Stockage : l’impact de la pénurie sur les entreprises

Cet article passe en revue les pénuries qui touchent encore les équipements de stockage, leurs causes et les parades qui s’offrent aux entreprises pour mener leurs activités malgré tout.

Cet article est extrait d'un de nos magazines. Téléchargez gratuitement ce numéro de : STORAGE: Storage 34 – Les initiatives européennes pour stocker les données

Depuis 2020, la chaîne d’approvisionnement mondiale en composants électroniques subit une pression sans précédent. La pandémie, les problèmes de fabrication, les retards d’expédition et même la météo ont provoqué des pénuries de puces, d’équipements de stockage et d’autres éléments du datacenter.

En conséquence, les entreprises sont confrontées à des délais d’attente de plusieurs mois, voire de plusieurs années, pour du matériel informatique essentiel. Les achats d’équipements de stockage ont été durement touchés, car ils dépendent de plusieurs catégories de composants électroniques. Bien que l’approvisionnement commence à reprendre une certaine fluidité, les DSI sont refroidis : leur priorité est désormais de trouver comment poursuivre les projets sans dépendre de l’achat de nouveaux équipements.

Quelle est l’ampleur de la pénurie ?

Les pénuries de matériel ont affecté des systèmes entiers, depuis les serveurs, les switches réseau et les baies de stockage, jusqu’aux composants critiques. Ces derniers vont des disques durs et des SSD aux plus petites pièces. On a beaucoup parlé de la pénurie mondiale de microprocesseurs, mais les fabricants sont également confrontés à des pénuries d’autres circuits intégrés, notamment pour la gestion de l’énergie, et même de condensateurs et de résistances, ainsi que de composants électriques analogiques.

« Il s’agit de toutes sortes de composants auxiliaires dont vous dépendez absolument lorsque vous produisez une baie de stockage, un serveur ou un commutateur réseau. »
Patrick SmithField CTO pour la région EMEA chez Pure Storage

Cette situation a un impact sur les fournisseurs à différents niveaux, en fonction de leur position dans l’écosystème du matériel et de la robustesse de leurs propres chaînes d’approvisionnement en composants.

Pour les fabricants de matériel informatique, les pénuries de composants font grimper les prix ou retardent les expéditions. « On a parlé de pénurie de processeurs, mais en réalité, c’est le plus petit composant de 10 ou 50 centimes qui pose problème », explique Patrick Smith, Field CTO pour la région EMEA chez Pure Storage. « Il ne s’agit pas seulement de puces. Il s’agit de toutes sortes de composants auxiliaires dont vous dépendez absolument lorsque vous produisez une baie de stockage, un serveur ou un commutateur réseau. »

Les DSI ont ainsi observé que les délais de livraison glissent de 6 à 18 mois. Avant la pandémie, ils pouvaient généralement se procurer du matériel en quelques semaines. Pour les fournisseurs, les délais sur les composants en amont peuvent être encore plus longs. L’année dernière, par exemple, certains fabricants ont signalé des délais de 40 à 60 semaines pour les semi-conducteurs, soit environ deux fois plus qu’avant la pandémie.

La situation s’est quelque peu détendue depuis, car les dépenses post-pandémie se sont stabilisées. Face à des perspectives économiques plus sombres, la demande a freiné, y compris dans le domaine des équipements informatiques. Mais il faudra du temps – peut-être encore un an – pour que l’amélioration de l’approvisionnement en composants se traduise par une meilleure disponibilité des systèmes pour les utilisateurs.

Quelles sont les causes de la pénurie ?

Tout comme il n’y a pas de pénurie unique – les problèmes affectant la plupart des composants électroniques –, il n’y a pas de cause unique.

« On a parlé de pénurie de processeurs, mais en réalité, c’est le plus petit composant de 10 ou 50 centimes qui pose problème. »
Patrick SmithField CTO région EMEA, Pure Storage

La pénurie mondiale de puces est bien documentée et a commencé avant la pandémie. Parmi les problèmes rencontrés, citons la demande accrue de certains secteurs, notamment les constructeurs automobiles, la dépendance excessive à l’égard de quelques fabricants, les incendies d’usines, les pénuries d’eau à Taïwan et les matériaux contaminés. Ce dernier problème a durement touché le secteur du stockage Flash, lequel a dû mettre au rebut l’équivalent de 6,5 millions de téraoctets de circuits NAND 3D.

 Les usines ont également été touchées par les arrêts de production dus au Covid et les maladies du personnel. La pandémie a touché le transport maritime mondial, rendant le déplacement des composants plus difficile et plus coûteux.

En outre, les fournisseurs affirment que les fabricants ont privilégié la fourniture aux grands hyperscalers. Les hyperscalers, à leur tour, ont augmenté leurs commandes pour répondre à la demande de services en cloud lorsque les salariés ont dû basculer en télétravail. 

Quels matériels sont touchés ?

