
Gilles Babinet, CNNum : « l’IA est un Fresh Start pour tout le monde »
En ouverture de l’édition 2025 de Ready for IT, Gilles Babinet, co-président du CNNum, a évoqué le bouleversement apporté par le numérique et les difficultés des ETI à prendre le train de l’IA.
C’est Gilles Babinet, le co-président du Conseil National du Numérique (CNNum) qui a animé la keynote d’ouverture de l’édition 2025 de Ready for IT, l’événement des DSI, RSSI et CTO engagés dans la transition numérique. Cette figure française du digital est, bien entendu, revenue sur l’impact du numérique sur les entreprises et sur nos sociétés.
Vers une plateformisation de l’informatique des entreprises
Gilles Babinet a rappelé que l’informatisation des entreprises, entamée dans les années 60, n’a fait que renforcer les silos qui préexistaient : « caricaturalement, les entreprises ont déployé du SAP pour leur Supply Chain, de l’Oracle pour la finance, de l’Adobe pour leur marketing et du Salesforce pour les ventes. Les logiciels métiers ont tendance à enfermer la data, faire en sorte que chacun reste propriétaire de sa data. ».
L’arrivée de l’IA et a fortiori de l’IA agentique va-t-elle enfin faire voler en éclats ces silos ? C’est la position de l’expert pour qui « quand vous commencez à avoir des systèmes qui sont capables de se comporter comme vous, qui sont capables d’automatiser les relations entre ces différentes BU, ils ont tendance à les effondrer en réalité. Ils ont tendance à transversaliser la donnée. Il est vraisemblable que les entreprises soient amenées à devenir des systèmes “plateformisés” qui vont avoir la donnée en leur cœur et des groupes de projets qui seront beaucoup plus agiles. Les notions de BU et de silos ne vont peut-être pas disparaître, mais en tout cas, elles seront fortement bouleversées ».
La France refait son retard, mais…
S’appuyant sur les chiffres d’Eurostat et en particulier le DESI, le Digital Economic and Social Index, Gilles Babinet souligne que si la France est dans la moyenne européenne dans cette transformation, les disparités restent importantes entre les grandes entreprises et les PME.
« Il y a cinq dimensions dans le DESI », explique-t-il : « il y a évidemment tout ce qui est la sphère publique, les usages, mais aussi l’intégration dans le système économique. La France est à peu près exactement sur la moyenne européenne. Ce n’est pas optimal, mais c’est un positionnement plutôt en progression, car nous étions très en dessous de la moyenne européenne il y a encore 7 ou 8 ans. Le point sur lequel nous sommes déficients, c’est l’utilisation du digital au sein des entreprises ».
Là, selon lui, les entreprises françaises sont un petit peu en retard par rapport à la moyenne européenne en matière de transformation. Pour le Co-Président du CNNum, le plus important est que cette adoption présente une forte corrélation avec la taille de l’organisation.
Les ETI à la peine dans leur transformation numérique
Si les groupes du CAC 40 sont très nettement en avance dans leur transformation digitale, les ETI et les PME, sont à l’inverse très en retard : « quand on essaye de comprendre d’où vient ce retard, plusieurs points émergent. Paradoxalement, alors qu’il y a des chambres de commerce, des organisations par filières, des MEDEF régionaux, les entreprises ont des difficultés pour accéder aux compétences ».
Un véritable paradoxe, car « en France, les gens sont formés, le niveau de formation français est plutôt bon, mais il y a une difficulté à accéder à cette compétence ».
Ce n’est pas tout : « l’autre sujet qui ressort, ça ne vous étonnera pas, c’est qu’il y a un niveau de bureaucratie en France qui freine le business ». Gilles Babinet, dont on se souvient du coup d’éclat contre la CNIL en 2013, évoque aussi le poids du RGPD qui, selon lui, freine des petites entreprises qui s’estiment incapables de gouverner leurs données conformément aux lois en place.
Gilles Babinet n’en prend pas moins la défense de l’AI Act européen : « c’est un point fondamental. Il y a quelques jours, j’écoutais le podcast d’un économiste américain qui disait que l’absence de régulation est le principal facteur qui empêche la diffusion des biens dans l’économie. C’est paradoxal ».
Ainsi, Gilles Babinet souligne que, contrairement à l’Europe, les USA ne mettent pas de régulation sur l’IA, mais qu’un acteur tel que Cruise (un concurrent de Waymo sur le robot taxi) a perdu sa licence à la suite de plusieurs accidents : « même si j’ai beaucoup de réserves sur l’AI Act, je pense que l’Europe et la France doivent arriver à gérer de façon cohérente les nouveaux usages, les nouvelles technologies et les nouvelles régulations ».
Les 3 paliers d’adoption de l’IA
Comment, dans ces conditions, les PME et ETI peuvent-elles adopter l’IA et revenir dans cette course à la digitalisation ? Gilles Babinet évoque une approche à trois niveaux.
Le premier consiste à adopter une approche incrémentale. L’entreprise va commencer par automatiser certains processus en introduisant de l’IA. L’approche se veut pragmatique, efficace, mais pour Gilles Babinet, il ne faut pas en rester là : « il faut penser à l’étape d’après, c’est-à-dire repenser l’ensemble du workflow en superposant les BU, repenser son métier ».
Il revient alors sur cette notion de plateformisation, avec une continuité de la donnée, depuis la prospection commerciale dans le CRM jusque dans la plateforme logistique qui va définir le chargement du camion.
La troisième étape implique de se placer dans une perspective à 10 ans, réfléchir à ce qui va réellement changer dans son métier et s’y préparer : « la plus importante des recommandations que je peux faire finalement à des gens qui sont soit DSI, soit CEO, soit en charge de la transformation d’une entreprise dans ce sens-là, c’est d’essayer de réfléchir sur ces 3 niveaux simultanément », conclut Gilles Babinet.