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OpenAI lance un Stargate norvégien sur fond de divorce avec Microsoft
D’ici à fin 2026, OpenAI fera héberger son IA GPT sur les 100 000 GPUs d’un datacenter au nord du continent, bâti par Nscale et Aker pour tout à fait autre chose. Mais pour OpenAI, il y a l’enjeu de maintenir une présence en Europe en dehors des datacenters d’Azure.
Stargate, nouvel épisode. OpenAI annonce l’ouverture d’ici à fin 2026 d’un méga datacenter « Stargate Norway » de 230 MW contenant 100 000 GPU Nvidia B300 près de Narvik, dans le nord de la Norvège. Mais, comme cela devient une habitude, Stargate semble être encore ici, le prête-nom d’une conjonction d’intérêts commerciaux qui, à la base, avaient tous des objectifs différents. Et dont la finalité est incertaine.
Pour commencer, jusqu’à il y a 48 heures, le chantier de ce datacenter norvégien n’avait absolument rien à voir ni avec OpenAI ni avec la marque parapluie Stargate.
Ce datacenter est un projet porté par le fonds d’investissement norvégien Aker, spécialisé dans les dossiers énergétiques. Celui-ci travaille depuis un moment avec Nscale, l’équivalent norvégien d’OVHcloud, pour construire un campus de cloud souverain accolé à une centrale hydraulique particulièrement performante, à seulement 250 kilomètres du cercle arctique. Ce campus est une entreprise qui appartient à 50 % à Aker et à 50 % à Nscale.
De son côté, Stargate a été présenté en début d’année comme un plan gigantesque de l’Administration Trump pour faire pousser des datacenters à hauteur de centaines de milliards de dollars sur le sol américain, afin d’assurer la suprématie mondiale des USA en matière d’IA. Mais Stargate s’est avéré ces dernières semaines n’avoir jamais été qu’un projet monté uniquement par OpenAI pour attirer les financements autour de sa seule IA, GPT.
La légende d’un grand chantier multi-IA pour servir les intérêts de la Nation semble avoir fait long feu. Les États-Unis ont annoncé la semaine dernière un autre grand plan pour l’IA américaine qui, manifestement, annule et remplace Stargate dans son agenda.
Microsoft, qui parrainait OpenAI depuis ses débuts en l’hébergeant dans son cloud Azure a, paraît-il, interprété Stargate comme une tentative de le concurrencer sur le sol américain. En représailles, il pourrait retirer les IA d’OpenAI de tous les points de présence d’Azure. Aux USA, comme en Europe ou au Moyen-Orient.
Le divorce entre OpenAI et Microsoft n’est pas encore consommé. Mais les deux parties semblent déjà œuvrer à suivre deux chemins séparés. Microsoft est désormais l’hébergeur principal de Mistral, l’IA française qui rivalise avec ChatGPT. OpenAI s’efforce d’accoler la marque Stargate qui lui reste sur les bras à tous les clouds non Azure susceptibles de l’héberger. Enfin… à ceux dans lesquels il paierait un loyer pour être hébergé.
Aux USA, Oracle lui facturera ainsi 30 milliards de dollars par an pour la location de 2 millions de GPU tirés de son cloud OCI. Problème, le chiffre d’affaires d’OpenAI est, aux dernières nouvelles, de 12 milliards de dollars par an.
Un seul datacenter pour deux clouds d’IA incompatibles
De fait, Stargate Norway n’est pas tant un projet d’OpenAI de bâtir un datacenter en Norvège qu’une simple commande d’hébergement. Reste à savoir dans quelle mesure ce Stargate Norway va remplir son objectif. Car Nscale était parti pour proposer tout à fait autre chose sur ce campus dont les 230 MW ne permettent de toute façon pas d’héberger plus de 100 000 GPU.
En matière de contenu, ce campus devait jusque-là mettre en production l’offre cloud de Nscale, lequel n’a pas démérité dans ses efforts de proposer des services d’IA en ligne, qui vont de clusters physiques dédiés (comme s’il s’agissait de cloud privé) à des fonctions serverless où les clients ne sont facturés qu’aux calculs accomplis. Nscale est par ailleurs l’un des principaux revendeurs de la solution de Lightning AI, une sorte de studio d’IA pour tout créer, du LLM à l’application de chatbot.
Parmi les grands clients du cloud IA de Nscale, citons l’équipementier européen Nokia. Nscale met aussi les GPU qu’il achète à Nvidia à la disposition du cloud virtuel de ce dernier (Lepton). Enfin, les LLM qu’il installe lui-même sur ses infrastructures sont ceux de Mistral, Qwen, Llama 4 de Meta et Flux de Black Forest. Flux sert à la génération d’images et de vidéos, alors que les autres produisent du texte ou du code.
Précisons que tous ces LLM sont des modèles d’IA dits open weight, librement téléchargeables depuis des sites communautaires comme Hugging Face. Nscale veut en faire une marque de fabrique.
Les modèles d’Open AI, eux, sont 100 % commerciaux et propriétaires. OpenAI souhaite les faire fonctionner sur la totalité des 100 000 GPU possibles, car « implanter une grande capacité de calcul d’IA en Europe contribuera à apporter une transformation qui bénéficiera à ses citoyens et ses communautés de développeurs, de chercheurs, de scientifiques et de startups » dit le communiqué.
