Green IT : les datacenters français face à l’écoresponsabilité

L’empreinte environnementale des datacenters s’emballe à cause de l’IA. Dans ce contexte, Groupama G2S, BPCE et Jiliti témoignent de la mobilisation du secteur en France pour contenir la consommation électrique des installations.

Selon les chiffres 2024 collectés par EY pour France Datacenter, la filière représente un écosystème direct et indirect de 5 milliards d’euros en France, soit 28 000 emplois directs et 45 000 emplois indirects. « En France, l’arrivée de l’IA générative va entraîner une demande en énergie supplémentaire de l’ordre de 1 GW de puissance installée sur les dix prochaines années », constate Géraldine Camara, déléguée générale de France Datacenter, une association qui regroupe une centaine d’entreprises sur l’ensemble de la chaîne de valeur des datacenters.

Si la consommation électrique a toujours été une problématique clé dans le secteur, sa hausse extravagante – ainsi que la montée en puissance de la réglementation, avec les directives européennes sur l’efficacité énergétique et le CSRD – doit pousser le secteur à revoir ses pratiques.

Réunis lors du salon Data Center World Paris qui s’est tenu en fin d’année dernière, Groupama G2S, BPCE et Jiliti ont partagé leurs efforts et leurs perspectives concernant ces sujets.

Groupama G2S et BPCE, des bonnes volontés à suivre

« Côté exploitation, nous faisons une recherche d’économies et d’efficacité sur de nombreux sujets, dont l’approvisionnement électrique, l’urbanisation des salles ou encore le refroidissement. »
Marc-Antoine ChaussardChargé d’exploitation Datacenter, Groupama G2S

« Nous menons un travail sur la RSE depuis les débuts de nos data centers », défend Marc-Antoine Chaussard, chargé d’exploitation Datacenter chez Groupama G2S (à gauche sur la photo en haut de cet article). Le groupe se sent particulièrement concerné, puisqu’il possède deux datacenters en miroir, plus un troisième à Rennes pour son PSI (Plan de Secours Informatique).

Le premier a été construit en 1989, lorsque Groupama a décidé de mutualiser son informatique. Lors de la fusion avec le GAN en 1998, un deuxième site a été créé en miroir et les installations ont été mutualisées en partie. « Côté exploitation, nous faisons une recherche d’économies et d’efficacité sur de nombreux sujets, dont l’approvisionnement électrique, l’urbanisation des salles ou encore le refroidissement », assure Marc-Antoine Chaussard, qui espère que son récit servira d’exemple à d’autres entreprises.

« Nous avons eu de gros clients à gérer et à héberger sur des installations que nous avons fait évoluer régulièrement. En 2012, nous avons créé ce troisième datacenter dans le cadre de notre PSI. Nous avons fait appel à APL Data Center pour mettre en place le Free Cooling. Nous avons été les premiers dans le secteur, avec le Crédit Agricole, à créer un datacenter avec un refroidissement en Free Cooling direct pour obtenir le PUE le plus favorable possible », raconte-t-il.

Le Free Cooling consiste à maintenir les salles informatiques à la bonne température en puisant de l’air extérieur pour refroidir l’air chaud dégagé par les serveurs. D’ordinaire, l’air frais est fabriqué par des climatiseurs, ce qui est bien plus énergivore.

« Ces nouvelles contraintes sont nécessaires et opportunes. »
Laurent MarcouChargé d’affaires, BPCE Infogérance et Technologies et ALBIANT-IT

De son côté, BPCE opère quatre data centers en France depuis une douzaine d’années et mène des phases de réhabilitation des matériels et des équipements pour améliorer leur efficacité énergétique. Laurent Marcou – chargé d’affaires chez BPCE Infogérance et Technologies et ALBIANT-IT (au milieu de la photo en haut de cet article), l’entité du groupe qui gère les ressources IT de la banque – souligne les vertus de la réglementation européenne sur le secteur : « Ces nouvelles contraintes sont nécessaires et opportunes. Le groupe mène déjà une stratégie RSE et une politique de certification, avec notamment l’ISO 14001 et quelques autres. Plusieurs services travaillent sur ces sujets d’écoresponsabilité. Nous ne sommes pas encore structurés pour répondre aux contraintes réglementaires et notamment de communication. Mais nous travaillons sur ces sujets et cela nous permettra de mettre en exergue les évolutions et donner une image plus positive de la filière », se félicite-t-il.

Ériger l’écoresponsabilité en facteur de différenciation

Avec 3 500 clients, dont la moitié du SBF120, Jiliti est l’un des acteurs majeurs de cet écosystème. L’entité formée par la fusion d’Econocom Business Continuity (EBC), Europe Computer Systèmes (ECS), Osiatis et Thomainfor est spécialisée dans la disponibilité des installations.

« Le développement durable devient omniprésent dans le choix des fournisseurs, des solutions et des partenariats » souligne Benoît Mahieu, senior vice-président Group et DGA France de Jiliti (à droite sur la photo en haut de cet article). « L’écoresponsabilité sera un facteur de différenciation entre les acteurs du secteur. L’empreinte des datacenters atteint de l’ordre de 20 % des émissions carbone mondiales liées au numérique dans le monde. Il faut agir collectivement tant dans le data center que sur les infrastructures informatiques. »

« L’écoresponsabilité sera un facteur de différenciation entre les acteurs du secteur. »
Benoît MahieuSenior V-P Group et DGA France, Jiliti

Pour le prestataire, cette action porte sur cinq axes. D’abord, il faut prolonger la durée de vie des équipements, comme le préconise l’Ademe, privilégier les matériels de seconde main lorsque cela est possible, comme le fait la BPCE dans l’upgrade de ses datacenters.

