L’arrivée d’OpenAI en France, une opération d’influence
Lors d’une soirée réunissant près de 400 invités, OpenAI a officialisé l’ouverture de son bureau parisien. Une ouverture saluée en personne par Clara Chappaz, secrétaire d’État à l’IA et au numérique, et depuis X par le président de la République.
Si Sam Altman, CEO et cofondateur d’OpenAI, n’a pas fait le déplacement, Sarah Friar, directrice financière d’OpenAI, a elle-même officialisé l’ouverture de ce bureau français. « C’est notre premier bureau en France, mais aussi en Europe », déclare-t-elle. Et de saluer l’écosystème technologique français. « La France a une longue histoire de leadership en matière de technologie, d’innovation et de créativité. Au cours des dernières années, elle a émergé en tant que leader mondial dans ce domaine, grâce à vous membre de l’écosystème ».
Mais aussi de rappeler les usages des LLM d’OpenAI dans les entreprises françaises, dont Orange, Sanofi ou Simplon. « Par exemple […] Sanofi utilise notre IA pour accélérer les tests des médicaments, pour améliorer les conditions de vie des patients. Orange a construit un outil interne en utilisant nos modèles d’IA qui a transformé le travail quotidien de plus de 49 000 employés, en les aidant à se concentrer sur les tâches les plus importantes », liste-t-elle.
OpenAI – plus de 1 700 employés dont 650 chercheurs et ingénieurs en IA – entend également renforcer ses partenariats avec les startups françaises, dont Dust (cofondé par un ancien d’OpenAI), Mirakl ou encore Pigment.
« En établissant une équipe ici à Paris, nous serons mieux équipés pour soutenir la communauté française, en partenariat avec plus de développeurs, des entreprises et d’organisations civiques, en les aidant à exploiter le potentiel de l’IA afin de pousser l’innovation, la créativité, la productivité et la croissance en France », lance Sarah Friar.
OpenAI n’apporte donc pas d’informations supplémentaires sur la constitution de son bureau français.
OpenAI se lance officiellement à Paris sous le regard bienveillant du gouvernement
En revanche, ce lien avec la French Tech et son premier soutien institutionnel, le gouvernement et l’exécutif français, saute aux yeux.
La directrice financière a confié la parole à Julie Lavet, responsable des relations avec les États membres européens et des partenariats chez OpenAI. Elle a été présentée comme la première employée d’OpenAI en France, depuis mai 2024.
Julie Lavet a été conseillère parlementaire au cabinet de Manuel Valls (2016-2017) et au ministère de la Cohésion des territoires, où elle a ensuite dirigé l’équipe du ministre Jacques Mézard. En 2019, elle est nommée directrice des affaires publiques au Comité national olympique et sportif français, avant d’occuper le même poste chez Apple France et Benelux de 2021 à mai 2024.
« En tant que Française qui a longtemps travaillé pour le gouvernement, je peux témoigner des efforts et des investissements considérables qui ont permis à la France d’être un véritable leader sur la scène mondiale en matière d’IA », avance-t-elle.
« J’ai rejoint OpenAI parce que […] j’ai été fascinée par l’impact de ces technologies sur nos vies », poursuit-elle. « J’ai aussi choisi de rejoindre une entreprise qui a envie de construire une IA plus sûre et plus responsable et partager plus largement ses bénéfices avec le plus grand nombre. C’est le sens de notre engagement aussi avec les acteurs gouvernementaux, avec la société civile et avec l’industrie ». En ce sens, OpenAI entend participer à la création de « normes internationales ».
Clairement, Julie Lavet représente la carte lobbying qu’OpenAI espère jouer au cours du sommet de l’IA organisé par l’Élysée les 11 et 12 février 2025.
OpenAI a déjà convaincu Clara Chappaz, secrétaire d’État chargée de l’Intelligence artificielle et du numérique auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. L’ouverture de ce bureau à Paris représente selon elle « une très belle reconnaissance du fait que notre écosystème d’intelligence artificielle aujourd’hui est l’un des plus puissants dans le monde, en Europe ».
Quant aux « petites voix » se manifestant contre l’installation d’OpenAI en France, Clara Chappaz veut les faire taire.
