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Comment IDEMIA compte détecter les pannes de ses cobots

En collaboration avec AWS, IDEMIA – spécialiste français des technologies d’identité et de sécurité numérique – a mis en place un projet pour détecter en temps réel les temps d’arrêt et les anomalies potentielles qui affectent les cobots en charge de la fabrication de ses cartes bancaires. Le déploiement devrait être terminé au cours de l’été 2023.

Issu du rapprochement de la filiale identité et sécurité de Safran (ex-Morpho) et d’Oberthur Technologies, le groupe IDEMIA est né officiellement en 2017. Il conçoit et fabrique des technologies biométriques, des documents d’identité (physiques ou numériques) ainsi que des cartes bancaires.

IDEMIA développe ses activités dans les secteurs du paiement, de la connectivité, du contrôle d’accès, de l’identification, du voyage et de la sécurité publique. Leader dans la production de documents d’identité (cartes d’identité, passeports), IDEMIA a déployé 5 millions d’appareils biométriques dans le monde. Il gère aussi 500 systèmes d’identification multibiométrique incluant la lecture d’empreintes digitales et la reconnaissance faciale.

Le groupe français fournit 800 millions d’identifiants de paiement chaque année, dont une majorité de cartes bancaires sécurisées. Il a réalisé un chiffre d’affaires de 2,2 milliards d’euros en 2021 auprès de 600 clients gouvernementaux et 2 300 organisations privées.

IDEMIA emploie plus de 15 000 collaborateurs dont 3 000 ingénieurs chargés de développer des technologies biométriques, cryptographiques, analytiques et des systèmes matériels et logiciels.

La stratégie « Industrie 4.0 » d’IDEMIA

Il y a un peu plus de deux ans, l’entreprise a décidé de former une nouvelle équipe nommée Global Data Team. Elle rassemble 35 personnes. « À la création de cette équipe et de mon poste, il y avait l’ambition de centraliser, de mieux contrôler et de valoriser les données générées par nos propres produits, mieux comprendre ce qu’il se passe sur nos systèmes », avance Anthony Barré, Chief Data Officer chez IDEMIA.

 « Cela peut s’appliquer à beaucoup de cas d’usage différents. Par exemple, nous participons au développement et à l’analyse de sécurité des produits du groupe », ajoute-t-il.

En interne, il s’agissait d’apporter une vision holistique des activités, des potentielles problématiques de performance et de sécurité affectant les chaînes de production du groupe. « Auparavant, nous avions une vision, mais une vision en silo : nous n’avions pas une vue globale de ce qui se passait sur l’ensemble de nos systèmes », poursuit le CDO.

Or, pour accomplir une telle mission, il fallait un SI adapté. Anthony Barré et son équipe ne voulaient pas « réinventer la roue » en développant un système de traitement de données de pied en cap, mais plutôt se concentrer sur la transformation des données. « Nous voulions passer moins de temps sur la connexion des systèmes, la récupération des données, leur sécurisation et nous concentrer sur l’analytique et l’apport de notre expertise », indique le Chief Data Officer.

Un Data Hub transverse consacré au monitoring industriel

Pour répondre à ce besoin de traitement transverse, l’équipe a réalisé plusieurs benchmarks. En accord avec la direction et la DSI, son choix s’est porté sur les services managés en cloud d’AWS afin de bâtir un Data Hub.

Ce hub a pour fondation le service de stockage objet S3. Les données sont majoritairement enregistrées dans les services de gestion de données Redshift et RDS. Elles sont collectées en batch ou en streaming à l’aide de différents services AWS. Les transformations de données s’exécutent depuis des instances Amazon EMR, orchestrées via Apache Airflow. Les notifications d’anomalies et les alertes passent à travers Amazon SNS (Simple Notification Service). L’équipe data d’IDEMIA utilise ponctuellement SageMaker pour développer quelques algorithmes, tandis que le reporting est principalement réalisé depuis Amazon Quicksight et Grafana.

Les « fondations » de ce Data Hub ont été posées en six mois. Ensuite, les équipes du groupe ont étudié les différents services AWS pour en assurer l’industrialisation et l’extensibilité à l’aide d’outils tiers. « Nos défis sont la mise à l’échelle, la stabilité et la sécurité de nos pipelines de données », insiste le CDO. Six mois plus tard, l’équipe data a établi les « cas d’usage les plus évidents ».

Selon Anthony Barré, il ne s’agit pas seulement de centraliser les données, mais de savoir comment les exploiter au service des métiers. En parallèle de la mise en place de cette infrastructure, pendant « trois à quatre mois », l’équipe Data a exploré différents cas d’usage avec AWS. Plusieurs d’entre eux concernent la fabrication de cartes bancaires. « C’est une activité critique pour nous. Nous fabriquons des millions de cartes bancaires par mois à travers nos différentes usines dans le monde », indique le Chief Data Officer.

Ces usines qui « tournent » 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 font actuellement l’objet d’un plan de transformation « Industrie 4.0 ». « Il s’agit d’automatiser au maximum les processus », déclare Anthony Barré. « Chaque temps d’arrêt anormal dans nos usines génère une perte d’efficacité, des défauts de qualité, ce qui peut altérer les délais de livraison et notre réputation auprès de nos clients ».