Un autre champ d’action est celui de la modernisation des data centers eux-mêmes et le transfert des matériels vers des installations plus performantes.

Benoît Mahieu estime qu’un effort doit aussi être fait dans les usages de l’IT : les entreprises doivent concentrer leurs moyens et massifier les installations pour obtenir des économies d’échelle.

Enfin, le dernier point concerne le recyclage et la revalorisation des matériels, une des spécialités de Jiliti : « nous rachetons le matériel, ce qui permet d’améliorer l’empreinte carbone de nos clients, et nous recyclons les composants et les matières premières pour alimenter l’économie circulaire », dit Benoît Mahieu.

Un gros travail à mener sur la Data

Les contraintes restent très élevées et les entreprises ne construisent pas de nouveaux data centers plus performants tous les jours. « Comme pour tous les datacenters de France, nous sommes un peu prisonniers de notre système de refroidissement. Il est difficile de les faire évoluer » explique Marc-Antoine Chaussard. « En revanche, nous avons fait énormément de progrès en déployant une métrologie GTC performante, avec des capteurs de température sur de nombreux équipements. »

L’optimisation permet par exemple de ne faire tourner que trois climatisations sur quatre pour refroidir une salle, grâce à une meilleure maîtrise des systèmes. « Il faut être vigilant sur les densités et les températures. Les équipements supportent des températures de fonctionnement plus élevées qu’auparavant. Mais, en tant qu’hébergeurs, nous redoutons toujours de laisser le thermomètre grimper. »

« Nous avons gagné en efficacité et nous savons gérer la haute densité avec des baies de 30 kW, tout en maîtrisant notre consommation d’énergie. »
Marc-Antoine ChaussardChargé d’exploitation Datacenter, Groupama G2S

Néanmoins, le responsable souligne les efforts réalisés : « nous avons beaucoup progressé sur ce plan. L’écosystème technique aussi. Nous pouvons nous appuyer sur des simulations thermiques très précises. Et il est devenu possible de monter la température à 26°C ou 27°C en toute sécurité, dans toutes les situations de production. »

En jouant sur la climatisation et la maîtrise des systèmes, en deux ans, Groupama G2S a haussé de 3°C en moyenne la température de ses data centers, ce qui correspond à 3 % de la facture énergétique de ses installations. « Nous avons gagné en efficacité et nous savons gérer la haute densité avec des baies de 30 kW, tout en maîtrisant notre consommation d’énergie », ajoute Marc-Antoine Chaussard.

De nouvelles approches pour aller encore plus loin

Le rôle de la donnée est clé pour mener à bien ce type d’initiative. Les exploitants doivent connaître toutes les températures dans les salles afin de pouvoir les optimiser et apporter les frigories uniquement là où c’est nécessaire. Cela représente d’énormes masses de données à traiter et l’IA peut ici jouer un rôle dans les optimisations à mener.

Dès 2018, Google faisait travailler DeepMind sur cette problématique et annonçait un gain de 30 % de l’efficacité énergétique pour ses datacenters pilotés par IA. Laurent Marcou est convaincu qu’il s’agit de la voie à suivre : « nous avons besoin de l’intelligence artificielle, elle nous permettra de répondre aux pressions réglementaires croissantes liées à l’efficacité énergétique de nos installations. »

« Nous travaillons sur ce sujet, de même que sur celui d’utiliser l’IA pour gagner en maintenance prédictive, mais aussi sur d’autres nouvelles technologies qui entreront dans nos métiers. Par exemple, les casques de réalité augmentée vont apporter plus de souplesse et d’efficacité aux équipes techniques pour partager des informations lorsqu’elles sont devant les machines. Beaucoup de choses restent encore à inventer dans le secteur », assure-t-il.

Marc-Antoine Chaussard évoque le rôle que va jouer le jumeau numérique dans l’optimisation du fonctionnement des data centers : « Il s’agit un peu d’une extension du DCIO (Data Center Infrastructure Optimization) où sont modélisés les systèmes informatiques, les dispositifs de refroidissement et tout ce qui gravite autour des machines. Le jumeau numérique est une base qui permet de mener des simulations thermiques, tester virtuellement des optimisations, observer ce qui se passe quand on augmente de 1° la température. »

« Il sera alors possible de réaliser des projections en fonction des options en cours d’étude […]. L’outil permettra de décider objectivement d’une stratégie plutôt que de lancer des actions non chiffrées ».
Benoît MahieuSenior V-P Group et DGA France, Jiliti

Pour le chargé d’exploitation de Groupama G2S, cette approche permettra aux équipes de progresser encore, notamment en intégrant dans les simulations les notions de roadmap, de renouvellement des machines, et en intégrant à ces jumeaux numériques toutes les données issues des outils de supervision.

Jiliti travaille de son côté sur un outil visant à réaliser un comparatif de l’empreinte carbone du data center. À partir de l’inventaire des ressources serveur, stockage et réseau, l’outil va qualifier son impact écologique.

« Il sera alors possible de réaliser des projections en fonction des options en cours d’étude, comme l’upgrade du datacenter, le déménagement d’infrastructures de l’Allemagne vers la France pour bénéficier d’une électricité décarbonée, etc. L’outil permettra de décider objectivement d’une stratégie plutôt que de lancer des actions non chiffrées », prédit Benoît Mahieu.

Annoncé pour 2025, l’outil va s’appuyer sur les bases de données internes et un historique de 40 années de fonctionnement des infrastructures IT. Le prestataire s’est fait accompagner d’un acteur spécialisé dans le calcul du bilan carbone. L’outil sera commercialisé auprès des clients de Jiliti sous forme d’abonnement ou pour un usage one-shot à l’occasion d’un projet.

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