’ont même pas encore initié leur réflexion sur ces sujets ».

Les principales difficultés ? L’angle d’attaque d’un tel projet et la difficulté de « convaincre du ROI d’un tel projet ». Pour les entreprises où la feuille de route et le cadre de la gouvernance sont en place, les freins sont de nouveau humains et culturels.

La recette du succès ? Bâtir un business plan « clair et pragmatique » impliquant le Comex, les ressources humaines et les directions métiers, selon Quantmetry. La priorisation des processus critiques, l’élaboration d’un plan capable de s’adapter aux autres besoins de l’entreprise, l’identification des profils responsables de cette gestion, la mise en place d’objectifs annuels sont quelques-unes des bonnes pratiques citées par les auteurs.

Encore une fois, ce ne sont donc pas les architectures, les plateformes ou la maîtrise des processus d’industrialisation qui freinent les entreprises, mais bien des problématiques d’organisation, de ressources, de formation.

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