Les utilisateurs et les fournisseurs signalent des problèmes de fourniture aussi bien pour les SSD que pour les disques durs traditionnels. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : des pièces n’ont parfois pas pu être livrées, car il manquait le boîtier autour, voire le carton d’emballage !

Selon IDC, la fourniture de SSD et de disques durs a été au plus bas niveau entre le début de l’année 2021 et la mi-2022. Ensuite, le marché ne s’est pas relevé, car les entreprises ont cessé de passer commande.

« Au cours du premier semestre 2022, nous avons constaté des pénuries de SSD en raison d’une forte demande, de pénuries de circuits intégrés et d’un arrêt total de production chez des fabricants comme Western Digital ou Kioxia », explique Jeff Janukowicz, analyste chez IDC. « Les prix des SSD ont donc augmenté en raison des pénuries… Puis, au fur et à mesure que nous avançons dans la seconde moitié de 2022, la demande a ralenti en raison de problèmes macroéconomiques. Par conséquent, les pénuries se sont atténuées, mais les livraisons n’ont pas repris. »

« Les pénuries se sont atténuées, mais les livraisons n’ont pas repris. »
Jeff JanukowiczAnalyste, IDC

Ainsi, les entreprises qui ont bien passé commande ont continué à souffrir de retards de livraisons.

« Auparavant, nous avions l’habitude d’attendre deux à trois mois pour un composant matériel. Aujourd’hui, nous devons attendre un an ou plus », déplore Seva Vayner, directeur cloud chez le fournisseur de services cloud luxembourgeois Gcore.

« Ces pénuries touchent tous les composants – disques physiques, appliance de disques, serveurs, contrôleurs… Je ne suis pas sûr non plus que les gens comprennent l’ampleur du problème. Tous ces appels vidéo que les travailleurs enregistrent – et les fichiers lourds que les gens envoient régulièrement à leurs collègues ou à leurs clients – mettent l’infrastructure de stockage à rude épreuve », ajoute-t-il.

Ce constat est partagé par Oscar Arean, directeur technique chez Databarracks, un fournisseur britannique de services cloud et de reprise après sinistre.

« Le phénomène a une portée très large. Les serveurs, les switches et les firewalls sont tous significativement affectés », dit-il. « Les disques durs, à l’exception des SSD, sont de plus en plus disponibles. Cependant, cela dépend des stocks détenus par les revendeurs. Dans la plupart des cas, les fournisseurs ne peuvent ou ne veulent pas livrer à la date prévue, car ils ne sont pas sûrs que leurs propres fournisseurs honoreront leurs engagements. »

« L’effet est qu’à partir du moment où vous prenez la décision de lancer un projet, vous pouvez attendre plus de six mois avant de recevoir et de pouvoir commencer à déployer le matériel. »

Et, comme le rapporte IDC, les pénuries de composants se poursuivent dans les équipements réseau ; Brandon Butler, l’un des analystes du cabinet d’études, affirmant que « les délais sont passés de plusieurs semaines à plusieurs mois. » Puisque de nombreux projets de stockage dépendent du réseau, les entreprises sont confrontées à des retards supplémentaires, même lorsqu’elles parviennent à finalement obtenir l’équipement de stockage.

Quelles solutions ont été choisies par les entreprises ?

La situation a incité les fournisseurs et les clients à réexaminer les processus d’achat. Comme le fait remarquer Patrick Smith de Pure Storage, « les SSD sont maintenant très bien approvisionnés, voire en surabondance. Mais le mal est fait : dans le doute, les entreprises ont singulièrement ralenti leurs commandes. »

« Allez regarder ce que vous possédez, et demandez-vous s’il existe de meilleures façons de le stocker. »
Tony LockAnalyste, Freeform Dynamics

Les pénuries ont aussi incité les entreprises à réévaluer les matériels déjà en leur possession, suggère Tony Lock, analyste chez Freeform Dynamics.

« Y a-t-il des choses que vous pouvez faire pour réduire votre empreinte de stockage », demande-t-il ? « Allez regarder ce que vous possédez, et demandez-vous s’il existe de meilleures façons de le stocker. Vous découvrez alors les vertus de la déduplication, ou celle de déplacer quantité de données non utiles en production vers du stockage froid, c’est-à-dire des baies de disques plus anciennes et peu performantes, mais disposant de suffisamment de capacité pour libérer de l’espace sur les baies de production. »

Selon lui, les entreprises ont choisi d’étendre le support pour leurs matériels les plus anciens, voire se sont procuré des équipements d’occasion. L’enjeu est néanmoins de réévaluer les priorités des projets à court terme, de vérifier comment les mises à niveau peuvent être rationalisées, ou retardées.

« Cela prend du temps, car il faut notamment réunir autour de la table d’autres services de l’entreprise, ainsi que les fournisseurs. Et pendant ce temps, personne n’achète de nouveaux SSD », conclut Tony Lock.

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