Rappelons que la Norvège est l’un des quelques pays européens qui n’appartiennent pas à l’Union européenne. De fait, les contraintes de souveraineté qui peuvent empêcher des entreprises européennes d’utiliser l’IA américaine GPT ne sont pas spécialement mieux satisfaites par une présence en Norvège.
Mais quitte à avoir une présence en Europe, la Norvège présente pour OpenAI l’avantage d’une énergie au coût peu élevé. Au début de l’année, le kilowattheure y était facturé 12,7 centimes d’euros, contre une moyenne de 25,5 centimes d’euros dans l’Union européenne (et 30,3 centimes en France). La proximité de la centrale hydraulique de Narvik ne devrait rien changer à ce tarif.
L’argument d’installer un datacenter près d’une centrale pour bénéficier d’une énergie à un prix dédié ne vaut qu’aux USA où s’applique un système nodal (un prix par nœud physique du réseau électrique). Sur le continent européen, où tous les réseaux sont interconnectés, la règle est d’avoir un prix par pays. Ici, le datacenter de Nscale est construit à côté de la centrale hydraulique appartenant à une filiale d’Asker seulement parce qu’il s’agit d’un projet immobilier commun.
Géographiquement, la situation excentrée de Narvik tout au nord du continent ne devrait pas poser de problème de latence du fait de la présence de liens backbones qui serpentent dans les fjords et sous les lignes de chemin de fer attenantes. Narvik est historiquement le port norvégien qui sert à exporter les minerais de fer de la Suède, toute proche, et il bénéficie donc d’un solide réseau de transport terrestre et maritime. L’échangeur Internet le plus proche, le TIX de l’université arctique de Tromsø, se trouve même encore plus au nord.
OpenAI et Microsoft en instance de divorce
Héberger des applications d’IA qui sont basées sur l’IA d’OpenAI a permis à Azure d’augmenter son CA de 27 % en un an, selon le dernier rapport financier de Microsoft. Une poule aux œufs d’or. Pour autant, Satya Nadella, le patron de Microsoft, prévient qu’il « travaille à innover dans la pile technique de l’IA en cloud ». Comprendre : remplacer OpenAI par autre chose. Selon Reuters, des actionnaires du fournisseur auraient manifesté leur inquiétude de continuer à faire reposer les services d’IA d’Azure sur GPT, alors qu’OpenAI signe des contrats d’hébergement ailleurs.
Dans le même temps, la possibilité que Microsoft remplace GPT par une autre IA amplifie le besoin d’OpenAI de trouver d’autres hébergeurs. Qui plus est, en dehors des USA, puisqu’Azure a une présence internationale. Et tant pis si Stargate avait été initialement pensé pour n’être qu’américain.
À l’origine des tentatives d’OpenAI de s’émanciper de Microsoft, il y a son statut alambiqué d’entreprise à but lucratif plafonné, dirigée par une association à but non lucratif. Il n’y a bien que Microsoft qui a convenu d’investir massivement dans OpenAI malgré ce modèle limitant fortement les dividendes. Et pour cause : il a négocié en échange le droit d’exploiter les technologies de la startup sur son cloud.
Microsoft en tire des bénéfices colossaux indirects, grâce à l’hébergement sur Azure de toutes les autres applications qui reposent sur le moteur de GPT pour se prétendre dotées d’intelligence artificielle. Bénéfices qui ne vont pas dans la poche d’OpenAI.
En l’état, les revenus d’OpenAI ne proviennent que de la version payante de ChatGPT. Selon les analystes, ils ne permettraient même pas de rembourser le coût des GPU utilisés sur Azure par la version gratuite qui servant de vitrine à l’IA.
L’objectif du PDG d’OpenAI (Sam Altman) est de reprendre la main sur les bénéfices tirés des applications qui utilisent son moteur ; typiquement, en faisant héberger GPT chez d’autres fournisseurs de cloud avec lesquels il pourra mieux négocier la vente de licences. Mais il faut de l’argent pour louer ces hébergements. D’où l’idée d’un plan Stargate qui apporterait soi-disant la suprématie d’une IA démocratique aux États capables de fédérer autour d’eux des investisseurs épris de défense de la cause nationale.
Stargate prenant l’eau, le plan B est de basculer OpenAI sur un modèle plus classique d’entreprise américaine cotée en bourse. Ce nouveau modèle permettrait de verser plus de dividendes à des actionnaires, ce qui attirerait plus d’investisseurs, de sorte qu’OpenAI aurait des fonds pour louer de l’hébergement ailleurs. Parmi ces investisseurs, le Japonais Softbank a promis un apport de 40 milliards de dollars dès que le changement de statuts serait effectif.
Problème, ce changement de statut est juridiquement bloqué par Microsoft. Selon Bloomberg, OpenAI et Microsoft seraient actuellement en pourparlers pour que le second accepte de réduire sa participation dans OpenAI (ce qui rendrait ses décisions minoritaires) en échange d’une prolongation du droit d’exploitation sans licence de la technologie d’OpenAI par Microsoft au-delà du terme actuel, fixé à 2030.
Pour le dire plus simplement, il reste à OpenAI moins d’un an et demi pour changer de statut juridique, avant qu’il ne commence à payer les loyers des hébergements qu’il a souscrits à Oracle OCI, Coreweave et Google GCP aux USA et, donc, à Nscale et Aker en Norvège.