« [L’]on continue donc à se réjouir de voir les entreprises américaines venir profiter de notre Crédit d’impôt recherche et de la qualité de nos écoles pour recruter nos meilleurs chercheurs à des salaires inatteignables par nos startups françaises et européennes, pour des projets dont les bénéfices d’exploitation échappent à l’impôt en France ? », réagit sur X Guillaume Champeau, directeur juridique d’Olympe Legal, après le message de bienvenue passé par Emmanuel Macron à OpenAI sur le même réseau social.
La théorie du ruissellement appliquée à l’IA
« Notre ambition, c’est de faire de la France une grande puissance de l’IA. Et quand on veut être grand, on accueille les grands. OpenAI est grand », défend Clara Chappaz.
Clara ChappazSécrétaire d'Etat chargée de l'Intelligence artificielle et du Numérique, ministère de l'Enseingnement supérieur et de la Recherche
« OpenAI a rendu possible une certaine partie des avancées que l’on voit aujourd’hui, parce qu’elle a rendu cette technologie [l’IA générative] acceptable et accessible par toutes et tous. Il faut, je crois, le reconnaître », continue-t-elle.
Il n’y aura pas de différence en matière de compétition, assure-t-elle. « Chaque acteur doit respecter les règles du jeu, mais c’est en travaillant ensemble que nous pourrons toujours aller plus loin ».
D’ailleurs, Clara Chappaz compte sur OpenAI, comme sur le laboratoire FAIR de Meta et Google DeepMind en France pour nourrir l’écosystème d’IA français. « La compétition fait avancer plus vite les entreprises, mais elle crée aussi des entreprises », avance-t-elle. « Stanislas Polu [cofondateur et ingénieur logiciel chez Dust, ex-chercheur-ingénieur chez OpenAI] en est un exemple. On pense bien sûr à Arthur Mensch [cofondateur et CEO de Mistral AI]. On ne peut s’empêcher de se demander qui seront les prochains ». La secrétaire d’État semble appliquer là la théorie du ruissellement – si cher au président Macron – aux startups en IA.
Stanislas Polu, lui, considère que les investisseurs étrangers, principalement américains, sont plus ouverts qu’auparavant à financer les jeunes pousses françaises. « Comme l’ont prouvé plusieurs startups parisiennes, il est tout à fait possible de lever de l’argent auprès des Américains », affirme-t-il. Dust a levé 20 millions d’euros au total, deux opérations menées par Sequoia Capital. « C’est une bonne chose. Il y a quelques années, c’était très difficile pour une entreprise française de faire la même chose. De plus, nous avons accès à un marché européen important, aujourd’hui capturé par ChatGPT, qui cherche à se transformer grâce à l’IA ».
Étendre les déploiements dans les entreprises
Au-delà des démonstrations à effet « waouh » réalisées lors de soirée et le souhait d’attirer les compétences en provenance des pôles d’excellence français en mathématiques et en ingénierie, en filigrane, OpenAI expose sa volonté de convaincre plus amplement les entreprises du CAC40 d’adopter ses technologies. Tout en étant parfaitement conscient des défis qui l’attendent.
Olivier GodementDirecteur de la plateforme produit, OpenAI
« Il existe clairement un écart à combler », déclare Olivier Godement, directeur de la plateforme produit chez OpenAI. Dans les entreprises, « plusieurs étapes doivent être franchies pour garantir une adoption réussie. Un effort significatif est nécessaire pour comprendre quand et pourquoi ces outils sont utiles, et à quel moment des solutions traditionnelles doivent être privilégiées par rapport aux assistants IA ».
« En outre, un travail important doit être mené pour instaurer la confiance, notamment en expliquant comment ces modèles fonctionnent, ce qu’ils impliquent sur le plan réglementaire, et quelles sont les exigences technologiques pour assurer leur bon fonctionnement », ajoute-t-il.
Stanislas PoluCofondateur et ingénieur logiciel, Dust
Un défi partagé avec l’écosystème qui entoure OpenAI. « Les modèles d’IA ne sont presque pas suffisants. Le modèle, c’est un peu le CPU, c’est la révolution de l’ordinateur dans les années 1990 », compare Stanislas Polu de Dust.
« Dans cette nouvelle révolution, il va falloir créer le système d’exploitation qui va se connecter avec les infrastructures de l’entreprise et concevoir des produits qui correspondent à leurs besoins. C’est notre but », affirme-t-il. « Mais ce qui est sûr, c’est qu’une fois qu’on arrive à mettre nos pieds dans une organisation, la valeur de ces modèles – quand ils sont mis dans le contexte du travail des métiers – est tellement forte que ça se propage comme un feu de paille ».
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