« Chaque temps d’arrêt anormal dans nos usines génère une perte d’efficacité, des défauts de qualité, ce qui peut altérer les délais de livraison et notre réputation auprès de nos clients ».
Anthony BarréChief Data Officer, IDEMIA

Détecter les temps d’arrêt anormaux qui affectent les cobots

Le premier cas d’usage identifié a été déployé à l’état de prototype au cours de l’année 2022. Pour fabriquer ses cartes bancaires, IDEMIA exploite plusieurs cobots, des robots collaboratifs déployés au sein des usines. Les robots en question prennent la forme de bras articulés de deux mètres de haut chacun. « Nous voulions identifier en temps réel les temps d’arrêt de ces robots collaboratifs », raconte le CDO. « Puis, nous souhaitions envoyer une alerte de manière proactive aux responsables sur le terrain pour mener une investigation afin de savoir si cet arrêt est anormal ou non ».

Un deuxième projet vise à détecter une « vibration ou un comportement anormal » de ces cobots, puis de prévenir automatiquement le directeur de l’usine et les personnes présentes sur site afin de mener l’enquête sur d’éventuelles pannes.

Pour ce faire, IDEMIA a fait appel à l’équipe de l’AWS Lab situé au Luxembourg. Plus précisément, le groupe a souscrit au programme AWS Prototyping, d’une durée de six semaines.

Quelques membres de l’équipe Global Data d’IDEMIA et les experts d’AWS Prototyping ont étudié la faisabilité de ces deux projets. Une fois les cas d’usage clairement définis, elles ont cherché les capteurs compatibles avec les services IoT d’AWS tout en développant les algorithmes de détection. Un démonstrateur a été mis en place en utilisant un petit cobot présent dans le laboratoire d’AWS au Luxembourg et des données de simulation. « Cela nous a permis de valider l’utilité de l’IoT et du streaming de données dans nos cas d’usage, puis d’évaluer nos besoins en ressources afin de déployer les systèmes par nos propres moyens ».

En principe, le département data aurait pu récupérer les données émises directement par les cobots. « Nous nous sommes empêchés de le faire. C’est moins intrusif pour le système IT de l’usine qui est très sécurisé et très sensible », explique Anthony Barré.

L’équipe a donc mis en place une architecture « parallèle », s’appuyant sur des capteurs IoT externes placés sur le bras articulé du robot et des routeurs pour les remonter localement. Les données sont ensuite transmises en streaming à l’aide du service AWS SiteWize vers le Data Hub hébergé sur le cloud d’AWS. « Ce sont des données de vibration et de mouvement dans l’espace. Elles sont importantes pour notre activité, mais non sensibles », précise-t-il.

Le groupe applique la même approche pour sécuriser les données de ses produits. « Nous ne stockons pas d’informations personnelles identifiables (PII) sur notre Data Hub. Nous collectons les logs agrégés de nos produits que nous sécurisons et auxquels nous appliquons les bonnes politiques d’accès et de gestion des rôles », avance le Chief Data Officer.

« Il ne fallait pas tomber dans l'écueil du paramétrage manuel de modèles algorithmiques pour chaque cobot ».
Anthony BarréChief Data Officer, IDEMIA

Pour détecter automatiquement les anomalies des Cobots, IDEMIA ne voulait pas perdre de temps à « fine tuner » les modèles algorithmiques. « Il ne fallait pas tomber dans l’écueil du paramétrage manuel pour chaque cobot. Sur le terrain, si le mouvement d’un cobot est modifié pour accomplir une certaine tâche ou que le robot est déplacé, personne ne nous préviendra », affirme Anthony Barré. L’équipe data s’est donc tournée vers des modèles sur étagère réclamant peu de configurations en cas de changement.

Les données de production sont analysées depuis Amazon Managed Grafana, tandis que les notifications sont administrées via Amazon SNS.

Un projet codéveloppé avec AWS

Le projet pilote a été déployé en deux semaines dans une des usines d’IDEMIA en juin 2022. « C’est un succès. Nous n’avions pas accès à ce type d’information jusqu’alors. C’est notre premier grand sujet IoT », juge Anthony Barré. La solution sera généralisée dans « plusieurs usines du groupe » réparties dans le monde entier. Le déploiement concerne 24 cobots industriels et devrait se terminer en août 2023.

IDEMIA espère ainsi réduire les temps d’arrêt des cobots de 5 à 10 %. « Cela peut paraître faible, mais les gains attendus en termes d’efficacité et de performance sont significatifs », prédit Anthony Barré. « Tous les projets déployés dans nos usines sont prévus pour atteindre le ROI fixé en moins de deux ans. Celui-ci ne déroge pas à la règle ».

 « Nous nous interrogeons sur l’industrialisation et la rentabilité dès le lancement d’un projet », assure-t-il.

Il fallait également que les « projets s’intègrent correctement dans la vie opérationnelle des métiers ». L’équipe Global Data a déjà conçu les tableaux de bord et les rapports qui seront partagés aux parties prenantes. Quand le déploiement sera achevé, les données des temps d’arrêt seront agrégées par robot et par site afin de transmettre l’information de la veille aux directeurs d’usine en début de journée. « De manière générale, nous voulons simplifier l’accès à l’information aux data scientists, aux directeurs d’usine et au top management », indique Anthony Barré.

Ce n’est qu’un début, selon le Chief Data Officer. « Pour 2023, nous avons repéré de nouveaux cas d’usage, des axes d’amélioration dans les usines, des nouvelles données en provenance de machines à collecter, ou encore des protocoles inconnus à interpréter », liste-t-il.

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